"Sa jeunesse sembla belle, son amour sembla joyeux…"
« Je grandis et me
transformai en belle jeune fille. Tout était parfait. Ou presque. Il se
trouva qu’en grandissant, je sentis une tristesse naître en moi, se
former dans mon ventre comme une boule noire et dure qui ne me quittait
plus, une sensation lourde et pesante, venant de très loin, d’en deçà de
mes tripes. J’en fus fortement troublée, mais ne dis rien à personne. »
Surnommée « la boudeuse » par les
habitants de Bergheim, Marguerite Möwel est sujette à de sombres
présages : une grossesse hors mariage, un enfant mort à la naissance,
des villageois qui l’évitent puis la guerre et la famine… Mais en 1582,
il ne fait pas bon être mise à l’écart. Brûlée vive comme sorcière, son
âme tourmentée hante toujours le village, en quête de justice ou de
vengeance…
Depuis I Kiss You ou l’hétéroglossie du bilinguisme, Catriona Morrison fait parler les femmes dans toutes les langues, celles du cœur, de la vie et même de l’au-delà. Sur scène, deux comédiennes donnent voix à la mystérieuse dame blanche : une voix à capella psalmodiant une entêtante mélopée et une voix brisée par des souffrances trop longtemps tues.
A travers le noir, la semi-obscurité apparait un corps tronqué, un visage réjoui, souriant. Une fillette sans doute, charmante, grassouillette en chemisette légère, nuisette ou sorte de lingerie légère. Elle conte, raconte sa jeunesse heureuse, bercée puis entachée de nuisance, de rencontres pas toujours recommandables. La diction est franche, enfantine, claire et limpide.Là change son destin, ses couleurs s'effacent, sa joie de vivre s'envole et son fasciés s'éteint. Elle devient la proie des ouï-dire malfaisants et sa grand-mère qui lui enseigne et transmet son savoir magique et maléfique à propos des vertus des plantes, la nourrit de fantasmes et de sorcellerie...Les vertus de l'absinthe, de la rue et autres tiges et herbes magiques sont de très beaux prétextes à diction et gestuelle, rare et précieuse: vitesse, vélocité et langage des mains, des bras se font chorégraphie précise, millimétrée. Ivan Favier y est sans doute pour beaucoup dans cette mise en mouvement judicieuse et magnétique. Aux accents nets, aux contours subtils.C'est beau et éclairé subtilement pour mieux donner du relief à ces recettes et potions de magie opératoire, divinatoire.Une doublure dans la pénombre, spectre suspendu à ses dires, chante et ponctue cette prestation de comédienne qui séduit, accroche et tient en haleine Quelques belles dissonances à deux et se confondent narratrice, personnage et ectoplasme...Toujours dans le noir énigmatique des légendes d'autrefois. Soudain la lumière l'emporte sur le rêve et les deux protagonistes apparaissent en plein jour, contemporaines pour dévoiler et replacer le mystère dans des temps anciens, mais pas révolus puisque les filiations perdurent, la transmission opère et tout s'enchaine secrètement en famille Le récit va bon train, retourne au bercail pour évoquer à nouveau le passé et osciller entre temps présent et moyen âge où la chasse aux sorcières était de mise pour écarter les "mauvaises herbes", leur couper le pied et la langue, brûler les corps et évacuer les croyances païennes! Le jeu de Sophie Nehama, sobre, convaincante, charmante et enjouée, charnel, incarné Son double, Marie Schoenbock,avatar en herbe, vocalise à ses côtés, suspendue dans l'apesanteur d'un éclairage à point nommé: distillant la lumière parcimonieusement pour enchanter l'atmosphère et créer un univers étrange, inaccessible et lointain. Un spectacle envoutant pour ravir et posséder nos âmes dans une fantaisie douce, autant que cruelle sur notre monde désenchanté! A vos marmites, l’élixir est gouteux et la potion magique opérante!Un univers très pictural, lavis, encre noire pour oeuvre au noir, à l'outre noir,la vie derrière et devant soi.
Le spectacle a été présenté en juillet dernier au festival OFF d’Avignon 2022.
Distribution
Avec Sophie Nehama, Marie Schoenbock (chant)Assistanat à la mise en scène Gaëlle Hubert Création lumière Bathilde Couturier Composition musicale Sébastien Troester, Marie Schoenbock Direction musicale Sébastien Troester Création sonore Christophe Lefebvre Création costumes Carole Birling Accessoires Gaëlle Hubert Construction décors Christophe Lefebvre Regard chorégraphique Ivan Favier Production Stéphanie Lépicier – Azad production
TAPS – Théâtre Actuel et Public de Strasbourg
du 11 octobre au 14 octobre
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