« To silence someone c’est empêcher quelqu’un de parler de
lui, de sa perception du monde, de ses sentiments, de sa vie, faire
disparaître sa version de l’histoire, et ainsi l’effacer. »
Pour sa nouvelle pièce THE SILENCE, l’auteur-metteur en scène
allemand Falk Richter entreprend, en collaboration avec l’acteur
Stanislas Nordey, des recherches sur l’histoire de sa propre famille. Un
voyage dans son passé le ramène dans la maison de ses parents, qu’il a
quittée il y a plus de 30 ans, suite à son coming out. Le père est mort
sans qu’une réconciliation avec son fils n’ait eu lieu. Mais le fils
veut enfin briser le silence qui régnait dans cet endroit. Il commence
une discussion avec sa mère qui le replonge dans l’enfer de leurs
jeunesses à tous deux, la sienne et celle de sa mère. Ce voyage dans les
gouffres de la société occidentale qui va de l’après-guerre jusqu’à
aujourd’hui révèle une histoire persistante de la violence et la dureté
qui rend impossible un avenir plus humain, choisi.
Stanislas Nordey est un acteur hors pair et pas besoin de démonstration pour le prouver. Dans cette pièce où il serait le seul interprète quasi deux heures durant, il porte le texte, vivant, posé et maintient en haleine ce public réuni pour le rencontrer, l'écouter parler de l'histoire d'un autre. Qu'il incarne majestueusement dans un décor de murettes blanc, de paysages de dunes mordorées, colorées, échevelées. Un arbre au loin ...Ce personnage évoque sa jeunesse et tous les non dits, les secrets de famille qui végètent, macèrent et rende "le silence" toxique, malfaisant, cruel et dangereux. Silences des dénis, mensonges, oublis, effacements de l'histoire ou transformation des faits. Ce jeune homosexuel se livre, se bat et étouffe, dénonce des situations aberrantes et l'on suit son fil d'Ariane avec empathie, intérêt en communion constante. En dialogue des images vidéo enregistrées par l'auteur en présence de sa mère à qui il tente d'arracher une once de vérité, de sincérité. Jeu délicate et pas toujours diplomate tant les personnes y sont impliquées et jouent à l'innocence, l'ignorance et la fausse pudeur. Silence d'une musique intérieure où les points d'orgue sont fondamentaux pour le suspens, la tension de ce récit autobiographique. Stanislas Nordey sur la brèche dans la quiétude cependant et l'extrême concentration d'un grand comédien qui s'efface devant son personnage Belle aventure que cette écriture pour lui, sur mesure qui lui sied à merveille et l'habille comme un costume de couturier: unique et sur "mesure", taillé dans le vif du sujet, sans ourlet sur son corps et pour sa voix. Silence, on tourne les pages, on l'adopte, ce jeune homme en proie au désarroi, à l'injustice à la bêtise...Les images de sa mère nageant tranquillement deviennent insupportables d'égoïsme, d'autosatisfaction, de déni...Et lui, chemine jusqu'à la dénonciation du monde d'aujourd'hui, retranché près d'un tipi, refuge où il se réchauffe et se sustente et conte l'univers décevant et l'évolution du monde bafouant les lois et règles de l'écologie.Déception, déconfiture au menu de ses dires virulents qui changent le ton: il devient sauvage, vêtu d’oripeaux bigarrés, de peau de bête velue...Étrange créature frustre et rustre, toujours cependant en sympathie avec les spectateurs tenus pour cible de ce récit palpitant. Une performance audacieuse, périlleuse, un sujet brûlant d'actualité: maltraitance, homophobie, malveillance et harcèlement d'une personne. Ça touche, impacte très intelligemment sans militantisme et prosélytisme. De l'humain surtout et un acteur qui fait aimer le théâtre pour ce qu'il est: une fiction, une mise en scène et en espace des mots et maux de l'humaine condition. Silence, on se retourne et on la tourne cette séquence dramatique de l'existence unique de chacun dans le bain où l'on entre qu'une seule fois...
Falk Richter, né à Hambourg en 1969, est auteur, professeur d’art dramatique à Copenhague, metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il est, depuis 2015, auteur associé au TNS. Son travail est présenté sur de nombreuses et prestigieuses scènes internationales. Depuis 2020, il fait partie de l’équipe de direction artistique du Kammerspiele de Munich. Le public du TNS a pu voir Small Town Boy en 2016, Je suis Fassbinder en 2016 − co-mis en scène avec Stanislas Nordey − et I am Europe en 2019.
Au TNS jusqu'au 8 Octobre
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