jeudi 18 janvier 2024

"Débandade": Raméne, adopte un Jules..Olivia Grandville scrute le masculin avec audace et tendresse.

 


Olivia Grandville
Mille Plateaux, CCN la Rochelle France 7 danseurs + 1 musicien création 2021

Débandade :

Selon Olivia Grandville, « si ce ne sont pas les hommes qui s’emparent de la question du féminisme et qui dénoncent leur propre assignation à la virilité, on n’en sortira pas. »
Débandade est une œuvre subversive qui jette sur le plateau sept hommes nés dans les années 1990 à qui la chorégraphe pose cette question : « Comment vivez-vous en ce moment votre masculinité ? »
À une période salutaire où les femmes réaffirment leurs droits, elle demande à ce groupe d’artistes, issus d’expériences géographiquement et culturellement éloignées, de mettre en mots et en gestes leur relation au genre, aux représentations du pouvoir et recueille leurs sentiments sur la période actuelle. Récits, craintes, souvenirs d’enfances, réflexions, témoignages, soli et duos surgissent en scène avec grâce et humour.

Des gars, des gus...des garçons manqués....

Et si "L'année commençait avec eux" ces Jules, ces "mecs" débridés chorégraphiés par une femme.Sept ostrogotes déboulent sur le plateau affublé d'un musicien: c'est le point de départ de cette démonstration pertinente de corps et d'esprits d'hommes qui dansent leur singularité, leur identité, plus que leur "genre" ou sexualité. En slip, comme si cela était leur anti parure de choc et de prédilection, ils s'adonnent chacun à faire luire et reluire leur qualité de mouvement, leur esprit singulier, mais aussi l'esprit de groupe, de savoir être et vivre ensemble.


En rockers bien typés.Tous pas pareils, tous différents... De la grande asperge longiligne au petit râblé bien architecturé, les voilà sur la longue estrade frontale assignés à se montrer, se faire voir et reconnaitre: à s'exposer, sexe-poser devant tous et devant nous. Chacun sa gestuelle, son pouvoir se séduction et son histoire intime; sur un petit écran vidéo voici des images de César Vayssié, de chacun se racontant: son rapport au monde, à sa mère à la danse. Presque tous issus de formation en classique, même le fiston du regretté Jacques Patarozzi (découvert en stage CIRA à Strasbourg dans les années 1985...). Les styles et origines de danse se fondant les unes dans les autres au profit d'un vocabulaire protéiforme, tour de Babel des signatures de mouvements. Cabaret, music-hall et dragqueen au menu pour des choix musicaux variés et appropriés au sujet. Conchita Wurst au programme comme une odalisque fantasmée: femme à barbe, à poils au tempérament de feu. Ou poses en toiles picturales évoquant le radeau de la Méduse en dérive ou quelques classiques des beaux arts. Un clin d'oeil aux cavaliers des western avec Enio Morricone, désopilant...Gainsbourg et son "I'm the boy" et la boucle n'est jamais bouclée.



Alors un défilé de mode voguing trans, une brochette de personnages défilant comme un "kontakthof" à la Pina Bausch, une mêlée de footballeurs colorée comme un tableau de Nicolas de Stael et nous voila dans des univers burlesques, drôles et surtout graves: car deviser sur le sujet de l'homme n'est pas toujours d'un abord simple! On se souvient du film de Rosita Boisseau et Valérie Urréa" l'homme qui danse" où Preljocaj affirmait: "je suis un homme albanais qui danse"...  Feu de tout bois que cette pièce protéiforme, joyeuse, décalée faite de sketches, saynètes emboitées, tuilées par des fondus au noir comme au cinéma. Car ils le font, leur "cinéma" ces sept hommes dans le vent, en poupe, figure de proue ou discrètement dissimulés par la pudeur ou la timidité. D'autres plus audacieux sont mâles et cela s'accélère de mal en pis dans un panorama, un paysage quasi exhaustif des figures, attitudes, poses groupales. Force et virilité au poing. Grâce ou fragilité avouée, reconnue, assumée. Un manifeste ou une révolution de palais? Allez savoir...Un trophée de cervidé au sol pour emblème de chasse à courre à l'homme.


Olivia et les garçons formidables...
La danse en raconte plus sur le sujet que n'importe quelle étude sociologique.Les danseurs comme des athlètes en pose olympique, en mannequin de mode, en t-shirt et tenue de sport qui les stigmatisent dans l'effort et sa démonstration musculaire. De belles paroles étayent les nombreuses séquences qui se succèdent de ce storyboard où les good boys sont vedettes et fiers de l'être. Traités par une femme qui danse et chorégraphie la gente condition masculine avec douceur, tendresse, tact et respect. On y considère la personne avant tout dans ce gynécée inversé où la communauté s'exprime dans une verve, un bonheur et une reconnaissance non dissimulée. Du bel ouvrage de dame sur les hommes, sweet hommes. Bande à part on y danse énormément, chacun son écriture, sa signature sous la houlette de la cheffe de corps en toute respectabilité Ils font des bonds, traversent l'espace comme des dévoreurs classiques de manège, sauts et autres fantaisies performatives!Une danse plurielle salvatrice, décalée et pleine de sens: une façon d'interpréter le monde.Ces "maitre queux" en érection verticale pour une dignité retrouvée, replacée au bon endroit, au milieu de l'arène aux fauves. Des singes, autruches ou bestioles à pattes pour un bestiaire fantastique convenant à chaque morphologie.L'animalité grotesque et humoristique se conjugue aussi au singulier-pluriel. 


Terpsichore aux abois dans un questionnement d'actualité grinçante. On s'y fait son sacre du printemps, son show de boys enflammés dans une belle dérive, une débâcle joyeuse, une débandade qui se débine à l'envi sans jamais reculer comme la fonte des glaciers...Et quand les jeux de musculation s'emballent et font statuaire canonique grecque on frise la caricature du steps et autre ring de compétition: le mâle sommeille et se réveille à temps. Les garçons et Olivia, à table !

A Pole Sud les 16 et 17 Janvier dans le cadre de "L'année commence avec elles"

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