Nuit de la lecture - Le corps - En corps Touché de Ramona Poenaru Projection-rencontre en présence de la réalisatrice
Pendant un trimestre, la Cie Dégadézo a accompagné des élèves de 1ère en « Assistance, Soins et Services à la personne » dans l’exploration du corps. Entre cours professionnels où l'on apprend comment prendre en charge un corps et les ateliers de danse qui prennent appui sur le contact, les adolescents vivront une expérience corporelle inédite qui leur ouvrira des chemins vers une connaissance d'eux-mêmes et des autres.
Kontakthof, kontaktvoll...
Un film sur le "sensible", le toucher, qui n'est ni un film de danse, ni un film scientifique, médical, est chose rare. Voici une oeuvre cinématographique singulière, un "documentaire de création" original issu d'une convergence d'expériences sensorielles auprès d'un jeune public en formation scolaire d'apprentissage: prodiguer des soins au corps, vieillissant, médicalisé ou simplement en état de corps déclinant.Filmés dans l'intimité de leur lieu d'apprentissage, un lycée professionnel adapté, les jeunes recrues sont au coeur du sujet. Aspirant à ce métier ou doutant de leurs capacités, de leurs envies, les voici confrontés à deux artistes en résidence: Antje Schur et Régine Westenhoeffer, deux danseuses, interprètes et pédagogues de la "danse contact" par excellence sur le territoire alsacien. Les chocs, les rencontres d'espace et de compréhension sont judicieusement filmés et mis en avant par l'intuition de la réalisatrice, elle-même danseuse et intervenante artistique au sein de la compagnie "Des châteaux en l'air".
Un trio complice et perméable à la relation au présent, à tout ce qui est "poreux" comme cette peau dont il sera question tout au long du film. Ce toucher que l'on retrouve au sein de toutes les expériences sensorielles du touché-poussé-tiré, de la notion de poids, de don de soi dans une relation de confiance entre partenaire de jeu et de vie. Appliqué aux soins corporels et à la manière de les prodiguer, voici une singulière aventure salvatrice. Pour les jeunes "apprentis" c'est une découverte, un OVNI, extraterrestre bien introduit par la venue d'un E.T. venu d'ailleurs, incarné par l'une des danseuses, lors d'un premier contact scénique hors norme. Ce zombie, non genré, intrigue, interpelle, interroge sur la différence et son accueil au sein du groupe. Étonnement, crainte, rejet de l'étrange, de l'étranger, de l'inconnu.
De toute leur peau, voici dans une très belle séquence, les deux protagoniste en proie à une "démonstration" de contact, juchées sur une table comme sur des tréteaux de foire dans l'espace scolaire d'une salle de cours traditionnel. Du neuf, du surprenant, du déconcertant pour ce petit groupe soudé par un instinct de suspicion, d'interrogation sur ces pratiques directes, sans mot. Alors cela prend au fur et à mesure, on s'apprivoise, se renifle, se côtoie, se regarde avec de moins en moins de crainte. Le film montre cette douce et lente évolution entre élèves et intervenantes.
C'est drôle, sensible et plein de suspens. Ramona Poenaru capte, traque en douceur ces jeunes avec tendresse, respect et empathie. Portraits singuliers des uns et des autres, sur les visages, les expressions, les attitudes liées aux circonstances. Toucher, regarder, respecter, les maîtres-mots, les clefs d'une profession de santé autant physique que mentale. Sans être des thérapeutes ni des pédagogues assermentées, nos trois artistes font mouche et touchent là où ça fait du bien, ou du fil à retordre. Telle une chorégraphie qui s'improvise, les images donnent à voir des touches de danse, de jeu d'acteur qui font figure de vrai rôle. Chacun y est considéré en plan fixe ou mouvant, en captation sur le vif. Des batailles de matelas dans une chambre où tout réunit les jeunes filles dans des ébats débridés et spontanés. Des scènes prises sur le vif pour valoriser ces contacts naturels entre membres de cette petite tribu issue des affinités sensibles. Le film est truculent, sobre et plein de verve, de tonus, de rythme comme de la danse, de la musique, percussion corporelle ou sons discrets du quotidien. La parole a la part belle: celle des enseignants pour conduire la dynamique du groupe, celle des participants pour exprimer doutes, avis, sentiments, impressions pour ce travail atypique dans leur parcours professionnel. La scène "originelle" de redressement d'un corps alité est croustillante. On y voit les maladresses, les hésitations, l'antipathie de certains au regard de leur future profession...
Une cible en or pour exprimer la sincérité, le refus, l'audace de tenter l'impossible, l'inconnu niché en chacun. On envie ces jeunes de bénéficier d'une telle expérience corps et graphique dans leurs cursus professionnel. L'image finale où dans un couloir un duo de soigné-soignant disparait de dos, uni par la complicité du toucher,est juste et convaincante. Du bel ouvrage de réalisation sur un sujet qui "touche" et impacte comme une empreinte, le sens des gestes qui soignent, apaisent dans une notion autant de proximité que de distanciation. Son propre espace, celui de l'autre, celui des corps qui circulent sans entrave dans un monde libre et réjouissant: les soins et leur art d'être pratiqués comme un duo de corps sans décor ni barrière. Un film comme une caresse, un écran tendu de peau qui réfléchit le monde. Ne sommes nous pas simplement deux mètres carrés de peau tendue...Une enveloppe adressée à une correspondance des sens, de l'essence de la vie: le toucher..
Et beaucoup de doigté, d'élégance dans cette écriture, signature kinéma-tographique de Ramona Poenaru. Contact oblige !
Samedi 20 janvier à 19h à la médiathèque Meinau
3 commentaires:
Merci Geneviève pour ta présence et ton regard, pour tes paroles généreuses! c’est précieux!
C'est toujours un bonheur de te lire, merci de prolonger l'expérience sensible avec cet article.
Magnifique ! Chère Geneviève, merci pour ta plume et ton regard toujours vivifiant. Au plaisir de te revoir bientôt.
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