L’autrice, metteuse en scène et actrice Sultan Ulutas Alopé est née à Istanbul d’une mère turque et d’un père kurde. La pièce est inspirée de son propre parcours : une jeune femme arrivée récemment en France fait une demande de permis de séjour. Elle se saisit du temps de la procédure, durant lequel travailler lui est interdit, pour faire ce qu’elle n’avait pas osé jusqu’alors : apprendre la langue de son père − longtemps illégale en Turquie. Au travers de cet apprentissage, elle exhume la honte d’être kurde, inconsciemment ressentie pendant l’enfance et l’adolescence. Que produit le racisme dans l’intimité des êtres ? Peut-on dissocier la violence au sein d’une famille de celle de la société dans laquelle elle s’est construite ?
Pas de langue de bois, ni de langue au chat mais une langue bien pendue dans ce monologue ferme et déterminé de Sultan Ulutas Alopé. Un tendre manifeste pour défendre, découvrir et magnifier les sons, la syntaxe de sa langue maternelle qu'elle n'a jamais pratiquée. Un exil linguistique à l'envers, à la renverse qui bouscule et bascule dans l'identité salvatrice: se connaitre enfin, être reconnue pour ses origines en les portant haut et fort. Ce qui n'était pas le cas dans son pays, la Turquie où être kurde c'était être terroriste ou animiste...Ce petit bout de femme qui se raconte, celle d'y à quatre ans déjà et qui n'est plus la même ici sur scène, conte à son père, à son public en les désignant chacun par un "tu" universel. Elle est seule sur le plateau.Une chaise pourtant évoque l'absence du père, celui qui apparait et disparait de la vie de famille à son gré. Trois soeurs, une mère restent alors au foyer et cela devient "naturel", normal. Quand ce dernier revient de ses escapades inconnues, c'est la distance, puis le naturel qui revient au galop. Loin d'une autobiographie, plutôt une "autofiction", ce récit théâtralisé et mis en scène séduit. Autant par l'accent de cette jeune femme aux longs cheveux noirs que par ces moments incongrus de sa vie: celle d'une exilée qui apprend la "langue de son père" à l'étranger; histoire de déculpabiliser cette situation de paria sur son territoire, et de passer le temps utilement lors de son long séjour forcé par les circonstances juridiques et politiques de l'administration. Elle est frêle, autant que forte, timide ou réservée, autant que volubile et généreuse.
Elle s'éclate en évoquant une des conquêtes de son père en dansant comme un diable animé de bonnes intentions. Se régale le temps d'évoquer son destin de façon "légère" autant que grave. Pas simple à vivre "la honte" d'être kurde et de devoir le cacher. Mieux que sa mère qui le clame haut et fort alors que ce n'est pas son origine à elle! Jolie scène où l'actrice-auteure dévoile ses talents de cachotière, de dissimulatrice pour survivre à son statu. La prestation d'une heure, solo ou monologue passe la rampe et elle communique malicieusement sans caricature ni pathos, sa condition de femme qui cherche à se trouver, ici et maintenant en toute légitimité: son identité en poche, pièce maitresse de cette performance, entre récit et fiction, entre "document sociétal" et écriture théâtralisée. Gestes et déplacements précis autour de la chaise focale, partenaire, plaque tournante et pivot de sa gravité. Un corps précieux qui chante la vie, l'optimisme, la proximité des cultures sans enfreindre les lois de l'hospitalité: celle qu'elle adresse au public en toute pudeur et modestie. Tirer sa sa langue du jeu sans la tirer au public; un bel exercice de style...Sultane, reine, dirigeante de sa vie, souveraine en son pays comme l'étymologie de son prénom. En état se siège pour des assises paternelles et maternelles d'une grande rigueur distancée.
Sultan Ulutas Alopé a grandi à Istanbul, où elle a été formée au métier de comédienne à l’école d’art Kadir Has avant d’obtenir un master en Film et Art dramatique. Arrivée en France en 2017, elle se forme à l’École normale supérieure de Lyon − Études théâtrales − et suit la formation du Conservatoire national supérieure d’art dramatique de Paris en tant qu’élève étrangère. La Langue de mon père est son premier spectacle en tant qu’autrice et metteure en scène.
Au TNS jusqu'au 2 Février
1 commentaires:
Je crois que c'est sa langue paternelle et non maternelle qu'elle n'a jamais parlé...
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