lundi 29 septembre 2025

"En regard" Léo Lérus / Sharon Eyal: danses tribales, danses chorales.

 


« Faire corps » signifie transcender les individualités pour les unir autour d’une même force fédératrice. Dans The Look, les silhouettes sombres des danseurs et des danseuses se confondent et semblent ne faire qu’un – un organisme, un écosystème ou peut-être un microcosme. Un tout qui observe le public droit dans les yeux, et qui respire, se déploie, ondule et vit au rythme hypnotique et organique d’un flot musical aux influences tribales et post-industrielles. En regard de cette transe futuriste et collective, les solos et les ensembles intimistes d’Ici s’inspirent librement de la culture créole pour célébrer la singularité et les rencontres d’individus solaires, dont les mouvements génèrent sur scène des variations de sons et de lumières.


Sharon Eyal et Léo Lérus cultivent depuis vingt ans une complicité artistique et professionnelle, née de leur rencontre au sein de la Batsheva Dance Company. À l’invitation du Ballet de l’OnR, ils ont imaginé ensemble le diptyque
En regard afin de faire entrer en résonance leurs deux univers. Mêlant rigueur technique et expressivité brute, la pièce The Look (2019) renvoie pour Sharon Eyal à un mantra du Mahatma Gandhi – « Nobody can hurt me without my permission » – évoquant la résilience du corps, de l’esprit et des communautés humaines face à la violence et l’oppression. Elle trouve un prolongement et un miroir dans la nouvelle création de Léo Lérus, Ici, qui insuffle sa sensibilité et une énergie contemporaine à des traditions chorégraphiques et musicales guadeloupéennes remontant à la période de l’esclavage.

 Ici [Création]

Un solo introduit brillamment la pièce: une gestuelle ondulante, bassin, épaules engagés dans des volutes sinueuses, des cambrures et renversements du corps aux aguets pour inonder peu à peu les autres personnages sur le plateau. Ils apparaissent en ombre portées, longues silhouettes noires qui se détachent du fond de scène. L'atmosphère se dessine dans un brouhaha de musique tempétueuse proche d'un fatras sonore étourdissant. Les corps vêtus de tuniques et shorts se tordent, tétaniques, les mouvements morcelés pour une sidération qui se propage et enveloppe chacun. Corpus compact, dense, opérant vers des images de masse qui bouge et ondulent sauvagement La chorégraphie magnifie la vélocité, la rapidité des déplacements et l'on songe à la tribu de Gallotta, le Groupe Emile Dubois né de cette fédération des corps en meute folle, lâchée dans l'espace. Elue, une interprète se donne au sein de cette horde comme la sacrifiée du Sacre du Printemps où l'effigie de la féminité du Boléro de Béjart. Le culte de la communauté comme credo, la pièce de Léo Lérus est une composition chorale magnifique sur fond d'éclairages monochromes de toute beauté. C'est bien "ici" que des accents de danse "exotique" s'inscrivent dans les gestes: sauts, rebonds, virevoltes multidirectionnelles dans une énergie remarquable, unisson et diapason justes et précis pour former un seul être mouvant animé de solidarité et d'empathie.


Pièce pour 12 danseurs.
Chorégraphie
En collaboration avec les interprètes
Léo Lérus
Composition sonore
Denis Guivarc’h
Costumes
Bénédicte Blaison
Lumières
Chloé Bouju
Mise en répétition
Adrien Boissonnet

 


 The Look: 

Dans la quasi obscurité régnant sur le plateau, un corps compact s'anime imperceptiblement peu à peu et révèle dans une éclosion sensible l'un ou l'autre des danseurs. Partie intégrante d'un groupe qui va se disséminer dans l'espace et irriguer la scène de mouvements discrets, fluides. La musique rugit, craque, crisse et teinte le tout d'un mécanisme, engrenage galvanisant pour les interprètes en état de convulsion, de tétanisation enivrante. Mouvements angulaires, tracés directs, tout converge vers la sensation d'une respiration commune: celle d'un organisme unique fait de cellules vivantes. Danse chorale telle que l'autre souhaitée Laban, Joos ou Wigman dans la lignée de la Bastheva. En justaucorps noirs luisants, les danseurs font chorus et convergent sans cesse vers le choeur dansant. On songe à " Insurrection" d'Odile Duboc, on se prend à entrer dans cette meute débordante d'intégrité, de gravité et de rythme hallucinant.

Quand deux chorégraphes sont mis en regard, un miroir opère ses images renversantes sans leurre et révèle des affinités de composition dans l'espace comme rarement abouties.


[Créée par la Batsheva Dance Company en 2019.
Entrée au répertoire.]
Pièce pour 17 danseurs.
Chorégraphie
Sharon Eyal
Musique
Ori Lichtik
Costumes
Rebecca Hytting
Lumières
Alon Cohen
Assistant à la chorégraphie
Daniel Norgren- Jensen
Mise en répétition
Claude Agrafeil


  A l'Opéra du Rhin jusqu'au 29 Septembre

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire