du compositeur Januibe Tejera qui assume ici l’influence conjointe de l’écriture dramatique et des musiques de tradition orale sur son travail de compositeur. Programmé dans la plupart des festivals d’Europe et d’Amérique, il est entendu cette année pour la première fois à Musica avec sa pièce musicale inédite pour deux chanteurs, six musiciens et électronique, sur un texte de Kafka. Le spectacle réunir à cet effet la soprano Françoise Kubler, le baryton Thill Mantero et les musiciens de deux ensembles strasbourgeois: Accroche Note – ensemble de solistes familier du public de Musica - et HANATSU miroir – né en 2010 de la rencontre entre la flûtiste Ayako Okubo et le percussionniste Olivier Maurel.
Un dispositif scénique signé Jean Baptiste Bellon,singulier: deux cages, style grille Caddie, une estrade de foire, un podium tout rond...Une arène où apparaissent une femme en smoking à la Jules, cravate et un homme perché sur le praticable.Dans une joyeuse cacophonie, ils dialoguent et s'inspirent du texte de Kafka "Rapport pour une académie" au sujet de la présentation du "singe", animal inconnu, monstre et intrigante créature à disséquer pour mieux la "maîtriser".
Toute une époque est ici revisitée: celle des sciences naissantes sur l'humanité, les origines de l'homme, sa supériorité sur l'animal.Des claquements stridents, de la guitare électrique, contrebasse, batterie et vents pour donner la réplique au singe, qui parle, chante, se défend au tribunal de la légitimité animale.Procès en règle, loufoque évocation d'une justice fantoche, lampions de foire pour pasticher un monde qui balbutie et prend ses marques.Le baryton, seconde figure du singe, en cage, suspendu dans les airs , domine puis redescend dans la sphère d'observation. Vêtu de noir comme son double féminin.Les images vidéo défilent sur les écrans du dispositif scénique ingénieux, neige brouillée de l'électronique et image de corps nu, position vicieuse. Homme animal derrière les barreaux du grillage enfoncé dans la chair. On songe à la "locomotion" de Muybridge ou Marey, époque glorieuse de la découverte des sections et décomposition du mouvement. Direction jardin des Plantes et Galerie de l'Evolution pour cet opus qui emballe d'emblée et interroge. Visage qui se transforme, ou faciès de singe, Oran outan qui fait peur et intrigue...se métamorphose dans l'eau, bête capturée qui geint en contrebasse doublée: des émotions surgissent devant ces tableaux très esthétiques: voix et instrument se répondent, dialogue: Françoise Kubler fait ses "singeries" et ce duo sur la liberté interpelle.La captivité est-elle nécessaire? Le silence se rétablit peu à peu et de belles percussions frottées y contribuent: des images, encore des images vidéo pour cet interlude : poils, peau, terre, végétal en noir et blanc, sable et matières minérales,macrophotographies très anatomiques...La flûte borde l'atmosphère, geôlière de cette aventure, odyssée de l'espèce animale.Perchée sur un pneu, gonflé, absorbant les sons comme un bibendum boirait les obstacles, le singe-femme réitère sa verve narrative, tandis que son double balaie devant sa porte des gravas de scories noires...Qui dompte l'autre, qui apprivoise ou capture, qui fait le procès de l'espèce animale inférieure? Kafkaiennes situations obligent, l'atmosphère est loufoque, curieuse et tendue. Pas de répis pour musiciens et conteurs, ingénieur informatique ou imagerie animale...
L'animal imite l'homme à son dépourvu et au jardin zoologique ou dans le conservatoire d'anatomie comparée, le trouble règne.Tout ceci deviendrait-il du spectacle de variété, une tribune de foire où l'on montre les quasimodo, "monstres" à fuir?Dressage, verticalité et érection de l'homme sont ici évoqués malicieusement et dans ce laboratoire de sons, cabinet de curiosité musical, le scalpel opère!"Sortir de sa cage" s'exclame en boucle, le singe captif;un merveilleux dialogue s'installe entre voix et clarinette, Armand Angster aux embouchures.Répétitions sempiternelles d'une phrase sur les lèvres de la cantatrice en autant de variations virtuoses et complexes....Vélocité, déraillement et dérapage du saxophone: un morceau de choix et de bravoure dans cette pièce, cul de singe et face de primates, monnaie rendue contre des expériences outrageuses.
Un très beau solo du baryton Thill Mantero sur fond d'images de cerveau en cerneau de noix qui se dilate en morceau de chair vivante.Jambon cru de cabinet de dissection: on parvient auprès de quelques écorchés vivants qui font surface dans de beaux coloris...
Quelques effets stroboscopiques pour radioscopies introspectives musicales et nous voilà encore en proie à des images vidéo de toute beauté: système pileux du singe, poils et peau plissée comme ches Deleuze ou Michaux; sur cette "planète singe" les images macro défilent en noir et blanc scintillant, épidermique façon de border la musique qui horripile, dérange, décale et donne la chair...de singe!Dans une grotte, matrice génitrice, on embarque, gorge déployée où stalagmites pétrifiés dégoulinent dans la caverne obscure. Des formes baroques à souhait s'y dessinent comme aux premiers âges du graphisme et de l'écriture. Spéléologie musicale, retour aux sources, aux origines dans ces plis de la peau de pachyderme .La musique, hachée, pesante, envahissante auréole ces projections, visuels sidérants de justesse, façonnés par Marie-Anne Baquet.Agaçantes icônes qui ne caressent pas dans le sens du poil, comme l'ensemble de l'oeuvre, "Moi, singe", une affirmation d'une identité animale considéré, comme descendant de l'homme ou de l'arbre?
Des flon-flons de foire pour final, et l'on quitte la salle médusé par cet opus non identifiable, rencontre singulière de déjantés savants et surtout très attachants.
Une réussite sans contestation!
Et s'il fallait parler de Singe, allons chez Satie et Cunningham....pour "Le piège de Méduse"
http://genevieve-charras.blogspot.fr/2016/02/annee-du-singe-satie-et-cunningham.html
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