C’est avec quelques grandes œuvres de la musique russe que ce programme éclectique composé de trois parties se déploie.Un programme alléchant, bardé de surprises et de contrastes, fidèle à "l'âme russe" des ballets iconoclastes de Serge de Diaghilev!
Avec Pagliaccio, les chorégraphes italiens Mattia Russo et Antonio de Rosa, fondateurs et principaux animateurs de la compagnie « Kor’sia », interrogent, sur de la musique de Chostakovitch, la figure du clown, son humanité et sa sensibilité pour leur première pièce pour le Ballet de l’Opéra national du Rhin , interprétée par treize danseurs.
Il se fraye un chemin en passant sous le rideau de scène qui dissimule un décor inédit de cirque, arène circulaire où tout le corps en ronde bosse est atteignable et propice à l'observation... Clown blanc, pailleté, le personnage sera central tout du long, focalisant intrigue, dramaturgie et narration: quelle aubaine que d'assister à une création "figurative", où histoire, et rebondissement sont spectaculaire et divertissantes, au plein sens du mot!De l'audace dans cet opus qui révèle un cortège funèbre, sorti de derrière le rideau, de la porte symbolique entre scène et coulisse, du cirque. Porche qui livre un jongleur , acrobate argenté, scintillant, personnage burlesque au même titre que les autres, costumés à outrance dans un très bon gout, rutilant, ostentatoire et magnifique. On est au coeur d'une gestuelle caricaturale, d'attitudes et postures appuyées, comme expressionnistes dans une très belle et chaude ambiance lumineuse, orangée. Piste de cirque où fourmille cette horde soudée, famille de la balle, troupe de fortune, de personnages de cour des miracles. Comme dans une rave party à la Karole Armitage, ils se déglinguent et défilent, pathétiques pantins de pacotille.Des quilles comme accessoires de conformité à leur anti conformisme Indisciplinaire. Farandole de personnages bigarrés, redoutables pantins d'un destin tout tracé: celui d'appartenir à une familia sagrada, à la Fellini et ses "clowns" plutôt grotesques en farandole et cavalcade spectaculaire..
Un solo impressionnant de Pierre Emile Lemieux Venne pour mieux faire apprécier le talent et la virtuosité de chacun des interprètes danseurs.La meute se militarise, gestes à l'unisson, taillés comme une batterie de miliciens.Le clown blanc , dresseur de fauve, aux prises avec un corps animal: une séquence bordée par la musique qui se distord, animée de "modifications" singulières à la partition initiale de Chostakovitch! Qui ne renierait surement pas cet "irrespect" et ce "blasphème" salvateur! Une farandole quasi "folklorique", coda toute de l'âme russe, chère au compositeur, vient rappeler que la musique et la danse sont patrimoine et culture, archaïsme et source de démantèlement, de "démembrement" : les gestes y sont détenteurs de citations, de repères et en rang serrés comme à l'armée -alarmés- voici notre troupe de vagabonds dociles, en proie à une manipulation de marionnettes, : on songe à la période "russe" des ballets de Diaghilev ou le panache, la russité et le folklore s'exprimaient dans un langage révolutionnaire, empreint des racines cultuelles du pays d'origine !L'exotisme rutilant, rougeoyant magnifier dans de sublimes ralentis de groupe, maitrise de la vitesse et du temps, remarquable.... Un duo bien "déstructuré", dressage de l"animal qui sommeille en chacun de nous, dompté par les forces du volontarisme : question de politique ici, celle des corps contraints, des pensées figées et manipulées par un pouvoir extérieur. La mort du clown, meurtre inéluctable pour conclusion, fin de chapitre, épilogue fatal à cette évocation très pertinente d'un monde de fantoches, de tyran, de patron, pétri cependant de poésie, de délicatesse et de véracité. Sous le couvert du déguisement, de la dissimulation des identités: des chants polyphoniques pour clore cette évocation de la musique "russe": des saluts de cabaret, distingué, expressionniste, grand "dégenrement" irrévocable. Une pièce majeure dans le répertoire du ballet ! Une dramaturgie signée Giuseppe Dagostino toute d'intelligence et de pertinence au regard de la chorégraphie, osmose et symbiose de savoir faire sans trace de théâtralisation ni "mise en scène" !
Bruno Bouché, quant à lui, crée 4OD pour sept danseurs de sa compagnie sur des compositions de Rachmaninov et Scriabine.
Comme un bouquet de corps silencieux, la pièce démarre, dans une très belle et sobre écriture académique.Pointes et justaucorps pour les filles, portés magnifiques pour les garçons, duo très lents des femmes enlacées: ils s'observent, se calibrent dans une lente marche prospective: Solitudes , destinées inexorables pour ce groups soudé mais dont le lyrisme chorégraphique atteint une certaine félicité dans la sobriété et la rigueur d'une exécution sensible et à fleur de peau.Oeuvre très inspirée, recueillie en hommage à "Eva Kleinitz".Et le piano de Maxime Georges, d'épouser ce lyrisme avec grâce et volupté.Doigté et sensibilité extrême.
En clôture de cette soirée aux accents russes, avec cette nouvelle version de ses Beaux dormants, un spectacle initialement destiné aux enfants qu’elle revisite pour en proposer une nouvelle mouture pour tous les publics, la chorégraphe canadienne Hélène Blackburn retrouve La Belle au bois dormant de Tchaïkovski pour interroger les moments décisifs, troublants, parfois douloureux, de l’adolescence avec toutes les questions qui s’imposent dans cette transition vers l’âge adulte.
De savoureux commentaires d'enfants en prologues, projetés sur fonds d'écran, sur princes et princesses au jour d'aujourd'hui: fameux dires croustillants sur "le conte" et ses frauduleuses promesses de réparation! De grandes parois bleues, mobiles comme espace de divagations: les personnage en fracs noirs s'y complaisent à jouer à cache cache, à s'y perdre.Dans ce labyrinthe propice à la poursuite et la dissimulation...De petits solos, courts, brefs, tétaniques comme autant de sortilèges et menaces divers dans ce monde de conte de fées démembré: une très belle unisson des six hommes sur la musique qui se fracasse entre partition d'origine et mixture déphasante... Un solo s'en détache, virtuose interprétation de Ryo Shimizu, entre autres performances dansées!La bande des garçons opérant à merveille dans une version décapante de cette "belle au bois dormant", secouée, réveillée, piquée de plein fouet par un imaginaire décapantLa musique triturée, déformée, décor de ronces, de foret ou de clairière, griffes à la Hartungl
Des duos métronomiques sur piano forte, une écriture en construction rigoureuse capable d'engendrer un solo, en jean, sur mouvements graciles de harpe... Incongru et insolite dérapage, décalage d'époque..Les baisers des princes aux princesse comme épilogue anti conformiste ! La vie agitée des eaux dormantes a du bon ! Pour réveiller contes et légendes échappant à toute édulcoration!
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 13 Novembre,
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