jeudi 23 juin 2022

"L'abri" au Festival de Caves: dans des villes invisibles ou un aven bien gardé! Poste frontière ....

 



Un abri, au milieu d’une lande désertique. D’un côté la ville, de l’autre, une région délaissée et interdite.

L’égal vit dans l’abri.
Le double atterrit là, au hasard d’une longue errance. Il a fui hors de la ville.
La rencontre de ces deux figures. Et la zone interdite ? Pourquoi ne pas essayer d’en franchir le seuil et de s’y trouver ensemble ?
Quitte à s’y perdre et disparaître ?

Descendre dans une cave n'est pas anodin...Ambiance fraiche, noirceur de la lumière qui semble se taire, s'éteindre pour laisser place à un monde de rêves, de peur, de fantasmes. Alors on s'y assoit en cercle, autour d'une curieuse silhouette assise face à une mappemonde en porcelaine transparente, lumineuse...Le monde de l'obscurité est à nous...Il prend la parole ce "vagabond" du monde, éclairé par un néon vertical, qui parle de chaos, de poussières d'étoiles, de cosmos qui se déglingue: comme une petite géographie ou  géologie du désastre.Boue et marais, cloaque, pulpes de matières qui façonnent cet univers que ce magicien de la terre semble conserver, recueillir, garder du haut de cette houppelande de plumes et de ses godillots de soldat de science fiction.Une voix off féminine vient troubler son monologue fataliste mais non moins poétique. De ce second néon apparait son double: une femme archaïque mais bien vivante, surgie de la grande ville!Une sirène de bateau se fait entendre, très cinématographique, dessinant un autre espace. Celui de la liberté ou Lorelei envoutante? Face à ce gardien d'un temple de béton à la Denis Pondruel, ou telle une casemate, bunker échouée sur la plage,(celle de JR et Varda dans "villages visages").


Elle est libre et ses propos, son soliloque plein de désir de fuite, d'évasion ne résonne pas encore aux oreilles du veilleur de phare. Rivé à son poste, figé, inamovible travailleur de la nuit dévolu à son destin, sa détermination.Refuge, forteresse contre cette vagabonde échappée de la cité féroce, au seuil de l'inconnu. Elle sème le trouble, le désarroi et se glisse dans les failles, les interstices de cet homme défait. Un face à face débute, confrontation violente, virulente acharnée, vindicative ou simple discours chuchoté à son oreille... Va-t-elle le convaincre de se convertir, de changer de peau, de la troquer contre des atours libertaires? Fracas, fatras du destin pour cet homme dans sa planque, son poste avancé dont il s'est fait responsable . Un roman de chevalerie ou une fraction d'album de BD de science fiction? La pièce, duo, dialogue se construit sur cette écoute singulière, cet échange, ce va et vient de propos sur le vaste monde à découvrir. Sortir de la ville, s'échapper de son poste en l'abandonnant: mais pour quoi, pour qui. Un beau duo quasi amoureux et sensuel comme un acte charnel s'ensuit.Susurré, murmuré.Elle lui parle d'acidité de la pluie, de ce manteau de gouttes pour vêtir sa marche folle d'évasion, de libération.Sans alarme, comme une bête traquée qui fuit.Étonnée, curieuse devant ce cube de béton, antre de cet homme fragile, naïf et serein.Zizanie féminine semée face à l'immobilisme de pensées inamovibles.Ce veilleur sans relève, garde du dérèglement est touchant devant ce doute semé d'évasion.Une autre ville proche, désertée à la Laurent Grasso fait irruption dans leurs évocations de l'étrange, de l'inconnu. 

laurent grasso

Comme Pompéi, médusé par la catastrophe qui détient le souvenir, la mémoire pétrifiée des hommes.Ville close, interdite, abandonnée à saisir. Dans sa gabardine de plumes il songe à la liberté, elle, la vit et veut la partager, en sorcière bienveillante ou maléfique, entrainant dans son sillage et sous son capuchon qui la protège et la dissimule, son désir de passage à autre chose.

Ce beau duo de proximité interdite mais franchie par l'envie de s'apprivoiser, est sobre, mis en scène par Paul Schirck et le texte de Vincent Simon déroule ses hésitations, rêves, fantasmes de quitter le bloc opératoire urbain et mental dont nous sommes victimes consentantes et tributaires. C'est bien une "chambre de danse mentale" avec ses escaliers de béton de Denis Pondruel...

Au delà des clôtures, se dessine leur territoire: encerclé par un néon vert fluo, qui apparait au diapason d'un triangle qui tintinnabule: c'est leur rêve qui se réalise que cet îlot, insulaire dans un estuaire onirique. Frontière dans cet péninsule, cet archipel,cette constellation flottante qui songe à l'évasion, la fuite, la fugue. Très belle image plasticienne que cet enclot éphémère dans l'obscurité de la cave. Deux magiciens, cartomanciens autour d'une boule lumineuse riche de propos invraisemblables oracles de Pythie.  Paysage factice, artefact, lumineux qui invite à l'évasion...Voyage, partage pour s'évader, s'aider en premier de cordée, en rappel, liés, solidaires. La métaphore est bien choisie: guide et conducteur, Saint Christophe se conduit bien! "Donne ton poids, lâche toi, navigue, embrasse, pour mieux se soutenir, s'accompagner dans le risque de vivre". Se supporter aussi. Les consignes sont bonnes mais c'est la mort et la disparition qui l'emporte. Est-on toujours prêt à assumer risques ou remords, compréhension ou complexité de la vie? Le texte de Vincent Simon est limpide autant qu'obscur pour semer le doute et l'envie d'avancer, seul ou ensemble....Les deux comédiens, Bérénice Hagmeyer et René Turquois fort convaincants dans des rôles pas toujours discernables mais bien campés.

L'Abri au festival de Caves à Strasbourg le 22 JUIN

 

 

 

Texte de Simon Vincent – Mise en scène de Paul Schirck – Avec Bérénice Hagmeyer et René Turquois – Musique originale de Simon Pineau – Costumes de Louise Yribarren –

En coproduction avec la Cie l’Armoise Commune

 

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