lundi 20 juin 2022

"Un Platonov" Tchekhov et Serge Lypszyc au Guensthal: un Don Juan de pacotille, un insti-tuteur, insti-gateur...

 


THEATRE FORESTIER ... Des champs à la ville et de la ville aux champs... Sous ce titre générique se dévoile une proposition singulière. Faire naître des oeuvres en pleine forêt vosgienne avec cette année une nouvelle création : Un Platonov d'Anton Tchekhov. Avec pour objectif de redonner du sens au plaisir, au partage artistique et à la convivialité, d’interroger le monde et de placer l'acteur au centre du théâtre.
"On ne joue pas avec les gens, c’est monstrueux ! Ils sont comme vous les gens."
Tchekhov, à jamais notre contemporain.

On ne sait rien. Tchekhov cloue le bec à tous les donneurs de leçon. «Platonov» porte en lui tous les thèmes qui feront de Tchekhov l’immense dramaturge que l’on connaît.

Nous sommes témoins, complices, rats de laboratoire. Tchekhov parle de nous. Pas de héros. Rien que de l’humanité. Un Platonov de « quadras » qui nous questionne sur le monde d’aujourd’hui, la perte de repères, la peur du lendemain, la sacralisation du passé. Jouer Platonov, c’est chercher le creux. C’est questionner le vide, miroir de nos vies. Cela doit être drôle, risible et triste à en crever.

Et c'est toujours un bonheur que de se retrouver "Vallée de la faveur", un havre de paix, de fraicheur sous la canicule ambiante. Toujours accueillis avec le sourire par les "petites mains", fidèles au poste et au projet convivial de cet événement estival: du vrai théâtre de plein air!

Assis, face aux tréteaux, le public se concentre dans cette prairie champêtre et assiste aux ébats abracadabrantesques et "dantesques" de nos quatorze personnages, tous à leur façon, hauts en couleurs, cinglants ou tendres naïfs....Les caractères se dessinent au fur et à mesure du déroulement de l'adaptation de ce "Platonov" de Tchekhov, au gré des apparitions, en couples, trio ou grappes de héros décatis.De beaux monologues facinent et font plonger dans cette saga furibonde qui tourne autour de la célèbre "Anna Petrovna Voinitsev", matrone, madone sensuelle, patiente mais qui se révèle aussi hôtesse autant qu'amoureuse arachnéenne au fil tendu pour ses proies pas si faciles...Isabelle Ruiz en femme fatale pertinente égérie du "sexe faible", forte et solide comme un roc!Les femmes dans cet ode au masculin, s'en sortent à coup de gueule, de tension, d'amour aussi: Emma Massaux en Maria révoltée, Pauline Leurent en Sofia, objet ravissant de son mari épris à la folie de sa beauté radicale, Alexandra, Sophie Thomann,épouse de Platonov, crédule, soumise, serviable et naïve proie de son époux infidèle.....Les hommes, tous rivaux ou objets de désir, de désarroi sont une panoplie délicieuse de genres, du grotesque père , colonel en retraite joué par Francis Freyburger admirable comique qui ne s'ignore pas, à la gouaille de circonstance, la bonhomie requise pour apaiser les conflits de coeur.....au jeune médecin, Jerôme Lang,ivre de son métier qui le trahit, le fourvoie dans ce labyrinthe de sentiments et de circonstances à devenir fou, à vendre son âme au diable, à perdre pieds...

Et Platonov, ce fourbe et attachant personnage central, pétri de contradictions, de heurts, sans port d'attache, veule mari perfide ou fabuleux conteur de mensonges: on est en empathie avec Yann Siptrott, constamment sur la brèche, Don Juan pas encore usé par le labeur de la séduction abusive et harcelante...Un "numéro" d'acteur qui lui sied à merveille, habité, manipulateur, affabulateur ou marionnette abusée par le sort...Quel morceau de bravoure que ce "Platonov" enivrant comme ce beau soir d'été où tombent fraicheur et poésie sur le public nombreux, fasciné par ce récit si épidermique, mis en scène avec brio et simplicité par Serge Lipszyc, fan de Tchekhov, (Ivanov, Un Platonov, Trois soeurs, Oncle Vania, avec Robin Renucci) d'ambiances et d'espaces bucoliques où rien n'échappe à la cruauté du destin. Lui même assassin raté, Ossip, voleur de chevaux (que l'on entend d'ailleurs hennir tout près de nous). Un poème "paysan" que cette pièce magique, à l'image des hôtes du Lieu, les sculpteurs-plasticiens Siptrott... Un "endroit" propice à l'imagination, ce Guensthal fabuleux: même des moutons y font une apparition rituelle inopinée comme par magie: métaphore de Platonov que ces animaux faisant partie du hasard de la temporalité?A l'entracte, on déguste une soupe de chez Anthon, à l'accueil du bon vin blanc et l'esprit du théâtre de plein air prend le dessus pour une expérience unique de spectateur engagé dans ce parcours atypique de théâtre de proximité. Tchekhov, toujours vivant!!!!Et incarné par une troupe, délicieuse formation de comédiens tous uniques, tous soudés par le plaisir de partager les affres d'une saga complexe! 

Les 25/26 Juin et 2 et 3 JUILLET au Guensthal: Windstein à 18H


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