Avec Superstructure, Sonia Chiambretto propose le récit
choral d’une jeunesse algéroise, dont la vitalité se heurte au climat de
peur de la « décennie noire » (1991–2002). Elle donne la parole à des
personnages qu’elle situe dans un Alger imaginaire, reconfiguré par Le
Corbusier, tout en explorant le moment essentiel de la guerre
d’indépendance et de libération entre 1954 et 1962. Aussi
projette-t-elle avec audace ses personnages dans le futur. Hubert Colas
met en scène cette parole poétique, brute, vivante et fragmentaire −
comme des couches de mémoire restituant ces moments historiques − qui
nous rappelle les tragédies politiques d’un peuple toujours en
souffrance, mais porteur d’un désir d’avenir.
Comme une sirène, une naïade sortie des ondes, une femme surgit des eaux de la mer, projetée depuis notre entrée dans le théâtre sur fond et sol miroitant...Traversée de la mer, retour au port d'attache....Les eaux dormantes du port d'Alger vont se réveiller doucement dans un long traveling qui balayera le fond de scène jusqu'à révéler maisons agrippées à la côte, et tout un panorama circulaire ambiant. Les comédiens installent peu à peu des bribes d'ossature, de squelette ,morceaux d'architecture à construire, comme un puzzle de bois aux formes à la Richard Deacon...Ce sera ce serpent de mer, cette hydre qui viendra comme un secret révéler le projet utopique d'un certain Le Corbusier pour la cité d'Alger Palimpseste de la mémoire, objet exhumé comme un sujet archéologique du futur, la pièce va bon train, les mots sortent des bouches qui délivrent récites, témoignages et envies de délivrer des propos tenus secrets: parce que inaudibles, féroces, indescriptibles paroles sur des faits de guerre larvée...Jamais fossilisée ni embaumée dans du formol comme Une maquette de ville idéale se construit sous les projecteurs, labyrinthe géométrique, projet à demi réalisé pour la ville qui s'invente.Un dance-floor pour cette jeunesse qui conte des faits qu'elle n'a pas vécue mais qui sont imprimés dans la chair, la mémoire...Un chant d'Aznavour repris en mélodie chorale installe cette nostalgie fantôme parmi ce petit groupé soudé, solidaire et porteur de mémoire "muséale".Conservatoire du vécu, de la pensée qui ne semble pas avancer sous le joug du poids du silence, du non-dit...Et pourtant le texte éclaire, souligne: un témoignage vidéo troublant sur les soldats et occupants qui s'installent dans le jardin d'Eden d'un homme, dévorant les fruits de son labeur, alors qu'il ne peut y avoir accès...Seconde partie: le maquis, l'aire de camouflage des résistants, sorte d'hommes sauvages, de troncs d'arbre moussus: des images à la Charles Freger, hommes qui chantent en chorale et scandent l'Algérie "française" aux oubliettes ou resurgie...Cette jungle habitée par des combattants aux discours édifiants se mute en drapeau algérien, au sol, en vert-rouge, étoile et demie-lune en figure de proue...Et c'est Miriam Makeba qui clôt le chapitre, laissant avec ses rythmes enjoués, cette tribu, population jeune et pleine de vie et de mouvements.Sonia Chiambretto pour le texte sans concession, poétique pourtant et sans mascarade de mots signe ici un manifeste courageux et sensible dans une mise en scène spatio-temporelle de Hubert Colas,nourrie d'architecture et de lumière, de bruits et de sons réunissant une atmosphère nourrie de textures sonores signifiantes Alger.Cité de la transformation autant que des vestiges d'un passé douloureux mais vivant! Les comédiens servant cette jeunesse avec humanité, sobriété, respect et empathie certaine...
Sonia Chiambretto est écrivaine, performeuse, et publie dans des revues de poésie comme IF, Nioques et Grumeaux. Ses textes, mis en scène par des metteur·e·s en scène ou chorégraphes, sont publiés chez L’Arche Éditeur, Actes Sud-Papiers et les éditions NOUS. Ils sont traduits, lus ou représentés à l’étranger. Elle enseigne à l’université d’Aix-Marseille et à l’école du Théâtre du Nord. Avec Yoann Thommerel, elle fonde en 2016 le Groupe d’Information sur les Ghettos (GIG), créateur notamment du questionnaire dramatico-futuriste, TNS 2068 !, pour les 50 ans du TNS.
Au TNS jusqu'au 15 JUIN
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire