Cinq techniciennes arrivent sur scène. Le spectacle, Les Bonnes de Genet, a joué la veille et il est temps de nettoyer et remiser celui-ci afin de préparer la représentation du soir.
Au fur et à mesure du rangement, les petites humiliations que subissent
chacune des techniciennes dans cette équipe de travail sont révélées et
sublimées au moyen de fictions qui naîtront de leurs échanges et des
gestes de la remise en place du décor.
Alors que les cinq femmes font du plateau un lieu de l’expérience d’un
modèle de liberté, certains mécanismes de prise de pouvoir viendront-ils
rendre la tâche difficile ?
Une tombe fleurie de plastique banal, un fauteuil, quelques bougies, une croix sur le plateau....Elles chantent, cinq femmes en jeans, en nettoyant, rangeant s'affairant comme des fourmis laborieuses, consciencieuses...Joyeusement sur des rythmes connus en dansant . "Soubrettes ", bonnes à la tâche, obéissant à la "clochette-sonnette", domestiques dociles et soumises.Déplaçant sans cesse caisses de fleurs et autres accessoires pour vider la scène, accueillir le prochain spectacle qui va s'y dérouler sous la houlette de Clémence la metteur en scène fort déplaisante et hautaine. La critique d'une société hiérarchisée, codée et inamovible comme une caste indienne, se dessine à travers les propos de la régisseuse en chef, "Pat", Ruby Minard,petit soldat à la solde de ce montage fatal et fatidique.L'inversion des r^les comme en temps de carnaval sera leur jouissance défensive, ardente revanche du sort: il en va de leur "monologue" vindicte féroce de leur statu social , de leurs émotions inhérentes à ce travail qu'elles aiment mais subissent sous les coups du mépris, de l'humiliation. Chacune se raconte et prend le plateau à tour de rôle: Pat critiquant leur maitresse-matrone, "la meilleure metteur en scène, snob, imbue d'elle-même..La "bonne Pat", dindon de la farce, techni-chienne obéissante aux moindres caprices de Madame ...Qui promène ses deux actrices au SPA où au musée pour se relaxer avant la représentation des "Bonnes" de Jean Genet.De beaux effets comiques sur ces portrait qui se succèdent, rythmés, scandés par une DJ, une technicienne à l'affut de l'action. Au tour de Leila de revendiquer sa place sur un piédestal de caisses chancelantes: l'effet "carte postale", énigme qui se révèle enfin: on lève le voile sur un épisode brûlant: un règlement de compte cruel à propos du tableau de circonstance"la servante en extase" vu au musée.En princesse-maitresse vêtue de sac de plastique, Leila chante son désarroi, sa peine et sa révolte: être assimilée à cette icône de classe, de caste, la ronge et son chant est fort, beau, résonant de haine, la voix chaude et féroce.Le psychodrame se renforce avec Nathalie, elle aussi victime d'insultes, de malveillance, de harcèlement venus de la patronne, harpie de luxe, patronne de peu, image de la domination de classe...Numéros et monologues expiatoires, libération des âmes touchées, coulées par le mépris.Trop "bonnes" avec Clémence, la cheffe, sadique comme cette scène d'épilation suggérant le sacrifice et la torture endossés par les servantes, les femmes de services.La "servante" celle aussi, lumière qui veille sur le théâtre quand il est fermé !La seule qui travaillait durant la pandémie, à guichet fermé....Les sévices sont graves et impriment la vengeance qui sera hélas, fatale à cette mascarade: la sentence ne saurait tarder sur ce petit peuple en révolte: Pat sera "virée", désespérée et ses consœurs lui feront un enterrement digne de ses sacrifices: fleurs et couronnes de plastique, masque aux yeux écarquillés de tyran, comme des véroniques sacrées en tulle de tarlatane..Jolie idée de mise e,n espace, costumes interchangeables, fleurs inondant le plateau pour évoquer celles de Jean Genet venues phagocyter l'intrigue, envahir et noyer le poisson, le poison de la haine...Le chant de Leila, Naema Tounsi, se renforce, présent, vindicatif à outrance dans un timbre foudroyant et ample. Quelle voix puissante, quel jeu convaincant et subtil...Cette conspiration solidaire se termine par l'image d'un épouvantail affublé d'oripeaux,chaussé de gants de ménage en grappe, cérémonie d'enterrement de Pat, robe à fleurs artificielles au corps: retour au décor d'origine: tout est en ordre, on a fait le ménage mais la représentation aura-t-elle bien lieu? La crécelle des projecteurs comme musique pour ce soulèvement hiérarchique de bon aloi, sur fond de décor modulable à souhait, de voguing, défilé de mode critique des mœurs d'un milieu bien miné par l'orgueil et le pouvoir.Danse de sabbat finale pour honorer et conjurer le sort de ces "sorcières" mal-aimées. On ne mélange pas les torchons et les serviettes dans cette diatribe signée par Juliette Steiner, interprétées par de jeunes comédiennes au talent évident de jeu, de chant, de malice aussi. De vérité, de limpidité, de fantaisie non dissimulée qui ce soir là à la Pokop, fit l'unanimité d'un public séduit et emballé par tant de générosité!
Démostratif - festival des arts scéniques émergents
Du 31 mai au 4 juin 2022
À Strasbourg Pokop
Le festival des arts de la scène dédié à la jeune création fait son grand retour pour cette fin d’année universitaire ! Durant 5 jours, sur la thématique « Inévitables révoltes », une trentaine de spectacles, performances, concerts, petites formes ou encore expositions investiront plusieurs lieux universitaires dont La Pokop et la BNU. Dans une université ouverte sur la cité, ce festival se veut un point de rencontres pour les artistes de demain.
Mise en scène : Juliette STEINER
Assistant à la mise en scène : Malu FRANÇA
Textes à partir du plateau : Olivier SYLVESTRE
Jeu : Camille FALBRIARD, Ludmila GANDER, Ruby MINARD, Naëma TOUNSI, Ondine TRAGER
Création lumière : Ondine TRAGER
Création son : Ludmila GANDER
Scénographie et masques : Violette GRAVELINE
Costumes : Juliette STEINER
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