Pour Sylvain Riéjou, mots, gestes ou images sont autant d’amorces pour entrer en dialogue avec le public et partager ses interrogations les plus intimes. Ici, la nudité et ses représentations. Je rentre dans le droit chemin poursuit une réflexion entre corps et vidéo déjà présente dans son premier solo, Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver (2017).
C’est au sein de l’association Cliché, créée en 2018 que Sylvain Riéjou développe sa propre démarche artistique. Cherchant à exposer l’acte de création au regard des spectateurs, il imagine des autofictions qui sont autant d’explorations vidéo-chorégraphiques où interviennent danse, musique, texte et images. Je rentre dans le droit chemin, son second solo, s’intéresse à la représentation du corps dans l’art et la publicité. Ce faisant, Sylvain Riéjou relève les contradictions qui en émanent et interroge notre regard : « Pourquoi un corps donné à voir dans toute sa vérité, donc nu, sur un plateau, dans une visée artistique, choque-t-il bien davantage – les enfants comme les adultes – que toute vidéo aux allusions clairement sexuelles, à but commercial ? » Partant de ce constat, l’interprète se met au défi et revient sur la confusion, trop souvent faite selon lui, entre nudité et obscénité : « C’est ce que l’on fait du corps qui peut devenir pornographique et pour cela pas besoin d’être nu ». Mêlant bribes de récits personnels mâtinés d’autodérision à la mise en jeu de sa propre nudité, le danseur s’expose avec une étonnante retenue et nous rappelle en quoi la création artistique est elle aussi une autre forme de mise à nu.
Une "partie" de plaisir sans la censure du "carré blanc"...sur ses parties.
Seul sur scène, le voilà qui entame son "one man show" en nous livrant le fruit de ses préoccupations "nues et crues" sur un sujet brûlant: le "nu": il rentre dans le vif du sujet, vêtu normalement, à la table d'un conférencier classique. Mais les choses vont très vite basculer pour une "démonstration" des résultats de ses questionnements, entre autre "comment s se -me- mettre nu sur le plateau de théâtre"?
Après déboires et erreurs d'aiguillages, après même une vidéo expérimentale clip "à propos de Sainte Geneviève", il se met "en branle", se dévêtit dans le noir pour faire surprise et pour mieux resurgir avec un carré noir sur le sexe, sur fond blanc à la Mondrian...Nu devant un pupitre improvisé, ultime bouclier ou paravent, il ne dévoilera ses "parties" que plus tard en présence de son clone, grandeur nature en vidéo simultanée.C'est drôle et efficace, son corps "imparfait" selon ses dires, rayonnant de pudeur.Ses "mollets de coq", ses fesses qui tombent, autant de morceaux de bravoure sur une dissection joyeuse de ses "valseuses" et autre sujet-objet de désir ici désacralisés comme les corps des naturistes dans les camps de vacances.Rien de moins érotique qu'un corps nu...Il continue par chapitre à nous conter ses mésaventures avec ce sujet complexe qui a hanté la Danse depuis longtemps: Laban, Duncan, Halprin et d'autres (sacha waltz).... "Danse "musculaire","danse du corps articulaire", tout y passe savamment décortiqué, preuve à l'appui, illustré par des gestes à propos.Danse fluide ou tétanique, morcelée ou aérienne d'un corps nu qui laisse entrevoir un sexe qui bouge, "danse" s'il le faut. Pas de coque, ni de collant, justaucorps, "seconde peau sans trou" ni tutu plateau....pour occulter le corps en son entier et dans son plus simple appareil.Les animaux sont ainsi, à poils sans se questionner à rebrousse poil sur leur condition sociale, esthétique et comportementale.Un rien l'habille, ce conférencier, impudique en diable malgré tout.L'histoire picturale du corps nu l'intrigue et lui fait prendre une série de poses évoquant La Maia Nue, la Vénus de Botticelli, le Christ en croix et autre déjeuner sur l'herbe, révolutionnaire ou à scandale.Des gros plans sur son visage très expressif montrent que le visage à nu est symboliquement le vecteur et médium de cette nudité que l'on expose tous les jours sans pudeur: le maquillage en serait l'habillement. Roland Huesca l'inspire, ainsi que Jerome Bel ou Xavier Leroy qu'il reproduit à merveille et à l'identique dans ses métamorphoses gestuelles d'un corps transformé à la Coplan. Ces citations pour nous dire que les piétas sont aussi l'expression d'une mise à nue du corps savant, pensant Une danse "pantomimique" de la peur, proche de Chaplin ou de la danse d'expression, un renoncement à "la danse du renoncement" de Saint François d'Assise, nourrissent son propos et sa gestuelle. Des corps virtuels amoncelés, une danse "synthétique", aérienne et spacieuse abreuvent ses théories fertiles en rebondissements.Humour, détachement et distanciation au menu de ce festin, "grande bouffe" du corps pudique revendiquée. Trois p'tits tour de verge et puis s'en vont, notre "marionnette" fort sympathique à la Kleist prouverait que ce vaste sujet défrise et questionne notre rapport au corps dansant, penchant, pensant. Seule une diction et un débit trop rapide fond obstacle à la compréhension à une lec-dem de qualité: quelques leçons d'éloquence pour cet avocat du diable avec lequel on est en empathie seraient nécessaires...Un spectacle bis corps nu de toute intelligence!Sylvain Riéjou en figure de proue et tête de gondole du palmarès de l'humour en danse, ce qui n'est pas peu.
A Pôle Sud jusqu'au 9 Novembre
1 commentaires:
Super
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