Avec cette exposition performative, (LA)HORDE explore les avenirs pluriels de la danse dans son rapport passionné avec le cinéma.
À la tête du CCN Ballet national de Marseille depuis 2019, le collectif (LA)HORDE développe des créations pluridisciplinaires en articulant toute sa recherche autour de la danse – avec une attention particulière donnée aux formes chorégraphiques de soulèvement populaire, individuel ou collectif. Ensemble ils réalisent des spectacles aussi bien que des films, des performances ou des installations.
Inspirée ici en particulier par les potentialités physiques des
comédies musicales et des films d’action, la compagnie s’empare
allègrement de Chaillot pour y faire surgir à l’intérieur et à
l’extérieur de multiples propositions (des sculptures vivantes, des
installations chorégraphiques performatives…), sous l’intitulé WE SHOULD HAVE NEVER WALKED ON THE MOON (« Nous n’aurions jamais dû marcher sur la Lune »), citation empruntée à Gene Kelly.
Mobilisant une cinquantaine de performeurs, dont plusieurs cascadeurs,
un groupe d’amateurs et un DJ, l’ensemble déclenche une intense
effervescence et tend à une galvanisante conquête poétique de l’espace
public.
"Espèce d'espace" disait Perec: nous y voici dans l'invraisemblable labyrinthe du Palais de Chaillot, un dédale de couloirs, d'escaliers, de salles de spectacles transformées en pole d'exposition ou de performance, dévoilant l'envers du décor, la danse comme passe-murailles, derrière le miroir de notre imagination! Coup de chapeau à la Horde pour ce complexe parcours, dispositif hors scène, hors-norme qui déborde de partout , irrigue le territoire de danse comme une trainée de poudre...La danse, partout et sous tous ses angles ou focales, zoom sur Lucinda Childs, sur François Chaignaud, sur Ooana Doherty et bien sûr sur l'écriture chorégraphique, scénographique du collectif indisciplinaire de Marseille: une "Bande à Bonnot", des perturbables" Innocents", affranchis de toute discipline, électrons libres du plateau, tapis volant des concessions et autres sentiers battus de la création.
Durant trois heures, un marathon salutaire, aérobique pour le spectateur haletant de curiosité, allant de surprises en surprises, cheminant d'un endroit à un autre, à l'envers, à l'endroit pour une jubilation non dissimulée. Car il faut du tonus, de la résistance pour cette "marche", démarche volontaire et collective que l'on effectue dans l'immense bâtiment dévolu à la libre déambulation physique des corps, voyeurs de cette "ob-scène" mise en scène, derrière le rideau: comme ce passeur de muraille de Woody Allen qui franchit l'écran, les limites du possible et rend crédible l'impossible, l'utopie, les non-lieux de la danse. Tel Didi Huberman, on assiste à un "soulèvement" des montagnes, "ascension du Mont Ventoux" des possibles et il faut saluer l'audace et la détermination de ce projet qui fonctionne, décale, déplace la danse et ses publics dans d'autres "troisième lieux" inexplorées..Ceci avec l'adhésion, l'envie, la patience de ses milliers de perturbateurs-acteurs-spectateurs en proie à la fièvre d'un soir animé!Décapant à souhait...
La pièce de François Chaignaud en prime, quatuor dansé sur pointes, hommes et femmes dégenrés pour un trèfle à quatre feuilles qui porte bonheur aux chaussons de danse et au vocabulaire trituré du classique.Pieds flexs et portés en couleurs pour des corps canoniques dégenrés, des interprètes sur mesure sur les marches du Palais ou en salle Béjart...Lucinda Childs en majesté aussi dans ce grand désordre, bazar au Bonheur des Dames, Bon Marché de la création, Samaritaine du jamais vu hors de prix mais avec palmarès et trophée de l'inventivité!La Horde à bonne place pour investir le Foyer de la Danse avec une Limousine hors norme, égérie des films noirs d'espionnage ou de détective...En continu se déroulent les affres d'une violence, d'une indécence revendiquée et assumée.Car cette génération aux rênes de la conduite collective d'une "institution" en révolution permanente sur les barricades est sans pitié et offre un panorama cru et nu de la sexualité, des rapports sociaux avec une poésie "hourloupe " et "oulipienne ", pataphysique chorégraphique inégalée sur l'autel de la performance. Quand un rideau de pluie vient désaltérer la salle Jean Vilar, transformée en agora, arène du spectacle, c'est "bienvenue" au scandale et aux pieds de nez à la convention de l'écriture chorégraphique...Films et vidéo comme bivouacs décapants, haltes non rassurantes sur le présent et l'avenir des meutes et hordes sociologiques...Et dérouler le tapis rouge incendié des marches de ce festival d'images,d’icônes catastrophistes sur le monde et son architecture à bruler vive...
Ils l'ont bien "descendu" cet escalier, ces marches du Palais de la découverte remodelé le temps d'une révolution de palais, de renversement des perspectives pour un long plan séquence très bien orchestré de mains de maitres à danser: ces mesures de compas dont les mors ressemblent aux positions de la danse classique, ici devenue "danse de caractère" belliqueuse et insurgée. Alors on se fait secouer sur un matelas du Mobilier National, ou Lit Français, inconfortable carcasse à ressort qui fait bondir comme sur un trampoline, les danseurs de notre temps: on met les pendules à l'heure et l'on fait la course contre la montre comme Devos ou Woody Allen.....Les fresques gigantesques des murs du Palais doublées à l'occasion par des coloris et sujets fort à propos, murmurent la nuit au calme, les bruits de couloirs encore résonants du passage de cette foule jeune et acquise au désordre: les fantômes de l'Opéra surgissent pour un bal de sorcières bienveillantes et salvatrices: une bonne médication contre la morosité, la routine que cette "redoute", cavalcade kinémato-chorégraphique dédiée à Terpsichore en baskets! Au final, le blanc des bleus de travail ou camisoles de force au pouvoir de la non-représentation académique de tout ce qui colle à la peau du monde...Silence, moteurs, ça tourne...On va la refaire!
Au Théâtre National de la danse Chaillot jusqu'au 4 Novembre
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