vendredi 15 mars 2024

"Les forces vives": "in memoriam" : Simone, Georges, Françoise, Maurice et les autres....

 

Les Forces vives


D’après Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses (tomes 1 et 2)
Simone de Beauvoir © Éditions Gallimard / Animal Architecte dans le cadre de Temps fort LANGUES VIVANTES du 11 — 28 mars 2024 au Maillon

 


Après BANDES (2020), spectacle très librement inspiré de Lipstick Traces : une histoire secrète du XXe siècle de Greil Marcus, Animal Architecte plonge dans une nouvelle œuvre-monde, radicalement différente : le cycle des mémoires de Simone de Beauvoir. Les forces vives que l’on retrouve dans le titre du spectacle sont celles qui traversent les Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses : la quête du bonheur et l’inquiétude existentielle, l’émancipation et les pesanteurs diverses du monde. Une exploration subjective du passé, de soi et du monde, de la grande histoire – guerres mondiales, guerre d’Algérie – autant que des événements de la petite : des visages, des rencontres, des émotions. Avec grande sensibilité et l’intelligence des textes qui caractérise son travail, Camille Dagen parcourt les pages de la philosophe à son propre rythme et met en scène avec son équipe une entreprise d’écriture plutôt qu’une figure d’écrivaine. Donnant une forme théâtrale à sa rencontre avec Beauvoir, la metteuse en scène nous invite à entendre une des grandes voix du XXe siècle et ouvre un espace pour, peut-être, penser à nos propres vies en écho.

Une fillette descend des cintres en nacelle domestique comme un ange mais pas vraiment angélique: à grand renfort de cris, de jurons, d'existence sonore! Voici notre Simone, jeune et rebelle mais aussi obéissance en prise avec des parents bien rétrogrades et conventionnels. Le portrait s'esquisse d'une des égéries féministes de la littérature française. Alors en voiture Simone pour une épopée hors du commun, une odyssée de la vie fantasmée de l'autrice, accompagnée par son environnement familial, son époque, ses guerres-trois qui passent par le filtre du temps-. Performance des sept comédiens et comédiennes en majorité quatre heures durant sans lassitude, rythmée par une mise en mots et en scène fort atypique. Un "décor" amovible entre appartement bourgeois aux parois amovibles et cages comme autant de frontières, de murs de prison à abattre. Les "mémoires" de Simone comme base d'adaptation ce que qui n'est ni un biopic, ni un portrait. Plutôt une fiction ludique ou grave à propos de destinées qui dépassent le commun et engendre respect, écoute, responsabilité aux regards de l'Histoire.Simone à tous les âges, à tous les étages face à sa révolte, son époque incarnée avec énergie, force et détermination Le jeu est parfois outré, tendre ou enjoué, les scènes se succèdent avec virulence, volubilité et marquent des repères, des pistes de réflexion, d'imagination en direction du public loin d'être passif ou indifférent. L'empathie opère entre spectacle et vie courante. Après l'entracte salutaire pour tous car l'émotion travaille et investit les corps auditeurs collectifs et participatifs d'une virée dans le temps, voici une séquence truculente: les comédiens en devant de scène jouent et gagnent en simulant des recherche sur les réseaux sociaux des critiques du temps des parutions des pamphlets romanesques de Simone. Du rythme, de l'humour, de la distance pour incarner des personnages "off", critiques ou témoins qui agrandissent l'espace familial oppressant et conservateur... Un moment où les acteurs se donnent à fond dans des simulacres mimétiques de personnes phares de l'époque qui se rebellent devant tant d'audace littéraire et sociale! De Beauvoir, au pouvoir et l'on se replonge dans l'histoire de l'Algérie, endroit douloureux et épineux traversé par notre héroïne...La paire binôme Animal-Architecte Camille Dagen et Emma Depoid œuvrant comme deux piliers architecturaux et narratifs de cet édifice hors norme: la maison De Beauvoir comme boudoir asphyxiant pour une créature désobéissante en mouvement, en soulèvement constant. Costumes et praticables à l'appui pour nous plonger dans un univers, une atmosphère où poses, attitudes et postures sont chorégraphiques et spatiales à souhait. Un joli numéro de danse désopilant et libérateur comme issue de secours à ce destin enfariné et plombant d'une femme loin d'être légère. Pas deux poids deux mesures pour ce tandem de la jeune création théâtrale et scénographique en herbe. Des animaux-architectes, tectonique en vol libre comme Simone au firmament du cosmos performatif.

Au Maillon les 14 et 15 mars dans le cadre de "Temps forts-la suite"


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