L’aïta ou ayta est un chant ancestral marocain qui exprime les joies et les peurs mais qui signifie aussi « cri » ou « appel » en arabe dialectal marocain. Prenant appui sur cette pratique musicale exaltant la liberté et la quête de la justice, Youness Aboulakoul réalise une manifestation chorégraphique portée par six femmes interprètes. Six corps qui tentent de résister au pli par la verticalité. Un groupe en marche, qui avance, tombe, se soulève, se plie, se déplie et se replie, mais finit par retrouver une verticalité portant la trace de toutes ces luttes acharnées. Exercice rituel d’élévation et de pli, la performance s’inspire librement de l’esprit résistant et rebelle de l’ayta, exprimant à travers ces six interprètes la force et la liberté du corps de l’individu qui s’oppose à tout système, qui cherche à le diriger et à le contrôler. Autant poétique, politique que philosophique, la pièce décrit un chemin qui part du bas vers le haut. Chorégraphe, performeur et musicien, Youness Aboulakoul et les interprètes portent un sujet puissant, qui relie les racines marocaines originales à des phénomènes malheureusement encore contemporains.
Un rythme indéfectible sourd de nulle part en continu, frappé sempiternel comme une danse, une ritournelle obsédante, obsessionnelle. Les femmes sur le plateau semblent faire corps et se confondre en moitié moins selon le point de vue du spectateur. Sorte d'alchimie de composition chorégraphique très ténue et subtile qui dévoile petit à petit, six facettes comme un kaléidoscope.La petite meute avance, recule à l'unisson, sororale, soudée, conduite à chaque virevolte par celle qui guide en figure de proue, le groupe. Méthode labanienne de danse chorale et sagittale en parfait état de marche. Ne pas céder, ne pas plier sous le joug de la domination serait ce credo qui anime une heure durant ce choeur mouvant, aimanté par la musique qui s'affirme conductrice et vecteur de cette discipline: ce qui se plie, pli selon pli à une démarche très cohérente de repli. Repli sur le groupe, pas sur soi, repli d'une défaite guerrière où l'on gagne à écouter l'autre plutôt que de le soumettre. Mise en pli, sous pli d'une théorie chère à Deleuze, énoncée dans "Le pli" dont s'inspirer le chorégraphe. Sur un fond de scène échevelé de longs plis et replis de tissus flottant sous les lumières, sorte de paravent ou rideau mobile.Et ce chorus de battre une mesure démoniaque sans arrêt, ni pause. Lancées comme des salves dans l'espace, les six interprètes peu à peu divaguent légèrement, s'échappent d'un moule gestuel pour conquérir d'autres endroits, d'autres lieux. Sans pour autant quitter le groupe surtout. Cette symbiose, osmose entre ce groupe des six est hallucinante. Hypnotique et incandescente montée en puissance d'une révoltée qui gronde, sourd et se fond dans l'éther. Vêtues de tenue seyantes, sport et autre legging moulant, elles se dé-voilent peu à peu, les visages neutres, les regards directionnels de celles qui savent où elles vont, pourquoi elles ne cèdent pas au penché, au pli pour se laisser formater. Origami de la danse proche de cette marche entre volonté et automatisme qui nous fait se mouvoir. Une oeuvre , une ode au mécanisme de la soumission-rébellion de toute beauté dans une sorte d'abstraction d'écriture, une signature bien à soi de la part de Youness Aboulakoul très surprenante et convaincante. On plie mais ne rompt pas.
On songe à "Codicille-Insurrection" d'Odile Duboc où les danseurs peu à peu rompent le chorus pour s'échapper au fur et à mesure d'un rythme infernal....
13 et 14 Mars à Pole Sud
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