Interprètes : Louise Lecavalier, Robert Abubo
"Dans son armure d’aujourd’hui, tout de noir vêtue, pantalon en latex et chandail à capuche recouvrant ses cheveux, Louise Lecavalier avance cachée. Mais qui est-elle réellement ? Danseuse de l’excès comme dans son splendide solo So Blue ou guerrière sans corps inspirée par le Chevalier inexistant d’Italo Calvino ?
On l’a vue sur les musiques de transe techno de Mercan Dede, se livrer à toute la démesure d’un époustouflant duo, So Blue. Dans Mille batailles, c’est avec son acolyte Robert Abubo – tour à tour l’ombre ou l’écuyer de cette fiction dansée – qu’elle réapparait, telle une guerrière de l’improbable.
Que fait-on quand on n’a pas de corps ? Chez Calvino, on peut mettre les choses en ordre ou à l’inverse incarner l’inexistence de la perfection. Avec Louise Lecavalier, les gestes tranchent l’espace. Contacts ou luttes inopinées, pas glissés, latéraux, croisés, comme tricotés, plus qu’un combat, Mille batailles se présente comme un jeu entre le possible et l’impossible.
Sur la trame musicale d’Antoine Berthiaume interprétée en direct, l’énergie du mouvement se double d’un sens de l’humour absurde. La fiction a tous les droits car elle ne ment jamais suggérait le roman de l’auteur italien. La danse et ses identités multiples partagerait-elle ces qualités ? Subtile et impérieuse, la chorégraphie semble plutôt guidée par un esprit chevaleresque réactualisé, suggérant par son ton léger, les mille variations du mouvement et la beauté de l’inattendu."
Elle apparaît sur le plateau nu, vêtue de noir, capuchon et costume de "monte en l'air", de brigand, de fantomette ou super woman fragile.Pétrie de tremblements compulsifs, de petits mouvements tétaniques, stroboscopiques, hallucinants de précision, de maîtrise millimétrée.Habitée de gestes guerriers, pantin à ressorts remonté comme une poupée mécanique, elle s'agite, possédée dans des entraves physiques provoquées et calculées.Elle semble possédée par le "malin" diable démoniaque d'une machinerie corporelle lancée à toute vitesse dans l'arène. Manipulée par une force et vélocité intérieure phénoménale, curieuse et extra-ordinaire.Déterminée à se laisser envahir par cette "dansomanie" fièvre et contagieuse, elle "arpente" le plateau, trace des diagonales, circule à reculons à l'envie, bondit comme dans l'apesanteur.
Un acolyte se profile le long de la paroi de bois qui plaque le décor de fond: ils évoluent comme sur une surface en trombe l'oeil, point de vue modifié à la renverse pour le spectateur, plongée cinématographique garantie qui vient troubler l'espace de cette "trublionne" déchaînée. Duel ou duo acrobatique, portés magnifiques pour encenser ce corps "glorieux, anagogine et performant, de notre vampirine, la ballerine.
On songe à Karole Armitage, David Bowie ou Xavier Dolan, chacun rebelle à sa façon face au langage chorégraphique, kinéma tographique.Révolution de palais, barricade de soulèvement tectonique, la danse de Louise Lecavalier, n'a rien de "cavalier" ni respectueux de l'étiquette: "chevaleresque", plutôt picaresque en diable.
Survoltée, électrique, comme un électron libre, futile et versatile, elle se meut dans cette gestuelle angulaire, proche du sport, de la course, des efforts et performances qui achèvent les athlètes, gonflés, surdosés d’adrénaline possessive et addictive!Elle vampirise son partenaire, son double qui la seconde, la transporte dans son enthousiasme contagieux.Duo aimanté, doublé et couplé par cette musique omniprésente, en live, à la guitare Antoine Berthiaume, aux manettes.
Robert Aboulo à ses côtés tient le relais, témoin de ses audaces, compagnon de ses élucubrations schizophréniques.Camisole de force que cet accoutrement tout noir, leggings seyant à patte d'éléphant, qui laisse entrevoir sa chevelure débridée, blonde platine sur visage livide et draculesque! Sans victoire ni défaite, ces batailles remportent l 'adhésion !
Dans des courses contre le vent, contre la matière, elle lutte et combat, s'insurge, se rebelle et franchit les limites du possible, en secousses sismiques, comme un coléoptère, un scarabée captif qui tente de se remettre sur ses quatre pattes, chitine en proie à son ressenti d'exosquelette vibrant. Animal, dompté mais pas dressé pour autant, les échappatoires sont nombreux pour quitter toute laisse ou cordon, toute entrave.Brigands style Tomi Ungerer, la voilà chef de bande à deux, Fantômas désarticulé, héroïne de BD ou de science fiction, voltigeant comme dans un film muet expressionniste, tout cerné de noir et blanc: chauve souris épinglée agitée ou filant en fugue dans la nuit, animal qui roule et s'alanguit dans des raies de lumières crues, rougeoyantes, tracées au cordeau...On ressort le souffle coupé, abasourdi, captivé et capturé, mais jamais otage de cette folle course contre la montre, cette urgence de danser qui anime l'artiste depuis sa nuit des temps: tectonique Louise, jamais "fatiguée" ni usée, jamais "achevée" dont l'oeuvre singulière étonne, épate, remue et décale!Monstre sacré de la déflagration, virtuose et belle, câline et possessive aussi, poète parfois dans le simple silence de sa respiration haletante!
A Pôle Sud les 17 et 18 Octobre !
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