Louis Piccon est un jeune étudiant en architecture lorsqu’il assiste à la première édition de Musica en 1983. Dans le sillage de Iannis Xenakis, sa curiosité est piquée par les relations entre les arts. Quarante ans plus tard, son agence nunc architectes conçoit le nouveau centre de formation des Compagnons du devoir à Strasbourg. Fraîchement inauguré, les 6000m2 de l’imposant édifice, ses ateliers et sa rue intérieure de 60 mètres de long, sont un terrain de jeu idéal pour confondre le temps d’une soirée la matière sonore et la matière bâtie. L’architecte et les jeunes compagnons en apprentissage nous invitent à déambuler dans l’espace aux côtés des musiciens de L’Itinéraire, l’ensemble des « spectraux » qui célèbre cette année ses cinquante ans d’existence.
C'est un lieu de travail que ce centre de formation des Compagnons du devoir et du "savoir faire": travail qui reste secret, confidentiel et qui ce soir là va être mis à l'épeuve de la création musicale à l'initiative de son jeune architecte et du festival Musica Idée lumineuse, ingénieuse pour mettre en valeur l'acoustique d'un lieu pensé pour accueillir aussi les sons, les bruits du quotidien de l'apprentissage et de l'excellence du savoir faire...Ce soir là le public est accueilli dans la grande "nef" hall central pour une déambulation silencieuse et recueillie concoctée par Pauline Oliveros "Sonic Méditation V": marche lente, posée, pointes et talons du spectateur posés au sol pour une empreinte pondérale, bien dans son assiette. Ecouter le silence, se confronter à la circulation des autres dans l'espace: très Rudolf von Laban et sa danse dynamique, directionnelle, intentionnelle, réfléchie dans tout le corps curieux de son espace sensible à créer.La plante des pieds devient une oreille et prépare à l'écoute des oeuvres qui vont suivre, choisies en fonction de leur relation étroite à l'architecture, à la réverbération et propagation du son dans l'espace.
Suit de Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale. En configuration classique l'ensemble nous donne à écouter un morceaux vibrant où chaque interprète dont l’accordéoniste semble laisser libre cour à une composition stricte et rythmée de longues durées sonores emportant l’ouïe et le regard au delà des configurations architecturales. Des impromptus sonres des "artisans du son" faisant appel aux sons percussifs d'objets du quotidien vont ponctuer le concert de façon joyeuse et ludique comme des entremets à déguster sans modération.
"Nomos Alpha" de Xénakis sera l'occasion pour le violoncelliste Florient Loridon de partager du haut de son estrade dans la nef, une oeuvre sobre et qui réinvente toutes les possibilités sonores de deux instruments en alternance: du frotté, du piqué, du pincé percussif avec quelques notes d'humour non dissimulées.Le plaisir affiché du musicien fait entrer en empathie dans cette musicalité pleine de fragrances sonores inédites.
Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012) succède en salle dans une interprétation solo virtuose de Fuminori Tanada, concentré, oeuvre courte mais pleine de rebondissements acoustiques, le piano trituré en pincements, percussions et autres sonorités improbables.
Ascension du public dans les escaliers, les cursives du centre de formation pour écouter à pleines oreilles et résonances, les vibrations de la voix de Sarah Brabo-Durand pour l'oeuvre de Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)
Echo, en duo avec son complice logé à l'autre bout du bâtiment, au rez de chaussée. Voix et clarinette se répondent dans l'espace avec grâce et promptitude. Vibrations du timbre incroyable de la chanteuse qui grimpe dans les aigus avec en enveloppé chaleureux inouï, une force et une nuance surprenante de phrasés onctueux.Chevelure colorée fluorescente comme les couleurs sonores des sons émis par des cordes vocales virtuoses Un "instrument" corporel comme un médium semblable à ceux des artisans du son des compagnons du devoir! Une pièce spatiale qui implique le spectateur dans l'espace, stimule l'écoute et le regard, plonge le corps qui écoute dans les interstices de la musique.
Enfin pour terminer ce cheminement sonre trois pièces vont se succéder comme autant d"écho au concept de la soirée: les sons inédits issus de l'écoute et de l'observation des bruits du quotidien, interprétées par tout l'ensemble Itinéraire au grand complet, son chef Mathieu Romano pour coordonner toutes les complexités des morceaux
Vont se succéder de Gérard Grisey Périodes (1974)
d'Annette Schlünz In den Flüssen (2005) et pour clore le joyeux et inédit morceau de
Iannis Xenakis Phlegra (1975) : une suite étonnante de sons d'instruments à vent qui comme des klaxons réinventent un espace à la Jacques Tati dans "Trafic ": un joyeux embouteillage où le son rivalise de courts circuits, de pratiques musicales inédites où le compositeur excelle en touches humoristiques. Des espaces sonores qui épousent toute une architecture d'un bâtiment dévolu à l'apprentissage autant qu'à l'inventivité de ces "artisans du son", musiciens, apprentis ou architectes au service de ce qui se nommerait : le paradis des droits et des devoirs de la création...sur les sentiers inconnus de la découverte.
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Pauline Oliveros Sonic Meditation V : Native (1971)
Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale
Iannis Xenakis Nomos Alpha (1966)
Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012)
Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)
Gérard Grisey Périodes (1974)
Annette Schlünz In den Flüssen (2005)
Iannis Xenakis Phlegra (1975)
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