Enno Poppe est un compositeur de la prolifération. Chacune de ses pièces naît d’une idée ou d’un processus singulier qui se déploie de manière quasi virale dans la partition. Considéré comme l’un des compositeurs les plus originaux et accomplis de sa génération, il prend aussi régulièrement la baguette pour diriger sa propre musique. Tel est le cas à Musica où il conduit l’Ensemble intercontemporain dans l’interprétation d’une de ses pièces les plus marquantes, Prozession. L’œuvre est un immense flux découpé en neuf parties, chacune introduite par un duo différent. Est également donnée en création française, sa dernière œuvre en date, Blumen. Alors, Enno Poppe, le nouveau pape de la musique contemporaine ?
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Enno Poppe
Blumen (2023), création française : un panel , une corolle florale séduisante
Un véritable florilège de l'art de composer de Poppe, cet artiste inclassable qui dirige lui-même ce soir là l'Ensemble Intercontemporain de sa gestuelle atypique, longue silhouette gracile très mobile aux gestes précis, infléchis par le rythme et les interventions ciblées de chaque instrument. Ode aux chants des instruments dont le trombone sera une véritable révélation de sons inouïs et décalés, évoquant une voix languissante, un cri d'enfant, un râle animal...C'est tout un univers, une ambiance surprenante et pétrifiante qui anime cet opus fait de quinze séquences qui s'enchainent par de courts silences interrogateurs.Chacune possède son caractère, brève ou plus longue comme autant de "nouvelles" en littérature formant un recueil, un bouquet de pièces comme un herbier. Que l'on feuillette en regardant et écoutant ce jardinier qui s'affaire à distribuer les rôles des instruments, leur place sonore dans ces compositions miniatures de grande classe. Comme autant d'enluminures d'un recueil horticole, d'un petit catalogue de fleurs dispensant des fragrances et autres matières végétales. Blumen, c'est une ode à la diversité, à la singularité de chaque instrument, un doigté de direction d'ensemble à la mesure de la précision des orientations, des décisions d'écriture dans un espace temps restreint, une surface, ou superficie du son vaste et inventive. Monsieur Jack dans une narration sonore et sa mécanique du coeur...
Prozession (2015-2020) : un genre musical unique..
Une oeuvre gigantesque marquée par les contrastes et modulations constants. Du point de départ en prologue sur de légères percussions évoquant des gouttes de pluie Puis le volume enfle, les instruments se font apparition sonore virulente et singulière, chacun dans sa sphère, rivalisant avec les autres pour mieux se perdre dans l'énorme masse sonore tonitruante. C'est magistral et pointilliste à la fois, chaque touche composant un paysage impressionniste chatoyant.Tableau très plastiquement sonore où la composition semble celle d'un peintre devant son chevalet. Poppe très investi physiquement dans une gestuelle nette et engagée, très chorégraphiée. Un homme singulier dirigeant sa musique à l'affut, aux aguets. Procession quasi mystique pour honorer les percussions, morceau de choix comme une "fanfare qui ne marche pas"....Processus de création en marche comme un flux incessant nourri de duos et solos d'instruments qui révèlent timbres, hauteurs, espace et densité sonore à l'envi.Une "microtonalité" au service du trouble et de l'incertain de la justesse des notes ou de leur appréciation par l'auditeur convoqué à cette messe ou cérémonie inaugurale.Une envergure sonore inouïe qui donne des ailes à l'Ensemble intercontemporain se jouant des embuches et difficultés, guidé par la baguette du prestidigitateur conducteur de cet opus unique et atypique à souhait.
A la cité de la musique et de la danse le 26 Septembre dans le cadre du festival MUSICA
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direction | Enno Poppe
Ensemble Intercontemporain
flûte | Sophie Cherrier
hautbois | Philippe Grauvogel
clarinette | Martin Adámek
cor | Jean-Christophe Vervoitte
trompette | Lucas Lipari-Mayer et Clément Saunier
trombone | Lucas Ounissi
saxophone | Vincent David
violon | Jeanne-Marie Conquer et Diégo Tosi
alto | John Stulz
violoncelle | Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin
contrebasse | Nicolas Crosse
guitare électrique | Benjamin Garson
piano | Hidéki Nagano et Sébastien Vichard
harpe | Valeria Kafelnikov
percussions | Gilles Durot, Aurélien Gignoux, Samuel Favre et Emil Kuyumcuyan
— commande Ensemble intercontemporain, Festival Lucerne et de la Casa da Musica (Enno Poppe Blumen)
avec le soutien de la SACEM
© Harald Hoffmann
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