À partir de l’anglais gentry — la petite noblesse, celles et ceux qui sont bien nés — a été forgé dans les années 1960 le concept sociologique de « gentrification ». Le terme désigne le processus d’installation de classes aisées dans des zones urbaines auparavant populaires, défavorisées et multiraciales. Tel est le sujet de Place, né dans le quartier de Fort Greene à Brooklyn.
Place, c’est l’histoire d’un lieu comme il en est d’innombrables dans le monde aujourd’hui. C’est aussi l’expérience personnelle de Ted Hearne, un compositeur témoin des mutations sociales de son lieu de vie, non sans conscience ni culpabilité d’être lui-même un maillon de la cartographie. Pour faire résonner le problème, il fait appel au poète, rappeur et activiste Saul Williams, lui aussi habitant de Fort Greene par le passé. En dialogue, ils écrivent le livret de cet oratorio contemporain qui porte les enjeux de justice sociale à la scène et fait de la boboïsation une question métaphysique. Comme le champ social qu’elle décrit, la musique de Ted Hearne fourmille d’idiomes et joue sur le collage et la fragmentation. Sa partition, à la croisée des influences du rap, du R’n’B, de la musique de chambre et des chorals luthériens de sa jeunesse trouve également, sous l’influence de Saul Williams, une perspective afro-futuriste inouïe.
Bel oratorio, concert visuel chanté comme un cri de gospel social et sociétal, cet opus de Ted Hearne oscille entre Starmania et autre comédie musicale contemporaine. Les chanteurs y tiennent une place de choix et donnent à cette oeuvre étrange de par sa forme concertante et vidéographie, mêle étude sociologique et art total. Les médias s"y croisent et tricotent une narration limpide, celle dévoilant le sort de "migrants" ceux qu'on déplace d'un quartier à l'autre, d"un continent à l'autre de force ou subrepticement...Les musiciens, nombreux à la tâche de rendre une atmosphère tantôt dramatique, tantôt joyeuse excellent en qualité de surprises, détournements d'effets acoustiques, impromptus sonores. Les voix sont d'une présente étonnante, marquées par les différences de tonalités, de timbres, de hauteurs et trahissent désarroi, injustice, révolte ou constat. Ces "endroits" où il faut être ou ne pas être, ces lieux, troisièmes lieux ou place forte de la gente propriétaire immobilière sans vergogne ni complexe sont évoqués par les circulations de personnages sur écran vidéo. Les quartiers urbains, les habitants, les destins déplacés, empêchés s'y croisent et interpellent notre réflexion et prise de conscience.. Le spectacle servis par le collectif "lovemusic" et les artiste qui entourent le dramaturge compositeur sont justes et pertinents et oeuvrent pour une musique chamarrée, variée, quasi mélodique qui séduit et enchante de le temps de cette pause musicale sur "la place", agora symbolique, lieu dit et surface de réparation d'une époque sans toit ni loi où l'autre, déplacé, est comme un pion manipulable à merci Le soulèvement des vois agite la révolte, l'empathie et la complicité avec une population menacée, contrainte et violentée dans ses accroches et territoires violés...Par la loi de l'économie autant que par l'indifférence généralisée à ce sujet.
—
création française
Place (2018)
musique et direction | Ted Hearne
livret | Ted Hearne, Saul Williams, Patricia McGregor
voix | Steven Bradshaw, Sophia Byrd, Josephine Lee, Isaiah Robinson, Sol Ruiz, Krystle Warren, Eliza Bagg
guitare | Taylor Levine
basse | Braylon Lacy
synthé | RC Williams
batterie | Ron Wiltrout
éléctronique | Rohan Chander
collectif lovemusic
alto | Emily Yabe
violoncelle | Lola Malique
flûte | Emiliano Gavito
clarinette | Adam Starkie
trombone | Gabrielle Rachel
percussion | Marin Lambert
Au Maillon Waken dans le cadre du festival MUSICA—
coréalisation Musica, Maillon
commande Philharmonie de Los Angeles, Centre Barbican (Londres), Beth Morrison Projects (New York)
avec le soutien de
Jazz & New Music, un programme de la Villa Albertine et de la
Fondation FACE, en partenariat avec l'Ambassade de France aux Etats-Unis
et avec le soutien du Ministère français de la Culture, de l'Institut
français, de la SACEM et du CNM.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire