jeudi 23 mai 2024

"Carmen.": "chanson" pour dragon: "point" barre... ou à la ligne....Et "tralala..."

 


Carmen.
, François Gremaud / 2b company

Après le succès de Phèdre ! et Giselle…, présenté en 2022 au Maillon, François Gremaud clôt avec Carmen. sa trilogie consacrée à trois figures tragiques de l’art dramatique. Après le théâtre et le ballet, l’opéra donc, et pas n’importe lequel : composé par Georges Bizet sur un livret inspirée d’une nouvelle de Prosper Mérimée, l’œuvre reste une des pièces lyriques les plus jouées à travers le monde depuis qu’elle fit scandale lors de sa création en 1875 à l’Opéra Comique. L’histoire est connue : chargé de mener en prison la jeune bohémienne qu’il vient d’arrêter, Don José en tombe éperdument amoureux jusqu’à la poignarder, ivre de jalousie, lorsqu’elle se laisse séduire par un torero local. Pas de remparts de Séville ici cependant, mais un plateau nu sur lequel la chanteuse Rosemary Standley, accompagnée par un ensemble de musiciennes, raconte, commente puis finit par interpréter ce standard de la culture musicale européenne. Variation sur celui-ci, la performance est un moyen de retracer avec humour son histoire, mais aussi de dire autrement les passions qui le traversent.

Point de Carmen classique dans cet opus singulier: mais une "ponctuation" de choix pour diversifier le personnage, le faire s'incarner par une femme libre et en possession de tous ses droits et facultés. Droit d'être droite, face à son contexte social peu enclin à considérer les femmes, surtout les cigarières de la manufacture des tabacs où Carmen règne. Bizet accouche d'une heroine dont il ne connaitra pas les bienfaits de la notoriété, ni des rentrées pécuniaires. Le personnage heurte et condamne le compositeur à modifier sans cesse le livret, osciller entre provocation et simple récit. Mais la "claque" est dans la salle qui vient encourager ce dernier à éduquer et élever sa "créature" pour la transporter dans une musique, désormais plus que célèbre et légendaire. C'est l'actrice-cantatrice Rosemary Standley qui s'y colle deux heures durant avec trois fois rien de décor et mise en scène. Accompagnée par un quintet de musiciennes résumant à elles seules toute l'orchestration symphonique de l'oeuvre de Bizet. 

Rrose Mary Selavy...hétéronyme de Marcel Duchamp, créature de Bizet comme devenue son double et celui de François Gremaud. Car le géniteur de cette Carmen à changé et voici celui qui la redécouvre et nous la livre entière incarnant à tour de rôle tous les personnages de cet opéra "comique" pour salles Favard des grands boulevards du crime parisien.!L'artiste devant nous, seule, auréolée de musique est fabuleuse et s'inscrira dans la légende des démons et bêtes de scène actuelles.Tout en noir sans falbalas ni froufrou, la voici qui s'empare du plateau, discrète, attendrissante autant que furibonde et féroce. "Chantal" chante et ne parle pas et tous les airs qu'elle porte sur le plateau sont finement et délicieusement interprétés.Les "tubes" et canons de la partition venant auréoler ce solo magistral. La voix est tantôt celle du baryton, de la mezzo soprano ou du maitre Bizet et ses dialogues, paroliers de compagnie. Que l'on découvre au fur et à mesure du récit que tisse la comédienne. On y apprend plein de petits détails croustillants sur la genèse de cette Carmen, la vraie, et le festin va bon train. De trouvailles en surprises, on suit ce personnage en empathie totale et Don José autant que le fameux toréador deviennent non plus des fantômes désincarnés mais des acteurs présents avec qui elle dialogue. On voit tout ce petit monde jusqu'à la mère, figure freudienne par excellence pour cette Lacan-tatrice loin d'être chauve. Alors le spectacle se joue de bien des embuches et avec humour, distanciation et autres stratagèmes de scénographie et dramaturgie: François Gremaud fait mouche et touche en chef d'orchestre ou de partie, de salle, pour formation réduite mais au combien efficace. La musique de l'opéra dit "comique"restituée à l'envi dans son plus simple appareil: les instruments phares qui donnent le "la" à toute l'oeuvre. Son suspens, sa joie, sa douleur, son drame...En toute simplicité, en toute complicité. Les musiciennes au diapason du jeu de la chanteuse-actrice.

Le recueil que chacun emporte avec soi pour sa bibliothèque (Giselle-Phèdre et désormais Carmen)est cadeau de la maison. Ce ne seront pas les "fantômes" de bibliothèques mais bien de femmes de caractère que nous conservons en mémoire! Point d'exclamation...Taratata !

Au Maillon jusqu'au 25 MAI

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