« En ces temps troubles et tourmentés, il est plus que jamais nécessaire de raconter l’histoire de l’exil et des migrations, de ses départs et de ses arrivées. Sur scène un pianiste, un contrebassiste, une chanteuse et trois interprètes danseurs nous donnent à voir les frasques, les joies et les tristesses de ceux que l’on dit étrangers. Voyageurs des mers et des terres en quête de retours ou migrants de la dernière heure. Ce sont les voix de Fayrouz ou de Dalida, de Saliha ou d’Ismahan, de ces divas à la voix d’or et de larmes qui nous racontent la traversée. Le chant, la danse, la musique se donnent rendez-vous au cabaret pour un conte nostalgique et drôle entre rêve et désenchantement. La poésie des mots accompagne ce voyage de couleurs et d’engagement car l’exil est contagieux mais l’espérance aussi. Au Cabaret de la Rose Blanche, la fête a ce gout doux-amer mais l’on y est embarqué par le destin des hommes, étranger et hôte à la fois. » Radhouane El Meddeb
Au cabaret: bienvenue! Dans un ton nostalgique et pas du tout enflammé ni ironique comme dans le film "Cabaret" de Bob Fosse...C'est l'invitation à partager un temps suspendu, allégorique quasi onirique tant ce "spectacle" semble atypique, décalé. Modeste et timide au départ, pudique et légèrement teinté d'ironie. Les voici, deux danseurs épris de tourbillons, de lassitude sensuelle, de regards obliques et complices envers le public. Et surtout l'apparition progressive de celle qui va tenir le haut du pavé: la chanteuse Lobna Noomene, figure discrète qui va s'imposer au fur et à mesure de l'évolution de la pièce. Danses du ventre, danse séduisante et lascive des deux interprètes, Philippe Lebhar et Guillaume Marie. Tous deux imprégnés de fantaisie subtile et à peine soulignée par un jeu discret et enjoué de séduction. La voix les méduse, les enchante, bordée d'une musique pianistique de haute volée signée du jeune Selim Arjoun: il semble jouer de tout son corps, parfois perché sur son tabouret, à l'écoute de tous, complice et partenaire à part entière. De toute sa musicalité intuitive qui le mène à interpréter, ressentir ces "mélodies" d'une autre époque. Les rendre vivantes, actuelles, baignées de tendresse, de juvénilité et d'enthousiasme. Apparait Radhouane El Meddeb, le visage maquillé de blanc, lisse à peine esquissé d'un panache de couleurs. Expression naïve et enchantée, un soupçon attristée mais maline. Tel un Pierrot blanc, Auguste spectral. En costume de "fraise" très Molière et en habit noir très seyant. Moins scintillant que les costumes de ses compères, tous de franges blanches, de paillettes lumineuses et clignotantes. La très belle parure de la chanteuse, large tissu brodé, pailleté autour des épaules. Voix, piano et danse s'enchevêtrent, se répondent, discutent et nous racontent un épisode ou une vie d'Exil; de déracinement, de douleurs, de peine et de souffrance. De chagrin surtout. La voix nous transporte dans des sphères lointaines, des paysages méditerranéens. Ce bassin autant celui du danseur qui ondule que cette géopolitique du Maghreb qui hante et habite ce show étrange. Des mouvements de profils égyptiens en ornement et pause, clins d'oeil à Dalida...Pas de flonflons ni de Madame Arthur, ni de cabaret berlinois ni alsacien mais un spectacle tendre et aimable bordé par la teneur chaotique de notre monde ambiant. Paroles de chacun, micro en main pour évoquer la brisure, la rupture de l'exil qui se porte toute une vie durant.
Ils sont tous très habiles pour nous entrainer dans un rêve éveillé, coupe de crémant en main, histoire de se décontracter et de continuer: "vous en voulez encore?..." Oui, bien sur et lorsque Radhouanre chante, allongé au sol, enveloppé par son châle, d'une voix tenue et profonde c'est pour mieux signifier que ce souffle, ce désir de chanter leur destin, se partage et ne rompt pas. Un côté spirituel, comme une prière sur le plateau sacré du théâtre, un endroit, un lieu cultuel de l'art éphémère de la danse, de la musique, du sourire autant que des larmes. Elles ne sont pas "amères" ni nostalgiques, elles sourdent de l'atmosphère musicale, de la mise en scène, mise en espace du plateau partagé par les six protagonistes. Épris de liberté, tournoyants les bras ouverts, offerts comme ceux de la chanteuse aux longs bras prolongeant son émotion. Un hymne à l'humanité, une ode très personnelle à l'exil, le déplacement des corps et des esprits de la terre maternelle.
Ce "cabaret" singulier comme une invention d'un "genre" à part qui n'appartient qu'à ce bouquet de fleurs porté comme un trophée ou une offrande. Un bouquet de bras très Shiva pour magnifier la danse serpentine en ondulations de méduse palpitante.La contrebasse de Sofiane Saadaoui pour apaiser l'atmosphère parfois tendue mais toujours très poétique. Et drôle et humoristique, quand de dos, le danseur esquisse des tours de fessier digne de la plus désopilante et pudique danse du ventre! C'est croustillant et réjouissant, toujours avec un peps et un brin de folie douce-amère au gout de senteurs du sud. Fragrances et lumières pour réjouir un contexte implacable. Le texte de Marianne Catzaras raconte et évoque les vies, les mots, les maux, blessures et réparations de l'exil. En écho au texte des chansons en langue arabe, espagnole qui résonnent de leurs accents tendres ou rugueux.La beauté de la chanteuse enchante, séduit, ravit, impacte chaleureusement le spectacle, comme le son du piano, unique sous les doigts magnétiques de l'interprète. Une soirée pleine de grâce et de volupté à déguster sans modération sous le filtre d'une dramaturgie théâtrale très réussie. On remercie les artistes pour cette bouffée d'oxygène, d'inventivité décalée, de questionnements politiques aussi sur ce vaste monde ravagé.
A Pole Sud les 14 et 15 MAI
https://genevieve-charras.blogspot.com/2023/05/le-cabaret-de-la-rose-blanche-le-chant.html
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