« Poppea/Poppea »: un nouveau genre chorégraphique est né !
Eric Gauthier revient à Luxembourg avec sa dernière production, une libre adaptation du chef d’œuvre de Monteverdi, l’opéra « Le couronnement de Poppée ».
Il est jeune chorégraphe, réside actuellement à Stuttgart, le berceau de la danse moderne en Allemagne. C’est John Cranko qui fit la réputation du Grand Ballet de Stuttgart qui sut accueillir en son temps un certain William Forsythe…
A présent à la direction artistique de son ensemble chorégraphique, Eric Gauthier a su trouver le chemin de la création, lui qui longtemps fut un excellent interprète des pièces de nos grands classiques de la danse moderne: Hans Van Manen, John Neumeir, Jiri Kylian, Nacho Duato, Paul Lightfoot, Uwe Scholz et William Forsythe.
C’est avec « Six Pack » qu’il se fait remarquer pour ses dons et talents de chorégraphe et metteur en scène. Pour cette nouvelle et audacieuse production, Eric ne fait pas cavalier seul et s’adresse à un spécialiste de l’opéra, Christian Spuck directeur artistique du ballet de Zurich: un fan du genre qui le guide dans son désir d’adapter une pièce emblématique de l’opéra baroque « Le Couronnement de Poppée » écrit au XVIIIème siècle à l’âge d’or de la danse baroque. Piège de références pour les amateurs d’opéra qui heureusement ont su accueillir cette proposition hors norme comme un objet non identifié. Dansé uniquement par neuf interprètes galvanisés par l’imagination de l’auteur de cette œuvre atypique nommée « Poppea/ Poppea ».
Une relecture comme une épopée des sentiments humains
Gauthier respecte la facture baroque au travers de l’utilisation des costumes d’époque: longues robes, détails des accessoires et ornements pour les femmes, pourpoints pour les hommes. Et pourtant la gestuelle n’a rien de « baroque »: bien contemporaine mais cependant très théâtralisée pour suggérer le drame de Néron et Otavia ainsi que la passion qui anime ces personnages de légende jusqu’au meurtre. Gauthier ose en danse, ce que l’opéra n’a pas su faire. Les corps s’affrontent, se confrontent, s’animent, s’attirent ou se repoussent. La sensualité, la cruauté viennent de ces frottements, ces contacts, chers à l’écriture et à la sensation de la danse contemporaine. Très proche du « Tanztheater », la pièce bascule de fiction à vérité, de leurre à réalité. Les sentiments sont présents et confèrent un caractère non abstrait à l’interprétation. La musique, celle de Monteverdi et celle de Martin Donner inspire la danse, la borde de ses ourlets tantôt baroques, tantôt à résonnance très contemporaine. Les neuf danseurs ont une lourde tâche: celle de rivaliser avec la connaissance que l’on a de l’œuvre lyrique, des références que la mémoire avance pour la lecture et visibilité de l’œuvre. Pari gagné en ce qui concerne cette version bicéphale Gauthier/Spuck, riche de surprises, pleine d’audace et d’étonnement. Le chorégraphe s’y inscrit comme auteur affirmé d’un genre hybride, entre danse et théâtralisation, n’osant jamais le verbe, surpassant le sens de la gestuelle illustrative. Pas de concession à la forme « opéra » sans pour autant oublier la nécessité de valoriser chaque épisode narratif de la fiction de Monteverdi. La férocité du sujet, la cruauté des destins de chacun parle encore au spectateur d’aujourd’hui par la radicalité du traitement. Faire du neuf avec de l’ancien ? Pas tout à fait puisque grande est la liberté prise par rapport au déroulement de l’opéra qui ne revêt plus sa forme chantée. Du geste, du mouvement, de la grâce et une scénographie épurée en fond un spectacle inédit à voir avec des yeux neufs et déguster avec un réel appétit de renouveau.
Geneviève Charras
« Poppea/Poppea » au grand théâtre à Luxembourg, le 20 Mai à 20h00.
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