Robert Cahen s'expose à notre regard, comme un artiste discret, "effacé", comme son oeuvre déclinée par l'esprit de l'apparition-disparition.
Ses images sourdent du néant comme cet admirable "Traverses" de 2002, où des personnages se révèlent lentement au regard, apparaissant d'un flou pour se concrétiser, s'incarner puis disparaitre dans un anonymat singulier. Des êtres que nous aurions pu rencontrer regarder, mais que notre précipitation quotidienne nous interdit de voir!
L'exposition, sans vraiment être "chronologique" nous guide dans l'histoire de Cahen: son rapport singulier au temps, au rythme qui le fait se délecter à distiller ce temps en ralentis subrtils, feutrés qui décalent le tempo de la vie!C'est "Visions fugitives" qui "passe" et égrène l'espace, en fragments de narrations iconiques.
C'est aussi "Artmatic" de 1980 où les effets vidéo, solarisation et autres effets de trame et chaine, joue de la futilité des électrons libres!
Encore de 1980, "L'entr'aperçu", ce qui se doit d'être vu entre les lignes en filigrane!
Mystère, découverte dans le temps de la contemplation de ces images qui incitent à prendre ce temps au temps pour redécouvrir l'invisible, écouter et comprendre l'indicible.
Magistrale, l’œuvre créée pour l'occasion de cette exposition unique, "L'Entrevoir" se compose de deux écrans où des images d'une forêt des Vosges se décline en simultané, nous guide dans un parcours forestier, balade au cœur d'un univers bordé de la bande son des "Fraises sauvages" de Bergman. Des murmures incompréhensibles parsèment ce petit voyage sylvestre, frais et enchanteur au sein des bois et des clairières...
On continue la déambulation en admirant les "portraits" de Françoise, cette belle vieille femme au seuil de la mort, entre vie et endormissement éternel:très touchant, plein de sensibilité sans affect superflu: un questionnement sur le silence, le bruissement d'un visage, comme une chorégraphie des traits, des lignes d'un faciès.Puis on pénètre dans "Entre" de 2014, une allée, alégorie de son travail où des personnages défilent à l'envi sur grand écran.
Des stries les dissèquent, en morcellements de corps fragiles en mouvement.
On les regarde comme à travers les jalousies de volets entrouverts, d'un moucharabié ajouré qui ne laisserait filtrer que l'essentiel.Qu'est-ce qui se trame, s'enchaine dans ces entrelacs de lumière, de sons, d'émotions?
Cahen distille l'image en bouilleur de cru pour un élixir jouissif de temps dissolu, distendu, étiré, allongé.Métamorphosé.Cette image philosophale dicte une attitude de recueillement quasi mystique, spirituel.
"La barre jaune": une oeuvre singulière, inversée dans l'espace: c'est la barre jaune d'un taxi, filmée dans le mouvement de la vitesse qui décline le paysage à la verticale!
Défilement du panorama urbain, à travers les gouttes d'eau de la pluie...Comme un mât chinois versatile, qui oscille et garde son jaune très attractif pour l’œil. Étonnant, singulier, innovant dans le processus de création de Robert Cahen. On se tourne à présent vers "La traversée du rail":cadre fixe sur le déferlement des passagers, vélos, cyclistes qui traversent une voie ferrée en Chine: plan hypnotisant sur le passage, les va-et-vient, les traversées de ces personnages , au quotidien; Une tranche de vie filmée, intime, sur le vif et dans le vif du sujet à vif! Balayage de l'écran, allées et venues et venues. Flux, reflux sempiternels....
Un hommage à Pierre Boulez qui fascine notre musicien Robert Cahen: "Le maître du temps" de 2011 où le chef dirige, de face et de dos "Mémoriale": bel aperçu des gestes du maitre, de la danse de l'artiste, interprète de sa propre musicalité intérieure. On tourne autour de l'écran, pile ou face pour découvrir son corps en état de danse-cadence.
Au finale, "Suaire" une installation autour de l'oeuvre iconique "la vera iconica", la "véronique", image fondamentale du visage du christ sur le suaire!Première photographie, empreinte, trace, icône!
Un parterre de cailloux blancs de marbre de Carrare épouse nos pas, invités à traverser ce miroir et cet îlot:au dessus ce voile suspendu, recto-verso invite à la contemplation sereine.
On quitte l'espace de l'exposition avec "Tombe (avec les objets)", une réflexion sur la perte irrévocable, la disparition des choses qui nous entourent, nous plongent dans la vanité de l'existence.
La remarquable scénographie de Thierry Mauri nous permet une navigation très éclairée, spacieuse de l’œuvre de Robert Cahen, fidèle à ses compagnons, artistes, artisans de son parcours artistique.
A peine, "juste le temps" d'entr'apercevoir le monde autrement, d'un autre point de vue hallucinant de beauté et de poésie!
Au MAMCS jusqu'au 11 MAI 2014
Un superbe catalogue concocté par la passionnante commissaire de l'exposition Héloise Conésa est à lire absolument!
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