En transfigurant les traditions clownesques par la pratique de la danse contemporaine, Zimmermann façonne un spectacle sans paroles, qui met en avant les langages corporels de trois danseurs-circassiens hors du commun. Accompagnés d’un pianiste, ils font ressortir les facettes tant conflictuelles que comiques des comportements humains dans d’éternels jeux de pouvoir.
Mais qui sont-ils ces trois escogriffes qui sortiront tout droit d'un décor dissimulé, empaqueté sous une bâche, rideau ou housse noire d'inauguration des statues institutionnelles, les dévoilant sous ces monticules émergents comme des montagnes qui accoucheraient de souris!
Un pianiste, un vrai, un monsieur Loyal tout de blanc vêtu, costume seyant de parade, une créature non identifiée, entre sorcière à balai et lutin déguenillé avec des oreilles de lapin pendantes, un zombie en haillons et oripeaux, maquillé comme chez Michou....Les Pieds Nickelés de retour? Ou les Deschiens, enfuis de chez les Bidochons??
Un Polichinel blanchi, à ventre protubérant, une fée Carabosse calcinée...Bref, notre cabarettiste de fortune nous souhaite la Bienvenue, décalé, déjanté, le verbe facile mais dans un langage inaudible, comme ses compères qui inventent une langue glauque, imagée, sonore et suggestive des émotions diverses. Chef de pacotille, homme de paille, le voilà attelé à diriger les numéros de charme, de voltige, de galipettes en tout genre. En Hugo Ball au Cabaret Voltaire des dadaïstes ; alors que tout droit sorti des bas-fonsd d'un sol de marbre glissant, un horrible zombie surgit, ahurissant de laideur artificielle.
Notre sorcière anthracite glisse, patine sur un sol qui se dérobe, sorte de Chaplin, serveur de la patinoire qui chute à l'envi, comique de répétition des films muets, il va sans dire: le pianiste comme au ciné-concert, ponctue l'affaire avec brio!
Du "carré noir sur fond blanc", d'un Morellet ou d'un Rutault, le décor est "muséal" et référencé. Sommes nous dans l'antre d'un collectionneur, d'un "conservateur" ou d'un curateur d'exposition, peu importe, le sujet titille et tarabuste Zimmermann comme dans "The Square" le film où il est plus question du directeur que du musée!
Unsquare Dance pour cette démonstration vertigineuse de virtuosité corporelle, de contorsionnisme, de glissades enroulées, au péril de la vie de ses habitants étranges, trio de circonstance. Cygne noir, cygne blanc pour parcourir en danseuse, les bras en couronne, les allées du musée, trublion d'une visite guidée déconstruite et loufoque...Vampires ou anti-héros d'un personnage d'une nuit au musée, Belphegor ou le fantôme du Louvre.Les références sont discrètes et peuplent l'univers de Zimmermann.
Un beau statuaire animé, à trois corps mouvants sur fond de stroboscope, un solo de voguing sur tapis rouge, un jeu de cadre de tableau sont autant d'accessoires pour faire narration et dramaturgie.Et quand enfermé comme un César ou un Armand, notre zombie contorsionniste est compressé dans sa vitrine transparente, c'est peut-être à la petite danseuse de quatorze ans , longtemps convoitée dans une vitrine vide que l'on songe!
Foetus comprimé sur son socle de monstration, la bête est somptueuse, belle à regarder: un monstre de foire au musée!
Une technicienne de surface pour faire le ménage qui s'en donne à corps joie en virevoltant à l'envi sur un air d'accordéon, une scène tournante, objet de voltiges périlleuses sur un tabouret improbable, et le côté circassien est bien là, de retour dans ces structures architecturales de prédilection. Descente aux enfers sur fond de batterie live, tonitruante, une mort du cygne blanc, c'est le tour de magie du manager, commissaire, curateur déchu de ce musée en décomposition! On s'émerveille des prestations de Tarek Halabi, Dimitri Jourde, Romau Runa, Collin Vallon!
Le sas de sécurité est prétexte à des numéros burlesques croustillants, inventifs, décapants d'ingéniosité et d'humour: tous les gestes de la danse, passé en revue par un vigile, sorcier et maître de ballet de cette bouffonnerie caricaturale et grotesque.
Dada veille au grain dans cette turbulence apocalyptique d'où émerge un chantier final digne de Thomas Hirschhorn, champ de bataille de guerre esthétique, de joutes multiples.
La performance au musée est dignement présente et quelque peu maltraitée, cette permissivité fâcheuse vouée à la critique et aux "règles draconiennes" de sécurité et de bienséance actuelle dans nos institutions muséales. Les pionniers du genre souriraient, les Dupuy où les américains, conquérants de ces espaces publics désacralisés!
Fantastique tableau final, avec un monstre tout de rouge, épineux et menaçant, sculpture dégonflée à bloc comme tout ce "vent", toute cette agitation médiatique de communication et de promotion de l'art institutionnel, voué au mercantilisme ou merchandising
On les quitte en musique sur un très beau morceau de piano: le film est terminé, on remballe les cartons et la silhouette découpée d'un corps absent nous regarde: qui sommes nous cautionneur de cette économie du spectacle vivant, des musées, nefs et cathédrales des temps modernes, lieu de cérémonie suspectes de rites réinventés?
Au Maillon jusqu'au 24 Novembre.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire