dimanche 2 novembre 2014

Mac Carthy, Marcel Duchamp "broyeurs "de chocolat!





Paul McCarthy, dans son atelier de Los Angeles, en 2010.

Non, décidément, Paul McCarthy n’a rien d’un pervers pépère. Cela aurait bien arrangé ceux qui, la semaine passée, crièrent au scandale et vandalisèrent le sapin gonflable/godemiché du géant vert que l’artiste californien avait installé sur la place Vendôme, en écho amusé à sa colonne. Non, celui par qui le scandale est arrivé (presque) malgré lui a plutôt l’air d’un innocent gamin, visage buriné et cheveux blancs. De ces enfants dont, certes, on sait depuis Freud combien ils savent se faire pervers polymorphes et jouer de toutes les ambiguïtés. Mais gamin malgré tout, tendance intello déjanté.

Et voilà "Charlie et la chocolaterie"!!!! 

 

En digne fils de mormons de l’Utah, McCarthy n’a pas attendu d’avoir 69 ans bien tapés et rencontré le succès pour oser tout se permettre et refuser tous les interdits. Depuis ses débuts dans les années 1970, il n’a jamais cessé de jouer, avec le plus grand sérieux. Ses performances confidentielles défrayaient alors la petite chronique de la marginale Côte ouest : des orgies infernales brassant Pinocchio, Blanche-Neige et autres « innocents » personnages, le tout dans un bain de moutarde, de ketchup, de mayonnaise et d’huile de moteur projetés à grands frais.
De la simple provoc ? Aussi brillant que son complice feu Mike Kelley, McCarthy assure plutôt vouloir dénoncer, en vrac, la société du spectacle et le consumérisme aveugle de ses concitoyens. « Pour moi, Heidi ou les nains de Blanche-Neige sont juste des squelettes que j’utilise pour révéler ce qu’est la société. »
Faire surgir l’inconscient trouble d’une nation qui impose au monde une imagerie bien moins pure qu’elle ne le proclame, voilà son obsession depuis plus de quarante ans. Elle est à l’œuvre, bien sûr, dans la véritable chocolaterie qu’il a installée au cœur de la Monnaie de Paris, pour l’exposition « Chocolate Factory ». La première salle est consacrée à la fabrication du chocolat, dans une maisonnette de bois très « rustique hollywoodien » qu’il a fait venir de Los Angeles.
Dans cette chocolaterie, en guise de Charlie, un Père Noël un peu queer : au lieu d’une hotte, il porte un de ces plugs anaux dont la controverse de la semaine passée eut pour seule vertu de révéler combien ce vocabulaire semblait commun à tous les Français. A voir McCarthy avec sa maigre barbe blanche et son air débonnaire, on se demande s’il n’y aurait pas de l’autoportrait dans tout ça. « Non, franchement, je me vois plutôt en Walt Disney », s’amuse-t-il.

300 petits Pères Noël par jour




Installation de l'exposition "Chocolate Factory" de Paul McCarthy, à la Monnaie de Paris, le 23 octobre.
Ces Santa Claus, comme on les appelle chez lui, envahissent toutes les salles. Un exemplaire de 3,5 mètres a été moulé pour l’occasion. Et de l’atelier qui fleure bon le cacao grand cru, sortent chaque jour 300 petits Pères Noël. Des figurines qui se retrouvent aussitôt stockées sur des étagères alignées dans les salles. D’autres, produites selon des normes plus hygiénistes, sont en vente pour 42 euros au comptoir d’entrée.



"Chocolate Factory" de Paul McCarthy, à la Monnaie de Paris.
Manière, pour l’artiste, de «  moquer cette sur-fabrication et surconsommation dans lesquelles s’est aujourd’hui engouffré le monde de l’art ». En l’occurrence, il sait de quoi il parle : avant de se ranger parmi les plasticiens les plus « bankables » de la planète, McCarthy n’a pas vendu une seule pièce en trente ans. « C’est aussi pour ça que j’aime bien les étagères et que j’en ai mis plein l’exposition : j’ai eu tellement d’œuvres qui sont restées en stock pendant des années… »
Il prend aussi une double revanche sur les censeurs parisiens : en envahissant toute l’installation d’une vidéo montrant sa plume et sa voix enragées répéter la question posée par son agresseur de la semaine passée : « Are you the artist ? » (Est-ce vous l’artiste ?) Et en multipliant les plugs. Sous la coupole d’entrée, gonflables, ils se multiplient eux aussi comme des petits pins, et font même forêt, de différentes formes et couleurs.
Mais comment ces objets d’ordinaire réservés aux fonds de tiroirs intimes se sont-ils donc retrouvés dans son œuvre ? « Quand j’étais étudiant, un jour, je ne sais pas trop comment, je me suis retrouvé avec un de ces objets entre les mains. Et tout de suite il m’a évoqué une sculpture moderne, de Jean Arp ou Brancusi. J’ai donc commencé à faire des pièces un peu gag avec ça. Plus tard, on m’a donné un Père Noël en porcelaine, et par hasard j’ai posé un plug sur le sapin, et ça collait parfaitement. Voilà, c’est juste une de ces coïncidences qui font réfléchir. »
Réfléchir à quoi ? « A comment Noël est devenu en Occident un événement de consommation ultra-massif. Santa est le personnage qui dit au mieux l’empreinte du matérialisme et le conditionnement de nos esprits au consumérisme. Voilà où est la vraie obscénité, bien plus que dans un buttplug ! » Car, il l’a répété à l’envi depuis la semaine passée : autant qu’un désir « d’apaiser les tensions que provoque tout tabou », cette forme évoque pour lui « un arbre abstrait, qui questionne le langage même de l’art ».

Ketchup, mayonnaise et chocolat

Toute son exposition peut se lire à cette aune, selon lui : « Comme le rêve de quelqu’un, mais aussi comme un être humain, explique-t-il en docte prof qu’il a longtemps été. Les gonflables seraient la tête, l’usine serait le cœur, avec cette machine magique qui fait tourner les moules. Les bidules électriques sont comme le système nerveux. Quant à tous ces petits Santa, ils sont les fluides irriguant le corps, des petites cellules en mouvement  » Car, de son propre aveu, McCarthy a « toujours eu un truc avec l’intérieur du corps, une obsession pour les liquides ».
Ketchup et mayonnaise sont pour lui, plus qu’un jeu gore ou un effet spécial genre Hollywood du pauvre, métaphores du sang et du sperme. Quant au chocolat, il n’est pas le premier à faire l’analogie avec la merde, ultime tabou qu’il s’amuse à déjouer. Ensemble, ces fluides et « matières très chargées » composeraient ainsi « comme une métaphore du subconscient de la société ».
Facile de balancer tout cela à la face de l’underground californien des années 1970. Mais une fois qu’on est devenu soi-même une mégastar du marché, défendue par l’ultrapuissante galerie internationale Hauser & Wirth et exposée dans toutes les foires, comment garder son grinçant ? L’ironique peine soudain… « Elle est dure, cette question ! Moi, ce que je veux, c’est produire des œuvres, et l’argent du monde de l’art me permet enfin de le faire. Alors j’essaie de ne pas me compromettre avec ce système, mais j’avoue que la séduction est immense. Vraiment, elle est dure, celle-là… » Et pour la première fois, on le sent gêné, comme un gamin pris la main dans le pot de miel.
A la Monnaie de Paris jusqu'à janvier 2015.....

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