Alles klappt. Tout va bien. Sur scène, des archivistes trient des lettres, des cartes postales et des objets du Musée juif de Prague. Ils semblent observer une situation ordinaire, la vie de tous les jours, ses tâches quotidiennes et ses marques d’affection. Mais une distorsion s’installe petit à petit, dans la musique comme dans le récit.
Donner sens aux traces laissées par les déportés, chercher la vie partout où elle a pu subsister. Tel est l’angle choisi par Ondřej Adámek et Katharina Schmitt, qui posent leur regard sur la tragédie des camps de la Seconde Guerre mondiale mais aussi sur celle de la propre famille du compositeur à travers les témoignages de son grand-père. Ses messages qui ont été conservés, envoyés depuis le camp de Theresienstadt et censurés de bout en bout, sont la source de cet opéra de chambre sur les « fausses bonnes nouvelles » de l’histoire.
Le compositeur tchèque dont on avait pu entendre l’opéra Seven Stones au festival d’Aix-en-Provence l’été dernier propose avec Alles klappt, créé à la Biennale de théâtre musical de Munich en 2018 et donné en création française à Strasbourg, un condensé de son écriture pointilliste, progressive et incarnée. Les deux œuvres partagent un même défi : se passer de l’orchestre, réduire l’accompagnement au strict nécessaire – en l’occurrence, deux percussionnistes – et inventer une écriture lyrique dont vont naître directement l’espace scénique et le jeu d’acteur. Où la musique devient corps… Ondřej Adámek que l’on connaissait déjà à Musica pour ses pièces orchestrales débridées (on pense à Follow me, son concerto pour violon donné en 2018) présente ici un tout autre visage et confirme son exceptionnelle capacité à mêler les sentiments tragiques à l’euphorie musicale.
Dans un décor tout gris, pans de murs et autres dispositifs scéniques, couleurs cendre, un sondeur, sourcier fait apparition, archéologue, fouilleur de chantier de recherche. Que va-t-il découvrir dans ce sol, strates de mémoire, de nostalgie, d'hommage à une culture, une communauté éradiquée, disparue, rayée de la carte?
Fumigènes pour semer le trouble et l'opacité de secrets de l'histoire dissimulés dans les parchemins et autres manifestes de prières...Recueils de doléances ou d'espoir. En tenue de déménageurs, de médecins légistes, pour une autopsie des corps et des objets, voici nos chercheurs en herbe en proie à la fébrilité vocale, cris et chuchotements sur le bord des lèvres. Les caisses de bois exhumant leurs trésors: autant d'objets de musée de la mémoire que l'on va emballer dans du papier alimentaire transparent et souple pour mieux les "conserver", les honorer, reliques et objets d'un étrange culte à ses ancêtres, voisin du travail de Christian Boltanski sur la mémoire , filiation et patrimoine juif. Les acteurs chanteurs jouent de leurs voix, avec le son des mots en allemand, en rythme, en écho, canon ou ricochets. Ca anone, ou bégaie à l'envi ! Choeur vocal, bordé par des percussions, grosses caisses ou instrumentarium qui peu à peu envahit le fond de scène. On chuinte, on psalmodie sur les indication d'un chef d'orchestre dissimulé à vue dans sa cahute et redistribué sur écran vidéo pour être perçu de tous: mimiques et gestes éloquents eux aussi, diablotin, souffleur dans sa niche?
Timbales, tambours et percussions pour ébranler, fouiller la mémoire, mettre à jour du fond de ses caisses de bois, la mémoire.Comme fouiller dans les réserves d'un musée, archéologie du futur...
Un bandonéon est retrouvé, une sculpture, pour mieux les inhumer à nouveau dans le respect d'un rituel d'empaquetage de momies, solennel et respectueux des traditions hébraïques.
Comme aussi une consultation médicale de médecins de l'humanité, soignant les blessures et cicatrice d'une communauté qui se souvient: conserver, maintenir le souvenir vivant par le chant, l'opéra populaire, le théâtre vocal qu'inventent les interprètes. La correspondance, les lettres ou fiches qui font le reste de cet inventaire macabre d'une communauté menacée, fait office de socle, de base, de fondations textuelles et sonores.
Evocation sensible et remarquable par le truchement de tous ces objets d'un office respectueux et puissant d'intensité dramatique
Comme dans un hangar de stockage d'archives ou de magasin gigantesque, dépôt des âmes et de leur histoire. Comme un centre de tri? de redistribution des taches, des colis et des objets à replacer, déplacer, arracher de nouveau de leur sol. Un jardinier se vautre dans la terre meuble et noire, sortie, déversée d'une caisse, malle , boite de Pandore...Et inhume un arbre vivant, l'enterrant à jamais. Sur la spoliation des biens, sur le vol d'une culture sur son anéantissement, on avait jamais parlé de cette façon: musicale, entêtante, rythmée par les souffles, les voix des personnages convoqués pour ce rituel : parfois un ton belliqueux fait se rebeller la population, petite communauté aux abois.Les corps bégaient, ânonnent, hésitent dans ce prêche de récitants, travailleurs laborieux sur un chantier de fouilles, ouvert, blessé, irréparable faille, brèche dans l'histoire du vécu.
La terre est souillée, les malles de transport délivrent leurs secrets et se referment; au sol les protagonistes se reposent, s'endorment, s'ensevelissent: on s’essouffle, l'atmosphère s'envenime, les hachures des textes, en rythme, "cou coupé" psalmodie mémoire et patrimoine avec véracité et conviction
Alles klappt, comme une ode à un "conservatoire" vivant archivage fantaisiste d'une mémoire vibrante d'humanité
Au TNS samedi 4 Octobre dans le cadre du Festiaval Musica
Musique, direction musicale Ondřej Adámek Livret et mise en scène Katharina Schmitt Scénographie et costumes Patricia Talacko Dramaturgie Götz Leineweber Coaching vocal Caroline Scholz Ott Sopranos Landy Adriamboavonjy Thérèse Wincent Olga Siemienczuk Ténor Steve Zheng Barytons Dominic Kraemer Tobias Müller-Kopp Percussions Miguel Ángel Garcia Martin Jeanne Larrouturou Ondřej Adámek Alles klappt (2018) création française Théâtre National de Strasbourg (Salle Gignoux)
Le compositeur tchèque dont on avait pu entendre l’opéra Seven Stones au festival d’Aix-en-Provence l’été dernier propose avec Alles klappt, créé à la Biennale de théâtre musical de Munich en 2018 et donné en création française à Strasbourg, un condensé de son écriture pointilliste, progressive et incarnée. Les deux œuvres partagent un même défi : se passer de l’orchestre, réduire l’accompagnement au strict nécessaire – en l’occurrence, deux percussionnistes – et inventer une écriture lyrique dont vont naître directement l’espace scénique et le jeu d’acteur. Où la musique devient corps… Ondřej Adámek que l’on connaissait déjà à Musica pour ses pièces orchestrales débridées (on pense à Follow me, son concerto pour violon donné en 2018) présente ici un tout autre visage et confirme son exceptionnelle capacité à mêler les sentiments tragiques à l’euphorie musicale.
Dans un décor tout gris, pans de murs et autres dispositifs scéniques, couleurs cendre, un sondeur, sourcier fait apparition, archéologue, fouilleur de chantier de recherche. Que va-t-il découvrir dans ce sol, strates de mémoire, de nostalgie, d'hommage à une culture, une communauté éradiquée, disparue, rayée de la carte?
Fumigènes pour semer le trouble et l'opacité de secrets de l'histoire dissimulés dans les parchemins et autres manifestes de prières...Recueils de doléances ou d'espoir. En tenue de déménageurs, de médecins légistes, pour une autopsie des corps et des objets, voici nos chercheurs en herbe en proie à la fébrilité vocale, cris et chuchotements sur le bord des lèvres. Les caisses de bois exhumant leurs trésors: autant d'objets de musée de la mémoire que l'on va emballer dans du papier alimentaire transparent et souple pour mieux les "conserver", les honorer, reliques et objets d'un étrange culte à ses ancêtres, voisin du travail de Christian Boltanski sur la mémoire , filiation et patrimoine juif. Les acteurs chanteurs jouent de leurs voix, avec le son des mots en allemand, en rythme, en écho, canon ou ricochets. Ca anone, ou bégaie à l'envi ! Choeur vocal, bordé par des percussions, grosses caisses ou instrumentarium qui peu à peu envahit le fond de scène. On chuinte, on psalmodie sur les indication d'un chef d'orchestre dissimulé à vue dans sa cahute et redistribué sur écran vidéo pour être perçu de tous: mimiques et gestes éloquents eux aussi, diablotin, souffleur dans sa niche?
Timbales, tambours et percussions pour ébranler, fouiller la mémoire, mettre à jour du fond de ses caisses de bois, la mémoire.Comme fouiller dans les réserves d'un musée, archéologie du futur...
Un bandonéon est retrouvé, une sculpture, pour mieux les inhumer à nouveau dans le respect d'un rituel d'empaquetage de momies, solennel et respectueux des traditions hébraïques.
Comme aussi une consultation médicale de médecins de l'humanité, soignant les blessures et cicatrice d'une communauté qui se souvient: conserver, maintenir le souvenir vivant par le chant, l'opéra populaire, le théâtre vocal qu'inventent les interprètes. La correspondance, les lettres ou fiches qui font le reste de cet inventaire macabre d'une communauté menacée, fait office de socle, de base, de fondations textuelles et sonores.
Evocation sensible et remarquable par le truchement de tous ces objets d'un office respectueux et puissant d'intensité dramatique
Comme dans un hangar de stockage d'archives ou de magasin gigantesque, dépôt des âmes et de leur histoire. Comme un centre de tri? de redistribution des taches, des colis et des objets à replacer, déplacer, arracher de nouveau de leur sol. Un jardinier se vautre dans la terre meuble et noire, sortie, déversée d'une caisse, malle , boite de Pandore...Et inhume un arbre vivant, l'enterrant à jamais. Sur la spoliation des biens, sur le vol d'une culture sur son anéantissement, on avait jamais parlé de cette façon: musicale, entêtante, rythmée par les souffles, les voix des personnages convoqués pour ce rituel : parfois un ton belliqueux fait se rebeller la population, petite communauté aux abois.Les corps bégaient, ânonnent, hésitent dans ce prêche de récitants, travailleurs laborieux sur un chantier de fouilles, ouvert, blessé, irréparable faille, brèche dans l'histoire du vécu.
La terre est souillée, les malles de transport délivrent leurs secrets et se referment; au sol les protagonistes se reposent, s'endorment, s'ensevelissent: on s’essouffle, l'atmosphère s'envenime, les hachures des textes, en rythme, "cou coupé" psalmodie mémoire et patrimoine avec véracité et conviction
Alles klappt, comme une ode à un "conservatoire" vivant archivage fantaisiste d'une mémoire vibrante d'humanité
Au TNS samedi 4 Octobre dans le cadre du Festiaval Musica
Musique, direction musicale Ondřej Adámek Livret et mise en scène Katharina Schmitt Scénographie et costumes Patricia Talacko Dramaturgie Götz Leineweber Coaching vocal Caroline Scholz Ott Sopranos Landy Adriamboavonjy Thérèse Wincent Olga Siemienczuk Ténor Steve Zheng Barytons Dominic Kraemer Tobias Müller-Kopp Percussions Miguel Ángel Garcia Martin Jeanne Larrouturou Ondřej Adámek Alles klappt (2018) création française Théâtre National de Strasbourg (Salle Gignoux)
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