Un proscenium en colimaçon pour estrade, le public assis confortablement au sol, invité à "prendre position" pour ce long voyage initiatique au pays de Hildegarde, navigation rhénane bien de chez "nous" sur les rives du fleuve mythique qui inspira tant d'auteurs, de compositeurs.
Les deux protagonistes apparaissent quasiment nus dans leur plus simple appareil: torse nu, vêtu d'une laine autour des reins, de collant mi-bas, de tatouages et dessins floraux et végétaux, empreintes sur la peau d'un "florilège" déjà musical
Archéologues de la voix, du corps
Elle, chignon planté, comme une petite pièce montée, bigorneau, sur la tête, qui lui donne une allure de muse inspiratrice: elle déverse tendrement et religieusement ses notes sur son clavier de bandura, sur ses cordes magiques qui égrènent le son précieusement. Le corps lisse, quasi diaphane, evanescent, le chanteur s'adonne au chant, venu des muscles profonds de tout son corps, de son souffle, colonne d'air maitrisée d'un soutient et maintien remarquables. Sur la peau du monde, le regard lointain, il caresse l'espace, donne de l'air aux cantiques qui se succèdent dans la langue d'origine, par coeur, par corps. Faune gracieux et versatile, volubile créature de rêve d'un monde onirique, enfoui sous les eaux du fleuve rhénan. Son corps tatoué vibre, résonne, la voix chaude et profonde se distille dans l'espace. Peu à peu il se relève, caresse sa muse docile, se cabre, danse, de ses bras immenses à l'envergure singulière d'un oiseau de proie.
Officiants d'un culte, hymne à l'amour courtois, prêcheur par conviction lyrique
Il se balance dans un halo de lumière; les deux corps des interprètes, sculpturaux, mis en lumière subtilement pour ne rien dévoiler sinon les tensions de la peau qui se fait tissu et toile tendus entre eux et nous: surface de résonance, de toucher incertain ou audacieux dans ce galant dialogue mesuré, distingué.
Elle le borde aussi, l'accompagne de sa voix chaude, gestuelle à l'unisson, lancinante mélodie votive, délicatement passionnée sans vagues intempestives...
Puis parmi le public, François Chaignaud opère une déambulation faunesque, sautillante, virevoltante, galvanisée par le souffle, la respiration de son corps: il danse et chante simultanément dans une même émission d'énergie.
Diable au corps, il martèle le sol, tourne ivre de délice, circule parmi les auditeurs allongés, à l'écoute, intrigués ou séduits, bercés par les psalmodies hypnotiques
Chancelant, fragile, discret sans interpeller ni déranger notre espace d'écoute. Sa voix lointaine résonne dans l'espace, plus virulente, insistante: sa prière, sa demande, lui font esquisser quelques pas de danse venus de tradition lointaine, populaire. Son très beau jeu de bras, ourlé, orné de facture quasi baroque, perle rare monstrueuse, fait de son corps un archétype de beauté naturelle, juste rehaussée de tatouages , lutrin de cette partition en prosodie latine: peau-parchemin, palimpseste du temps qui passe et resurgit, exhumé par les deux créateurs de ce spectacle "hors norme", tout genre confondu.Comme une clepsydre qui distille le temps, elle magicienne de la tranquillité, charmeuse et maline complice de cette créature qui la frôle, l'encercle la distrait, respectueux de son espace sonore et charnel. Dans la proximité des corps, toujours, nous frôlant de leur intense présence....
De l'éloge du désir
C'est très érotique, plein de suggestions dissimulées dans texte et gestes: il enveloppe sa déesse, proche, tendre, affectueux, noble et en aristocrate de la précision, la séduit, l’enjôle, la cajole
Pour mieux émettre des sons de voix puissants, affirmés, poids du monde; les bras tranchant l'éther dans cette sérénade amoureuse, intense, expiatoire: le cantique des cantiques en rougirait de jalousie!
Puis, il se niche dans son alcove, coquillage, écrin en spirale architecturée, comme un exosquelette, carapace , habita de ses créatures fantasmées.
Félins pour l'autre
Charmeur, le chanteur, cligne des yeux, à peine maquillé, vierge et diaphane.
Se délivre de sa pose yoga et accède au sommet de l'estrade, piédestal, podium au sommet des marches dorées. Digne construction d'un Mallet Stevens porteur de résonances architectoniques
La partition rivée au corps, le danseur se propulse dans des temps anciens qui résonnent en méditation charmeuse, ravissante éloge de la beauté, servie ici par deux performeurs hors norme, hors pair
La sobriété sied aussi à François Chaignaud, dans les bras de sa complice Marie Pierre Brébant, madone, piéta berçant amour, douleur, espoir et félicité
Les anges ravis par cette musique vocale, grégorienne, psalmodiée
Au final, modestes et accueillants, les deux artistes se prêtent au jeu des adieux, juste avant de les quitter, partir avec un dernier regard enchanteur de ce Merlin des temps anciens, de cette muse, Pygmalion de ce compagnon, félins pour l'autre.
Pa-vlova pour rien, ce merveilleux danseur, héritier de Nijinsky !
A la Salle de la Bourse les 3 et 4 Octobre dans le cadre du festival Musica
En sus un très beau texte de Léo Henry, illustrateur bien de chez nous, sur Hildegarde Von Bingen dans le fascicule, fiche de salle du concert !
programme d'après l'oeuvre musicale d' Hildegard von Bingen Conception François Chaignaud Marie-Pierre Brébant Chant et danse François Chaignaud Bandura et adaptation musicale Marie-Pierre Brébant Scénographie Arthur Hoffner Création lumière Philippe Gladieux Création et mise en espace sonore Christophe Hauser Régie générale Anthony Merlaud François Boulet Prosodie latine Angela Cossu Symphonia Harmoniæ Cælestium Revelationum première française
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