samedi 8 février 2014

"Tragédie" d'Olivier Dubois:l'obsession de la danse, cadence.

J.B. Marey

J. Bosch
Olivier Dubois, actuel trublion de la danse contemporaine, présente ici une pièce rarissime où l'on retrouve les fondamentaux de son travail:la répétition,l'éternel recommencement,l'ivresse de l'hypnose, de l'envoutement, de la transe.
Sans jamais frôler quelque intention de spiritualité ou de caractère divin ou etnique, folklorisant.
Et pourtant Nietszche veille au grain dans cette "Tragédie" entre Dionysos et Apollon.
Ils se présentent, un par un , les neuf femmes,les neuf hommes, nus devant nous dans une marche-démarche qui va devenir système répétitif, sur un son lancinant, obsessionnel qui va crescendo, la pièce durant.
Martellements du sol, déambulations géométriques, carrées, cadrées au cordeau, tout va se dérouler sans faille au départ.
Puis des incidents surgissent: un corps dérape, ralentit son flux et reflux de pas cadencés.
Semence de révolution possible dans ce monde très ordonné, à la façon du "Codicille" d'Odile Duboc ou "Insurection".
D. Lachapelle

Muybridge

JB.Marey
Chaque différence sera vue et retenue, comme cadrée par un zoom cinématographique.
Le désordre s'installe peu à peu, insidieux, pervers dans cet univers réglé comme une horloge aliénante.
Corps nus, dressés dans leur plus simple appareil pour mieux dévoiler leur anatomie respective.
On est chez Muybrigde ou Marey, détaillant le rythme de la marche, la morphologie de chacun, comme pour un défilé d'images de mannequins animés par une mécanique, moteur extérieur.
Tout dérape alors semant une joyeuse confusion-fusion des corps qui se frôlent, se touchent, entament des contacts jusqu'alors impossibles. Jubilatoire pagaille, bazar des nudités, tout s’emmêle, se déchaine, se délivre et l'on respire dans cet enchevêtrement de chair, de membres, de touches de peau et d'os.
Une femme, telle les "dancer" de Irving Penn s'affranchit des canons de la beauté et balance sa chair calipige hors les conventions. C'est beau comme un tableau de Bosch, une photo de Lachapelle.
dancer I.Penn
Et ça bouge tout le temps dans une ivresse de sons grandissants qui assourdit, enivre le spectateur consentant!
Entre marche militaire, démarche de podium, le rythme est sempiternel, obsédant, envoutant.
C'est l'enfer ou le paradis perdu, la damnation totale, la perdition dans la déperdition de l'énergie renouvelée dans des soubresauts, des décalages, des fugues et fuites de gestes, des chutes, des rebonds pour sauvegarder les corps, les sauver de cet engrenage, faire un "mea culpa" pour le salut des âmes et des corps sains.
Dépense hallucinante des dix huit danseurs, transpirants à l'envi dans une performance inouïe de gestes répétitifs, à l'unisson, exécutés sans faillir et sans "repères" musicaux, sans rien d'autre que  la connivence des corps en mouvement, nus et crus comme à dévorer!
Promiscuité, complicité dans cette joyeuse communauté orgiaque, bachique qui commença tellement "sage" que la dérive, la débacle est source d'apaisement, de respiration bienheureuse!
Salvatrice danse de la marche que David Lebreton, Nietzsche ou Monnier sauraient glorifier à leur aise!
Et quand ils viennent saluer, habillés, revêtus de costumes quotidiens, on se demandent si ainsi, la pièce ne pourrait pas être rejouée: quelle serait l'appréhension alors?
C'était dans la salle archi comble du Maillon Wacken, accueilli également par Pôle Sud àStrasbourg
Un instant de partage intense, tendu à perdre haleine, à vivre en apnée, à vous couper le souffle.
Souffle de la vie, des "chants" de la danse, du "gai savoir" si humain, si vif et porteur de cet "éternel retour" en avant, routine, ritournelle jamais désenchantée des propos d'Olivier Dubois, un "grand" de la danse d'aujourd'hui qui sait passer du faune au pole dance sans omettre toutes les différence du baroque, cette "perle rare" diforme de l'art!


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