lundi 23 septembre 2019

"Al gran sole carico d'amore" Luigi Nono, le "révolutionnaire" !


C’est dans un contexte mouvementé que le compositeur vénitien Luigi Nono (1924-1990) entreprend son « action scénique » Al gran sole carico d’amore (Au grand soleil d’amour chargé), dont la première partie porte sur la Commune de Paris, et la seconde, sur diverses révolutions du siècle dernier. Intensément lyrique, et aux chœurs splendides, l’œuvre vibre des soubresauts de son temps : la spontanéité de la lutte, sous l’effet de conditions de vie impossibles ; l’organisation de cette spontanéité, la transformation d’une avant-garde en masse, et les résolutions de ceux qui s’emparent du pouvoir et en brisent les normes.
Deux autres thèmes dominent ces scènes à l’enchaînement vif, quasi cinématographique. Tout d’abord la place des femmes dans l’engagement : la communarde Louise Michel, Deola, personnage d’un poème de Cesare Pavese, ou Tania Bunke, qui combattit avec Ernesto Che Guevara et mourut en Bolivie peu avant lui, et dont la vie de clandestinité enthousiasma Nono. Le dernier thème est celui de l’échec, l’expérience de la défaite, des révolutions écrasées, des personnages cruellement renvoyés à l’énoncé d’un verdict les condamnant à la mort, à la prison ou à la déportation. L’histoire est toujours celle des vainqueurs. Représenter la Commune de Paris, les troubles dans l’Empire russe de 1905, les luttes ouvrières dans la Turin de l’après-guerre ou les camps sud-vietnamiens, c’est faire l’histoire des vaincus et espérer, à travers un chant ténu, d’une fragile beauté, renverser jusqu’à l’histoire elle-même.

Que dire alors de cette mise en scène très esthétique qui fait appel aux technologies nouvelles grâce à la présence d'images projetées, très opérantes suggérant les espaces industriels, les murs, les frontière ou les paysages qui hantent par leur très fortes présence, l'opéra iconoclaste de Nono?
Les masses humaines y sont traitées comme des touches, des taches de couleurs qui s'animent: choeur et figurants, dès le départ font pression vocale et physique pour évoquer la "révolution" autant Mai 68 que la Commune et ses ravages humains Sur des textes de Marx, Gramshi et autres théoriciens de la "révolution", les chanteurs incarnent des personnages phare. Le décor qui se meut grâce aux interventions d'images fixes ou animées, grâce à un projecteur d'antan, recouvert de végétal.
L'ambiance est au combat, à insurrection mais la lourdeur des décors, leur omniprésence dans le champ des évolutions, figent la donne. Peuples en colère à travers l'histoire dont on remonte le cour, ils s'agitent plus que n'avancent. La musique, elle se fait puissante, les chants solistes aux voix magnifiées redonnent à l'ensemble une cohésion. Les sources d'émission, de la fosse d'orchestre résonante sont galvanisantes pour les comédiens-chanteurs affublés de costumes bariolés. La sculpture échouée sur la scène, visage, yeux vides et mains, tétons surdimensionnés pourraient situer tout ceci dans un univers de BD ou science fiction. Mais le propos très "grave" de Nono s'y prête-t-il?
 Les chanteurs sont au mieux de leur forme; les masses de travailleurs, des usines de cartonnage aux fumées des cheminées des espaces industries font submersion et pourtant . On sourit à la vue d'un révolutionnaire sur fond de BD criarde et hyper colorée. Doit-on en rire et tourner en dérision la passion de Nono pour le politique, le "livret" d'opéra collectif qui traite d'un sujet brûlant qui le tarabuste et donne naissance à une musique acharnée, perturbée, en mutation constante?
Belles images et "trucages" cinématographiques opèrent pour des artefacts, leurres de perspectives saisissants....On si croit à Clichy sous Bois où sur les rives des océans exotiques.
Soulignons les effets de déplacements de masse, la mise en scène chorégraphique à la "Laban" des corps groupés qui font masse, poids et avancées communes, collectives.


Al gran sole carico d’amore, Action théâtrale sur des textes choisis par Luigi Nono et Yuri Lyubimov. Mise en scène : Sebastian Baumgarten ; décor : Janina Audick ; costumes : Christina Schmitt ; chorégraphie : Beate Vollack ; vidéos : Chris Kondek. Avec : Sara Hershkowitz, Cathrin Lange, Sarah Brady, Kristina Stanek, soprano 1-4 ; Rainelle Krause (Tania) ; Noa Frenkel (contralto, la Mère) ; Karl-Heinz Brandt, ténor ; Domen Križaj (baryton) ; Andrew Murphy, Antoin Herrera-Lopez Kessel, basses ; Ingo Anders (Officier) ; Constantin Rupp (Soldat). Chor des Theater Basel ; Sinfonieorchester Basel ; direction : Jonathan Stockhammer
Au Grand Théâtre de Bâle dimanche 22 Septembre dans le cadre du festival mUSICA


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