John Cage inventa presque par hasard le « piano préparé ». En glissant divers matériaux ou objets (vis, boulons, morceaux de caoutchouc, de plastique, de bambou, de laine…) entre les cordes d’un piano, il obtint un nouvel instrument, une sorte d’orchestre de percussions aux sonorités variées et inouïes. Bertrand Chamayou et Élodie Sicard s’emparent des premières pièces qu’il composa pour ce mystérieux instrument entre 1940 et 1945 à l’attention de son plus proche collaborateur, le danseur et chorégraphe Merce Cunningham.
Défi pour cette production audacieuse au regard du "patrimoine" de la danse et de la musique! Cage sans Cunningham, il fallait bien s'en affranchir gracieusement, sans embarras, ni reniement au répertoire de conservatoire!
Alors, le "résultat" est convaincant et fort "intelligent" au regard de la danse tout particulièrement
Focale sur le mouvement donc, alors que la salle est encore éclairée, la danseuse est présente, en noir et blanc sur un vaste tapis de sol blanc, quatre pianos à queue aux quatre coins du plateau. L'obscurité nous fait pénétrer dans le premier morceau de piano "préparé"; Elodie Sicard au pied du piano, pose yoga suggérée, puis elle rampe lentement vers l'instrument, le touche et s'en empare comme une barre, partenaire de poids et de repoussement : jeu avec le piano, elle s'y agrippe, s'étire pour mieux le quitter et devenir une "femme du milieu", du centre! Les sonorités de guitare pincée, frappée lui inspirent un trajet en diagonale, parsemé de gestes au ralenti dans de beaux et torsadés jeux de bras, de buste. A des niveaux différents, sa danse très "écrite" dessine des tracés, des phrasés étonnants, des parcours en arrière ajustés, pieds nus, vêtue de noir et blanc. Comme des gongs, les sonorités lui inspirent des torsions au sol, des profils posés, des agenouillements glissés de toute beauté. Sensualité au corps, discrète présence immergée dans la musique sans jamais la concurrencer. Les bras levés en tension, le corps géométrique dans une savante géographie des points, lignes et plans Sa réflexion chorégraphique, très plasticienne.Elle arpente, se mesure à l'espace, cadre son corps, sa tête entre ses mains, aborde des profils très Nijinsky, se taille des spirales en déséquilibre pour mieux bouleverser l'espace. Elle reste parfois immobile dans l'obscurité, modeste présence face à la présence des pianos préparés qui se partagent la scène au carré. Carré d'As pour ce jeu ludique de passassions, trajet entre les instruments que le pianiste fait de bonne grâce!
Dans la lumière, elle devient chamane tournoyante ou derviche tourneur, s'emparant de toutes les cultures chorégraphiques, jusqu' à celle très "danse d'expression" de la sorcière de Mary Wigman: la transformant en version animale remarquable. Corps relâché, nonchalant, débridé, là voila qui esquisse quelques phrasés à la Trisha Brown, flex,perdant radicalement de vue toute empreinte rigide et académique de Merce Cunningham.
D'ailleurs délibérément absent de cet opus musique-danse atypique!
Ne chercher pas le "Bird" il s'est envolé de son Cage !
Quelques belles reptations au sol, des poses à la Maillol, sculptées dans l'éphémère, allongée en suspension, une danse parfois "empêchée", bridée, aspirée de toute par vers des énergies jusqu’au-boutistes. Un voile noir pour vision fantomatiques à la Loie Fuller ou Martha Graham, et voilà son corps qui traverse l'histoire et flotte dans l'éther.
Le piano se fait son de cloche, musique frivole et joyeuse: elle en esquisse quelques mudra de danse indienne, étranges prières suggérées puis s'en délivre, se débat avec force et puissance physique dans des réminiscences de danse dadaïste, surréaliste. Les pieds en dedans, se fait faune, revisite discrètement le répertoire des "gestes" emblématiques de dame la danse et s'affranchit même des silences de Cage pour danser, librement inspirée par l'espace-temps, le vide, la vacuité.
Avec parcimonie, discrétion et empathie, Elodie Sicard incarne charnellement la musique de Cage, si riche sous les doigts de Bertrand Chamayou qui épouse et transforme les intensités de la "préparation" des ses quatre instruments de percussions mystérieusement mutant en orchestre de percussions!
Cage, aux anges, en sourirait comme dans ses fous rires et si de dos, la danseuse incarne les sons hispanisants avec parcimonie et retenue, il songerait à tout le parcours qu'opère la musique pour gagner sa place "contemporaine" et laisser à la danse son expression d'aujourd'hui!
Quand Merce n'est pas là, les souris dansent!
A la Cité de la Musique et de la danse dimanche 22 Septembre dans le cadre du festival Musica
John Cage Mysterious Adventure (1945) / 8’ John Cage The Unavailable Memory of (1944) / 4’ John Cage Primitive (1942) / 4’ John Cage In the Name of the Holocaust (1942) / 6’ John Cage The Perilous Night (1942) / 12’ John Cage Root of an Unfocused (1944) / 5’ John Cage Daughters of the Lonesome Isle (1945) / 12’ John Cage A Valentine Out of Season (1944) / 3’ John Cage Tossed As It Is Untroubled (1944) / 3’ John Cage Bacchanale (1940) / 8’ John Cage Our Spring Will Come (1943) / 5’ John Cage And The Earth Shall Bear Again (1942) / 3’
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire