samedi 21 septembre 2019

"Sweet sooooooooooooooooooong" Juliet Fraser: "sweet movie" du souffle et des lèvres


Dans l’ultime chapitre d’Ulysse de James Joyce, Molly Bloom, allongée dans son lit auprès de son mari Leopold, sombre dans un infini soliloque, libéré de toute ponctuation. Pour O, Yes and I,Rebecca Saunders retient la musicalité de la langue de ce flux de conscience, mais aussi le spectre de sensations physiques ressenties par une femme qui se laisse embarquer dans l’odyssée de ses désirs. Un concert sur le thème de la « chanson douce », leitmotiv du roman, incarnée par la soprano Juliet Fraser et la flûtiste Helen Bledsoe.
programme Soprano  Juliet Fraser Flûte  Helen Bledsoe   

Rebecca Saunders "O"   (2017) / 10’ création française   
Pour voix seule, ce morceau démarre par des sons de voyelles mouillées, très haut perchés, émises par le corps radieux de la chanteuse, visage animé, toute en finesse d'interprétation voluptueuse, dans de subtiles variations de timbres, de volumes: modulations, bercements ondulants d'un flux très ténu. Se dessine comme une inquiétude sur son visage ; dans des aigus poussés à l'extrême, elle balbutie avec des éclats de voix, de sons, libérés avec parcimonie, tact et retenue. Virtuosité de la langue à l'appui qui dégringole les octaves avec vélocité, y perd ses apnées en suspension... Des contrastes d'une extrême difficulté palpable changent sans cesse les registres, les rythmes, les durées. Sensuelle, interrogative, bouleversante, Juliet Fraser émeut, touche. Sa prestation requière beaucoup d'attention à l'écoute, fine et subtile D'infinies variations des flux de souffle de la colonne d'air, de l'ouverture de ses lèvres, dévoilent la richesse de la partition.

Enno Poppe "Wespe" (2008) / 6’ création française  
Quelques hésitations hachées pour mieux défricher une ligne qui s'avance à tâtons, se fraie un chemin en psalmodiant de façon linéaire la partition: la chanteuse, de nouveau en solo, vascille, oscille, tangue et dévie le cours des ondes sonores de sa voix, à moitié parlé-chanté. De beaux vibratos , tremblements ,ornements qui tressaillent, habitent sa voix 
Des trémolos zigzagant, comme des ricochets qui avancent et s'enfuient, fugueurs de sons secoués par l'émission à fleur de peau de sa voix;
Les yeux grand ouverts, le regard étonné, elle émet hoquettements, soubresauts en guirlande, écho qui se meurt peu à peu.

Rebecca Saunders "Bite" (2016) / 15’ création française 
La flûte basse amplifiée de Hélène Bledsoe fait irruption, solo intense et vibrant de présence.D'une belle stature, corps gracile, très mobile, agité par l'émission des sons, comme autant de souffle projeté, expiré, tranchant comme une lame ou le geste vif d'un art martial coupant. Coup d'épée, de sabre dans l'air tranché, morsure ou plutôt déchirure des sons Escrime, esquive ou attaque pour une stratégie de défense d'un combat livré au temps et à l'espace.Cinglante interprétation qui claque et se répand comme une onde.L'interprète sursaute, bondit, féline, faune sensuel. D'une grande beauté, concentrée, habitée par l'urgence et la nécessité d'émettre ces sons si inédits, elle convainc et séduit, emporte avec elle son auditoire.La versatilité, la volupté de l'opus volatile et volubile lui sied à merveille. Elle susurre, murmure à travers son médium corporel et instrumental.
 Comme un animal qui menace, se tend et bondit sur sa proie!
 Quelques bourdonnements compulsifs, accélèrent le rythme, virulent, intense, précipité, haletant quasi asphyxiant pour l'auditeur en empathie.
Puis elle quitte son instrument, comme on quitte un autre corps après l'amour.
  
Chaya Czernowin "Adiantum Capillus-Veneris" (2015) / 10’ création française  
Pour voix seule, l'oeuvre distille coassements, croassements qui croquent, alléchés par les sons. Des nasales en résonance interne , des sons d'insectes à peine émis, discrets, ténus, imperceptibles souffles, de la tension, de la retenue, périlleuse, sur le fil, font du morceau un exercice époustouflant.
 Comme des fuites d'air qui chuintent, se glissent, ventilent, insaisissables et perméables.
Les émissions incroyables de cette voix unique, taillée sur mesure pour ce genre de partition, façonnent une atmosphère de vie, de mort.De sommeil ou d'endormissement

Rebecca Saunders "O, Yes and I" (2017-2018) / 9’ création française
Enfin le duo qui va réunir les deux artistes du souffle pour un dialogue tuilé, cajoleur, enrobant, bienveillant, roucoulant.
Se bordant l'une l'autre avec grâce et félicité, douceur autant que virulence et brutalité.
 Très contrastées, les deux interprètes au diapason des intensités, éclats, stridence des sons dans un respect mutuel: un tandem, binôme idéal pour habiter et faire vivre la musique de Rebecca Sanders et ses rebonds allègres et vifs, sa touche, sa griffe tactile et sonore si délicate et ferme!

A la Salle de la Bourse samedi 21 Septembre dans le cadre du festival Musica

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