"Les oreilles n'ont pas de paupière": tout pourrait démarrer ainsi dans la découverte des textes de Pascal Quignard sur les origines d'un art étrange et énigmatique qui n'échapperait à personne tant l’ouïe "obéit" à tout ce qu'elle capte et constitue un "totalitarisme" de la musique dressée par les humains pour mettre de l'ordre!
Les deux œuvres inspirées de ce manifeste, présentées à Musica, sont aux antipodes l'une de l'autre: un spectacle musical et vidéographique, mis en scène par Christian Gagneron, joué par Lionel Monier et interprété par l'ensemble TM, dirigé par Laurent Cugniot prolonge les essais de Guignard en une lecture éclairée et musicale de ses propos.
Univers blanc, comédien vêtu de blanc, assis sur un fauteuil pour y déverser un texte qui ne semble pas être révélé par la musique, plaquée et redondante de Daniel D'Adamo...On s'y ennuie presque tant rien ne se passe de plus que l'addition des phrases dont le sens portant est passionnant, à la musique très lointaine des propos fusants de l'écrivain philosophe et poète Quignard!
La musique a toujours occupé une place essentielle dans l’œuvre de
Pascal Quignard et c’est à n’en pas douter la raison pour laquelle La haine de la musique, qui démêle méthodiquement les relations entre la musique et le pouvoir, a bénéficié d’un accueil aussi attentif et passionné.
Qu’y
écrit-il en substance ? « Tous les liens que la musique entretient avec
la souffrance et la mort » sont interrogés, des origines des
instruments (carapace de tortue, boyaux de moutons et peau de vache pour
la « khitara » qui n’est autre que l’arc tueur d’Ulysse), jusqu’à son
utilisation dans les camps de la mort du IIIe Reich. Comment la musique
est obéissance, comment trop de musique finit par détourner d’elle
jusqu’au mélomane le plus averti ? Comment on ne peut échapper au son,
contrairement aux autres sens, comment le haut-parleur omniprésent a
privé le monde de son silence nécessaire ?
Le texte est fort,
aphoristique, pessimiste et érudit. L’acteur à qui il est confié crée un
« parcours de l’écoute », un « cheminement du récit, des premiers
hommes représentant le son dans les peintures rupestres, jusqu’à notre
civilisation sonore amplifiée. »
Les dix instruments retenus par
Daniel D’Adamo (né à Buenos Aires en 1966, il est installé en France
depuis le début des années 90) interviennent en ensemble de chambre
aussi bien qu’en solistes et sont prolongés d’un dispositif
électro-acoustique immergeant l’auditeur dans l’espace spécifique du
spectacle.
Bien plus édifiante la version "concert sous casques" du groupe étonnant "Décor sonore", coproduite par La muse en circuit,dirigé par le compositeur Michel Risse Et pas que du "décor" pour cette interprétation des mêmes textes de Quignard qui tout à coup se révèlent dans toute leur intelligence et pertinence!
On oublie tout, assis ou allongé confortablement, à terre dans une salle du Conservatoire: communion collective d'une petite cérémonie rituelle, messe à partager, tard le soir alors que les corps et les esprits sont lourds de leurs activités journalières.
Tout commence avant le démarrage officiel de la prestation: un homme vous murmure des propos très cagiens à propos des bruits de la rue, du son: un camion qui passe fait-il de la musique?
Puis le rituel démarre: noir et petites lumières tamisées pour écrin.
Un homme attablé conte "la haine de la musique" et tout s'éclaire tandis que l'électronique fait en live son travail d'écho, de rémanence des sons.Un bric à brac étonnant fait office d'instrument de musique: rappe à pomme de terre, fouet et batteur à blanc d'oeuf, archer pour faire grincer les pupitres et griffements des murs lacérés par l'officiant, déchainé devant tant de trouvailles!
Tout fait sens et le texte est ainsi rehaussé, magnifié sans être illustré pour autant: prolongé par la muse "écho" et l'écoute médiatisée au creux des casques que chacun porte pour s'isoler, se concentrer.
Belle performance où le verbe "inter liguérer" fait mouche et nous rend plus vifs et intelligents à l'issue du concert. Jamais inactif, on collabore à l'édifice et la musique devient "aimable" plus qu' "haïssable"!
Une "N" à la Preljocaj ou Kassovitz à chérir et développer pour sa propre réflexion sur ce monde sonore auquel on n'échappe pas!
A quant une version de "De l'origine de la danse" du même Quignard pour espaces musicaux et corporels?
vendredi 10 octobre 2014
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