Avec l'Accroche Note il fait encore un bout de chemin avec deux créations mondiales: noblesse oblige pour cet ensemble, fer de lance de la création musicale contemporaine, berceau de bien des projets et Pygmalion inspirant bien des compositeurs!
On ne présente plus Pascal Dusapin à Musica, le plus joué des
compositeurs français de sa génération. Son rendez-vous d’automne avec
le public strasbourgeois est quasi rituel depuis trente ans, et les
musiciens de l’Accroche Note en sont les interprètes fervents depuis
leur rencontre au tout début des années 80.
By the way pour clarinette et piano et Wolken pour voix et piano viennent compléter cet extraordinaire répertoire construit en commun. Wolken
(des nuages) est un cycle de cinq chansons sur des poèmes de Goethe
écrits en hommage au météorologue anglais Luke Howard, avec lequel
l’écrivain entretint une correspondance tardive. Stratus, Cumulus, Cirrus et Nimbus sont complétés d’une « Luminosité blanche » extraite de Nausikaa.
Françoise Kubler interprète cette musique très inspirée avec légato, pianissimo: son timbre se glisse et se fraie un chemin subtil dans cet univers intimiste.
Tout s'évase, s'élargit, se déploie: l'horizon se forme, lointain, les sons s'étirent, s'épanouissent judicieusement: alors se dessine un paysage ouvert, offrant toute possibilité au rêve, à l'évasion.
On frôle ici la méditation, la douceur d'un calme apparent où les éléments naturels se taisent au profit de sons, de résonances intuitives, très délicates, savoureuses, délicieuses!
On retrouve ici, dans sa musique, l’attrait de Dusapin pour les formes
vaporeuses et mouvantes qu’il a par ailleurs généreusement
photographiées.
Outre la création mondiale d’un nouveau trio de
Dai Fujikura "Being as one" (voix, clarinette basse et violoncelle, sur un texte de
Harry Ross), et les poèmes de Borges ""Two englisch Poems by Borges"mis en musique par Daniel D’Adamo,
on retrouvera l’une des premières partitions que Christophe Bertrand,
"Dikha" alors âgé de vingt ans, avait composée lors de son cursus de
composition à l’Ircam, en 2001. Un signe en mémoire de celui qui fut,
dans les années 2000, l’un des plus brillants jeunes compositeurs
associé au Festival.Armand Angster, seul en scène s'empare de la partition avec souffle, énergie et brio: la clarinette et son "miroir virtuel" électronique, se répondent, se chevauchent: duo, duel entre les couches et strates de musique, voici un beau combat entre musique live et pré-enregistrement!Instables les sons se transforment, s'amenuisent, disparaissent et le corps du musicien investi à fond dans ce jeu très virtuose et ténu, se meut avec grâce et tension.
Avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, voici Pascal Dusapin en compagnie de Barbe-Bleue, celui de Bela Bartock, pour son "Morning in Long Island" de 2010!
Deux œuvres qui s'entrechoquent mais dont la dramaturgie musicale, bruissante et chaotique pourrait être le trait d'union!
"Le château de Barbe Bleu":
Une oeuvre monumentale, digne de rencontrer l'interprétation de l'Orchestre en grande forme sous la direction de Marco Letonja.
Oeuvre qui se déploie au fur et à mesure que le drame qui se trame entre les deux chanteurs protagonistes, se joue. Discussion et confidence intimes, interrogation de Judith à propos de ce secret qui se cache derrière chaque porte
Avec opiniâtreté, la voici qui insiste, réclame les clefs de ce futur enfer, comme autant de possibilités pour ouvrir et faire céder les portes ouvrant sur un paradis possible!
La tension augmente, l'orchestre s'empare de cette atmosphère tendue et mystérieuse pour restituer le rytme implacable et irrévocable du drame!
On a écrit que « Le Château de Barbe-Bleue est le château
intérieur de Bartók, avec ses portes et ses douleurs et ses
craintes, ses révélations, ses transgressions, et ses lacs de larmes qui
encadrent notre existence. » (Gil Pressnitzer)
Nina Stemme,
l’une des plus grandes voix actuelles (Isolde à Bayreuth, Brünnhilde à
la Scala…) comme son partenaire Franz Hawlata (Baron Ochs au
Metropolitan, Hans Sachs à Bayreuth…) donnent à cette version de
concert sa force dramatique incomparable.
"Morning in Long Island"
Une pièce pour orchestre de Dusapin qui trouve au coeur de l'ensemble de l'Orchestre, toute sa dimension gigantesque d'oeuvre titanesque.
Les flots de musique, les masses sonores qui s'amplifient évoquent ces paysages multiples que l'univers de l'Océan évoque au créateur.Flux, reflux, mouvements ondulatoires déferlent sur des plages sonores riches et puissante Le ressac des vagues déferlantes évoqué par les cordes, les immersions de sons enveloppant font naviguer dans des contrées lointaines et on échoue sur des matières denses, voluptueuse dans un océan de frénésie, de danger, de tensions maritines
Le retour au calme est incertain, une apnée retient notre souffle, coupé, haletant, en osmose organique, physique avec une oeuvre loin de laisser notre corps indiférent.
Empathie garantie dans une tectonique musicale digne du chaos des origines
Du" grand" Dusapin déferle, si bien soutenu par un orchestre au service de la puissance de l'instant musical.
Les vents se répondent en fond de salle, dispersés pour mieux inonder, envahir peu à peu l'espace sonore.Souvenir
d’une longue marche matinale sur une plage de Long Island, en 1988, le
compositeur Pascal Dusapin, évoque « les sons de la mer qui déferlait, les bandes
d’oiseaux qui planaient en cercles, les parfums salés du sable et ces
plantes immenses échouées comme des lianes qui bruissaient en farandoles
sauvages (…), au loin une musique de danse, comme les fragments d’une
mémoire ancienne. »
Bruissements, murmures et couleurs relient
fortuitement, à un siècle de distance, ces partitions mobilisant toutes
deux la puissance évocatrice du grand orchestre.
Une soirée d'ouverture de saison pour l'Orchestre qui augure des meilleures surprises!
mercredi 8 octobre 2014
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