dimanche 23 septembre 2018

" Counter Phrases": quand la danse devient toile, écran, film musical !


Au lieu d’élaborer un ballet à partir d’une matière sonore, Anne Teresa De Keersmaeker et Thierry De Mey ont demandé en 2003 à dix compositeurs d’écrire la musique de dix chorégraphies déjà filmées. Musica présente cette année la troisième version de ce fascinant work in progress.

Nouveauté au tableau de cette oeuvre si souvent revisitée tant elle contient en elle de multiples façons de la mettre en espace...sonore !Un compositeur malien Ballaké Sissoko !
Retrouver Thierry de Mey, depuis sa résidence si fertile au Conservatoire de musique de Strasbourg, est un événement
Pour les amateurs d'expériences liées au rapport étroit danse-image-musique, pour la découverte de nouveaux espaces tangibles pour la danse d'Anne Teresa de Keersmaeker.
Plaisir de voir et revoir certaines pièces en présence de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse et de nouveaux invités: les trois musiciens percussionnistes de Ballaké Sissoko sous la direction musicale de Laurent Cuniot,
Convoqués ici pour la même expérience: interpréter, prolonger l'énergie de la danse mise en scène dans des espaces singuliers, détecter les phrases, la syntaxe de la danse, du montage pour fabriquer une oeuvre hybride, inouïe, jamais vue, jamais perçue! Une musique de film, en résumé!
Des jardins extraordinaires sont ainsi révélés par le passage des danseurs: soliste, duettiste ou groupe animé de courses fulgurantes, dessinant dans les espaces, des lignes de fuite, des fugues, inscrites dans le mouvement
La griffe, la signature intacte de la chorégraphe, respectée, soutenue par cadrages, prises de vue, travellings ou simple plan fixe, signés Thierry de Mey, compositeur, réalisateur, chorégraphe de l'image.
Les images séquencées, plein cadre ou divisées en trois parties distinctes perturbent joyeusement le rythme de la lecture, vision de l'oeuvre filmique.



Les corps passent d'une image à l'autre, passe-murailles magnétiques, simples spectres bien vivants, habitants de ses jardins colorés, bleutés, rougeoyants, aux escaliers en plateaux horizontaux, aux haies cachottières
Du mystère décelé par le réalisateur, découvreur d'espaces végétaux: tapis verts de pelouse, perspectives fuyantes de jardins à la françaises, bosquets, allées ou jardinières de verdure.
Les vêtements singuliers, fleuris, colorés , signés de Dries Van Noten participent à cette allégorie picturale et sonore de ses êtres dansants, lutins des clairières, tribu ou ensemble vivant se déplaçant, nomades, à l'envi ! Mimétisme de ces caméléons qui se lovent dans une mouvance très repérable: pieds au carré, spirales enrobantes, directions multiples interrompues...Toute la grammaire de Keersmaeker rehaussée par le montage "magique" de Thierry de Mey
Et la composition musicale très inspirée de Sissoko fait mouche: percussions traditionnelles viennent modifier le sens, le poids et les impacts des images en mouvement, de la danse en fugue incessante. A deux reprises, les mêmes séquences sont projetées avec leur musique d'origine, puis avec la nouvelle composition. Ca fonctionne au quart de tour, modifiant l'énergie de la danse, le déroulement du film: "un autre film" avoue Thierry de Mey qui ce soir là, découvre comme le public, quatre morceaux choisis!
Les espaces, de végétaux, passent au minéral, la floraison s'amenuise, les rhododendrons disparaissent au profit d'un épilogue sur la musique de Steve Reich: architectures urbaines visitées par un trio de danseurs, lyriques, révélant lignes de fuite, verticalité des constructions en autant de partitions visuelles, de champs d'action vibrants, multidirectionnels comme la danse de Teresa. 

"Counter Phrases" n'aura jamais de cesse de nous intriguer, de nous faire passer de l'autre côté du miroir, sans compter son énergie, en contant des histoires de corps Sans plaquer de la musique sur de la danse, sans l'évacuar dans le silence, en respectant sa respiration, ses bruissements, son souffle

Au Point d'Eau à Ostwald samedi 22 Septembre

1 commentaires:

Unknown a dit…

merci Geneviève Charras pour ce précieux regard - écoute et son expression sous votre plume avisée et sensible ! Thierry De Mey

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