dimanche 30 septembre 2018

"Hugues Leclère, piano": le festin de Debussy : entremets et entrelacs de parenté !


Pour célébrer le centenaire de la disparition de Claude Debussy, Hugues Leclère a demandé à dix compositeurs d’écrire une pièce qui s’intercalerait entre les Études pour piano, l’une des partitions les plus expérimentales de sa dernière manière. Ce projet, dont Musica a la primeur, s’inscrit dans la continuité de Debussy, poète de la modernité (2012) qui entrelaçait les Préludes avec des morceaux composés là aussi pour l’occasion.
A l""étude" Debussy devait déjà composer avec toutes les facultés en main, université de son savoir faire musical en poche !
Les douze stations de Debussy
Le concert démarre donc avec ces "douze études" aux titres évocateur dans la montée en puissance des pièces à exécuter: " pour cinq doigts",  "pour les tierces", pour les degrés chromatiques"....Mais loin d'être un glossaire ou une compilation , style catalogue raisonné des difficultés à éprouver, voilà une oeuvre qui évolue du début à la fin, étape par étape, comme un chemin de croix à douze stations, mais celui là, chemin de traverse, ode au bonheur -et à la douleur- de composer et d’interprète.
Entre chaque courte étude, un bivouac qui s’enchaîne et s’enlace à l'étude précédente, sans arrêt, ni transition.
La première est confiée à Laurent Durupt, c'est "pour le majeur" en écho à "pour les cinq doigt"!
Des gammes en résonance, ascendantes, en spirale, aspirant vers le haut toute l'imagination de l'auteur, en complicité avec le maître de référence, convoqué ici en dialogue fertile.
Maura Lanza succède à cette distribution, casting de haut vol pour un scénario musical riche de rebondissements, de coupures, de montage, de gros plans ou travelling!
De belles citations, mélodiques et calmes, en miroir, comme pour traverser sereinement les deux univers musicaux et tisser des lien, derrière le miroir ou en passe muraille.
Frank Bedrossian prend le relais, le flambeau de cette folle aventure éditoriale avec "Pour les corps électriques", il fabrique des sons percussifs à partir du piano, ici préparé à grand renfort de papier aluminium!
Affublé de mitaines noires, le pianiste, virtuose, debout, triture la caisse de résonance et émet, de ses entrailles, des sons inouïs. Bruissement de papier, percussions sur les marteaux du piano, bruits de cailloux, de métal comme dans une petite usine,fabrique à produire du son. Scie, déchaînements et déflagrations éruptives: révolution de piano, artisan, manipulateur, fabricant l'oeuvre avec ses outils de fortune, Leclère excelle dans cette dissection, opération à cœur ouvert de l'instrument, fait objet d'expérimentations.
Avec "Pour les septièmes", le voyage croisé entre les univers de chacun, va bon train.Stephen Hough, aux commandes pour une fantaisie légère, fluide, harmonieuse, balade si proche de Debussy, que la liaison se perd et tisse les liens évidents de l'un à l'autre!
"Eclipse" de Philippe Schoeller joue les fermetés des sonorités, l'envergure des sons ou la discrétion et la sobriété des combinaisons musicales, tonales et de timbres. Hauteur et durée des notes, à la bonne fortune de l'inspiration d'un maître à son disciple!En touches impressionnistes, tachetées, pigmentées comme sur une toile. Les pédales du piano n'en reviennent pas!
Fin de la première partie, pause pour l'interprète, démiurge discret et généreux, travailleur de fond pour cette oeuvre magistrale, ouvrage de perfection, d'étude aussi, histoire d'être toujours meilleur!
Sébastian Rivas relève le défi à son tour avec "Etude de brouillard", un déferlement de notes, en suspension, calme à l'horizon, contrasté en volumes sonores changeants. Oeuvre fragmentée, tonique,pointée, sauvage, abrupte, engagée comme le jeu de l'interprète qui se donne entier à sa tache, studieux, obéissant, policé, respectueux.discipliné, docile face à cette gageure musicale!
Suit la variation de Philippe Leroux", Repeter...Opposer" qui prend le relais du "Pour les notes répétées" de Debussy: des notes piquées, frappées, répétées, en alternance, des graves résonants, des aigus pointus pour une petite danse interrompue.
 Un échantillon de notes pour glossaire, inventaire, accumulation en pluie battante de sons superposés. La vigueur, la rudesse et dureté de ses descentes brutales, decrescendo en cascades sur les touches, est sidérante de virtuosité: les prouesses de l'interprète ne sont plus à louer pour ce marathon musical.
Dufourt succède au casting avec son "Tombeau de Debussy", allusion à la mort et au souvenir, tel un long déroulé pondéral, pondéré qui démarre, sobre et solennel. Lente marche de cortège, grave, recueillie,, hommage respectueux au maître, dédiée à son génie, dévolue à son souvenir: dédicace paisible, reposée, cérémonie, mémorial, mausolée discret pour un "monument" de la musique "moderne"!
Durieux au final pour clore avec "Passage" cette page historique qui met en balance musicien d'hier et d'aujourd'hui: la transition avec Debussy est si fine et infime que le lien fait cordon ombilical et les ressemblances, clins d’œil et combinaisons, font se succéder comme dans un leurre, une pièce à l'autre, une signature commune à tous: l'excellence, l'imagination, l'audace et la créativité.
Martèlement des notes, crescendo et decrescendo véloces, sons affolés, indisciplinés s'échappent des doigts du pianiste, rivé à l'instrument, dans une expression de bonheur et de félicité absolus.
Tout rentre dans les rangs après cette oeuvre pugnace, incisive, insistante. Magistral final signé Debussy, en accord-raccord vertigineux, sans faille, comme l'ensemble de ce concert qui fera date dans l'histoire de la musique!
Hugues Leclère aux commandes de cet partition singulière en pièces attachées, montées comme un rouage éternel, "Pour des sonorités opposées" cependant, la pièce la plus remarquable de Debussy dans ses Douze Etudes de modernité
Douze étapes, ourlées de neuf créations qui tissent et métissent la frange, le tissu, la trame et la chaîne des impressions sur étoffe musicale!

A la Salle de la Bourse ce samedi 29 Septembre



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