vendredi 21 septembre 2018

"Soffio di Scelsi": respire ! Éole ,faite Jacinthe à fleur de peau!

La démarche créatrice de Giacinto Scelsi était singulière. Il disait recevoir sa musique d’un deva, divinité de l’hindouisme, et se livrait, pour la recueillir, à de longues séances d’improvisations à l’Ondioline, qu’il enregistrait et faisait transcrire par un tiers. Il paraît dès lors naturel que de fins improvisateurs comme Jean-Marc Foltz, Stéphan Oliva et Bruno Chevillon aient souhaité s’imprégner de sa musique pour improviser ensemble dans l’esprit du maître italien.

Comment restituer l'âme et l'esprit du compositeur "fou", décalé, exigeant et solitaire, maître des ensembles , des chœurs, lui rendre un "hommage", un "tombeau" musical où l'on puiserait dans sa force mystique, dans son allant spirituel? Giacinto, la jacinthe, fleur inspiratrice!
Chose engagée et réalisée pour le festival Musica, pièce dédiée à Jean Dominique et Catherine Marco..
Cadeau, présent émouvant, habité par les trois protagoniste, dans un seul souffle commun: l'inspiration, l'improvisation et la structure. Tenue, hauteur et durée des notes pour mieux transcender le temps, l'espace intime de la musique de Scelsi.
Un trio, un ensemble réuni pour l'occasion qui démarre avec de superbes vibrations: ça gronde à l'horizon, l'ouragan se lève menaçant. Le saxophone émet encore quelques intonations aux mélodies arabisantes, lointaine évocation d'un paysage désertique, habité par les vents, alors que le piano grouille et frémit, fébrile.
Paysage de dune qui se déplacerait, alors que la contrebasse évoque aspiration et inspiration, les cymbales, une ponctuation singulière.
L'atmosphère est étrange, tendue, le suspens plane, horizontal, frontal; quelques éclats de musique fendent l'éther...
Et ce trio intrigant de fabriquer résonances cinglantes, stridentes, inquiétantes. Métalliques.La réverbération, et la prolongation des sons opèrent: volume et espace sonore s'étirent en profondeur dans la durée ou la hauteur. Lenteur, déploiement d'une suite d'interventions sonore inouïe, inédite de chacun des instrumentistes, concourent à épouser l'esprit de la composition chez Scelsi: de l'audace, du jamais "entendu".
Soudain le fracas fait place à cette savoureuse unité de ton, montée en puissance du son, des percussions, frappées à la grosse caisse avec fureur et autorité. Déferlement des notes sur le piano dans lequel plonge l'interprète pour le préparer à du son neuf et vivace.


Tambours, peaux et percussions, frappés fort
On remarquera le jeu de Bruno Chevillon, très physique, beaux gestes à l'appui, sensuels et mesurés sur les tenues des notes et les vibratos de la contrebasse. Le voilà mante religieuse, entourant son instrument, les bras prolongés par des baguettes qui titillent le coffre de bois de sa carapace sonore et vibrante.De ses deux archets, il semble manipuler une marionnette, objet vivant et vibrant.
Souffle, respiration au poing, dans de belles inspirations-expirations, visibles comme une danse.
On se souvient de l'oeuvre vidéographique des chorégraphes belges Mossoux Bonté, "Scelsi Suites" où ils signaient un duo en huis clos énigmatique et troublant de gestuelles inventive.


Toujours des sons étranges sourdent de cette tempête qui bruisse, tantôt brise, zéphyr ou bise soutenue, ouragan de percussions, tsunami de vents et bruissements divers. A la source, c'est l'instrument qui inspire, sa forme et sa matière qui résonnent.
"Le son est le premier mouvement de l'immobile", son leitmotiv, fondamentaux de sa musique est ici troublant de présence, de réalité charnelle.
La voix fait irruptio, Bruno Chevillon en lecteur et percuteur des mots enregistrés par Scelsi sur sa musique, sorte de manifeste "dada" de son art morcelé, inventif et décalé.
Un magnifique solo de saxophone de Jean Marc Folz, un jeu plein de dextérité du pianiste Stéphan Olivia pour nous rappeler l'importance de chacun dans ce fondu de musique très inspirée, cosmique en diable! Le chaos tectonique s'installe à nouveau dans un déferlement savant de tonalités, un affolement des sens pour l'auditeur, placé au cœur de la musique vivante qui se fabrique devant lui.
 Apocalypse, capharnaüm, tout ici gronde et vibre à l'envi: même celui qui lit et écrit bruisse et détermine une musique de table, sons d'un texte raisonné, passionnant du compositeur.
Belle initiative, hommage rendu à un esprit trublion et performant d'un auteur visionnaire, décuplant les forces tectoniques de la musique.
Les dieux du vent attablés pour ce banquet d'éoliennes poursuivant le chemin du compositeur dans le respect, l'adaptation savante et raisonnée d'une oeuvre à "fleur" de peau !


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