Après Phèdre !, et avant Carmen à venir, François Gremaud s’attaque à un autre classique, emprunté cette fois au répertoire de la danse.
Giselle… « trois petits points », comme l’explique Samantha van Wissen face au public, est à la fois le récit et le commentaire de Giselle (« sans petits points »), œuvre-clé du ballet romantique.
La performeuse-danseuse, membre de la compagnie Rosas dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker, fait ici office de conférencière, et nous en fait découvrir non sans humour les multiples facettes. Au fil du spectacle, elle-même se met à en esquisser quelques gestes, sur les notes d’un violon, d’une flûte, d’une harpe et d’un saxophone. Quatre musiciennes présentes sur la scène, pour une adaptation surprenante de la partition composée par Adolphe Adam. Le commentaire devient mouvement, le mouvement devient commentaire, dans une variation sur l’histoire tragique d’amour et de folie écrite par Théophile Gautier. Une histoire qui, au fil des interprétations à travers le monde, est parvenue jusqu’à nous et jusqu’au Maillon, où Gremaud avait déjà présenté son hilarante Conférence de choses en 2019 et Auréliens en 2021. Une forme inédite donnée à l’original.
En avant pour la lecture désopilante du chef d'oeuvre de la danse romantique!
C'est à une interprète hors pair qu'est confiée la "lourde" tache de conter les péripéties de la plus "légère" des héroïnes du ballet classique: Samantha van Wissen!Une femme qui danse, joue, mime et se débat avec les rebondissements multiples, les imitations de tous les personnages-complexes- du récit "épique" des amours de la jeune Giselle! Tout y passe à la vitesse grand V: les relations avec sa mère, les amours troublés de ces "trois" hommes fétiches que sont Albrecht-Loys, Hilarion ...On la suit dans ses allées et venues, ses déplacements furtifs ou vagabonds, sillonnant le plateau, le sourire et l'enthousiasme aux lèvres. Elle possède le don de vous saisir, vous emballer dans ce voyage au long court dans l'épopée de cette Giselle, tendre oiseau de proie de ses proches autant que des Willis.Car qui croit avoir saisi les racines et tenant et aboutissant de la narration, se trompe: il y en a des mimiques, des hésitations, des soubresauts et tremblements, des courses et déboulés, des manèges et autres cabrioles que la danseuse-comédienne-mine exécute avec l'âge de son corps mure et bien bâti, robuste, aguerri aux performances de la danse magnétique de Anne Teresa de Keersmaeker...Dans une autre vie!Elle caracole, s'émeut, s'empare de tous les personnages, sobre ou exaltée dans le rôle de la mère au bord de la crise de nerfs, s'adressant en néerlandais et vociférant à l'envi. Beaucoup de calme et de tendresse aussi dans le deuxième acte des Willis où les scènes de retrouvailles entre Albrecht et Giselle sont de toute beauté.Très subtiles postures, attitudes renvoyant aux gestes et à la chorégraphie d'origine. Cette conférence "gesticulée", dansée, parlée est aussi performance physique, aérobique, éprouve le corps de la danseuse, galvanisée par le rythmes et la composition du texte de François Gremaud qui signe un "livret" romanesque de monologue bariolé de toute intelligence sémantique et sonore.La musique, présente sur le plateau grâce au talents de quatre interprètes, complices de l'action et en dialogue avec la performeuse quasi deux heures durant. En cadeau une "fugue" de trop dans cette partition jugée souvent comme futile et descriptive.Comme "le vers" dans le fruit, pas piqué des vers, cette ode à la beauté est aussi chaplinesque tant la dextérité, la précision et la rigueur du jeu est millimétrée comme le texte. On songe entre autre à Mats Ek ou à De Keersmaeker dans ce beau clin d'oeil à "Rosas" sur la chaise où Giselle dé-mime et démine la gestuelle de notre jeune héroïne.Gaga, aussi, sa gestuelle débridée, sa folie emblématique faite d'errances et d'adresses au monde des vivants, basculant dans la méprise, la déraison...Un spectacle en "audio description" singulière où le langage et la musique de concert, prenne toute la dimension autant sauvage que classique.
Au final, un livret vous est confié pour ne pas oublier que la danse est corps-texte, cortex et bien le berceau historique de tant de genre: comédie ballet, ballet d'action, opéra et comédie musicale. Et les Willis prennent corps et graphies devant nous, elle seule endossant le rôle des rangées en batteries de ses spectres désincarnés qui firent les beaux jours des abonnées du foyer du Palais Garnier!
Au Maillon avec Pole Sud jusqu'au 30 Avril et au festival perspectives à sarrebruck 18 MAI