jeudi 30 septembre 2021

"Drift Multiply" de Tristan Perich: accordez vos violons d'Ingres! Beaux parleurs !

 


Après sa pièce pour orgue donnée à l’église Saint-Paul le 23 septembre, Tristan Perich présente une autre page monumentale, dans un format inédit : un orchestre de 50 violonistes, chacun accompagné par un hautparleur – soit 100 voies sonores déployées dans l’espace. Drift Multiply est un gigantesque paysage sonore, un océan où le compositeur sonde « le seuil entre le monde abstrait du numérique et le monde physique qui nous environne ». Un concert exceptionnel, qui voit pour la première fois réunis sur scène les violons de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et de l’Orchestre symphonique de Mulhouse.

C'est une impressionnante assemblée de violons devant nous sur une agora musicale....Un flot de sonorités sourd des cordes qui s'animent, répétitives sous les archets.Musique magistrale de cathédrale gothique flamboyante, animée par tous ces violons en batterie, en rangée impressionnante Le deuxième mouvement sera celui d'une fine pluie battante qui enfle et  émane des hauts parleurs: pluie diluvienne par instant qui semble s'abattre sur la toiture des grandes halles de la citadelle.Musique et sonorités énigmatiques, hypnotiques, envoutantes...Hallebardes en cascades....Un concert où l'écriture de Tristan Perich trouve tout son déploiement, sa démesure dans de strictes mesures, son envergure cosmique et spatiale En spirales tournantes, résurgences de tourbillons, de flux et reflux de marée attirés par l'aspiration céleste des astres.Une soirée riche et splendide d'émotions, de résonances, de vibrations....Les deux orchestres réunis pour une "unisson" spatiale remarquable.Tous "au violon" sous la houlette d'un chef qui ne se laisse pas submerger par ce flot palpitant de sonorités immergeantes, envahissantes, submergeantes.

Tristan Perich Drift Multiply (2019) création française

Orchestre philharmonique de Strasbourg
Orchestre symphonique de Mulhouse

direction musicale | Douglas Perkins

Aux Halles Ciadelle dans le cadre du festival MUSICA

mercredi 29 septembre 2021

"Célébration" de l'usure ! Ne s'use que s'y l'on s'en sert ! On se tate ..... et l'on constate!

 


Mark Tompkins
Cie I.D.A. France 1 danseur + 2 musiciens création 2021

Celebration

Bienvenue dans Celebration, une invitation au spectacle tendre et crue imaginée par un artiste aux multiples facettes, Mark Tompkins. Ici, jeunes et vieux, musiciens et performer dansent avec les ombres entre gestes et chansons.

Autour d’une simple question : que signifie vieillir ?  Mark Tompkins a imaginé une tragi-comédie au propos singulièrement décalé. Entrelaçant mémoire et vulnérabilité, il nous parle aussi d’oubli et d’abandon. Immense silhouette comme lovée dans un bac à sable, un « jeune vieux » ou plutôt un « vieux jeune », joue et chante, créant de mini-mondes à notre image en manipulant de petits jouets. A ses côtés, le violoncelliste Maxime Dupuis et le vibraphoniste Tom Gareil. Ils orchestrent le trouble, dévoilant sa magie nocturne et musicale.


 La vie dans les plis!
Il nous attend sur le plateau du studio de Pôle Sud, intimement entouré de ses jouets favoris, usés par le temps, joliment éparpillés au bord d'un cercle de sable blanc et doux..Mark Tompkins, quasi nu , en petit slip discute avec ses objets de désirs lointains: "raconte moi une histoire" semble lui murmurer à l'oreille un vieil ours couché sur les ruines d'un château de sable miniature:et c'est chose faite avec l'histoire des trois petits cochons non expurgée.Percussion et violoncelle vont se mettre de la partie, encerclant de sons et de capharnaüm ce petit monde modeste et délicieux de tendresse.Couché, il songe, rêve, lové en fœtus puis se redresse aux sons des réverbérations du vibraphone et du violoncelle. déstructuré.Quelques traces laissées par ses doigts dessinant dans le sable. Gamin, enfance retrouvée et chérie par le biais de tous ces petits habitants, fétiches et marottes comme ce robot dansant clignotant, ourson comique et désopilant!Retour aux sources de ses amours: le chant, la voix rauque ou sensuelle pour ce "show must go on" éternelle envie et besoin de se produire face à nous, pour nous...Il se tâte, s'ausculte et constate que sa peau du ventre plissée dessine de jolies bouches souriantes.Distanciation et auto-dérision, "ridicule" et "grotesque" parodie des années passées à parader glorieusement!L'envergure des bras, immense Christ déployé à l'envi.Les deux musiciens au sol s'adonnent à, des fantaisies sonores tonitruantes, rageuses.Boxeur, sportif, Mark songe au temps passé, aux "performances" désormais terminées.Monsieur Loyal un peu usé et perdu dans le souvenir d'un corps inépuisable.Se faire "enguirlander" dans le cercle, couché au sol comme un Michel Ange, bordé de petits soins électriques par ses deux compères bienveillants.  Joli tableau à la Martin Parr que ces jouets manipulés, disséminés sur la plage désuète.Un bon duo de slam des musiciens gantés de couleurs arc en ciel encagoulé pour raconter en bref qu'il fait bon ou pas bon vieillir! Corps pantin en liesse ou au repos, la "retraite" n'est pas aux flambeaux et les sautillés  enfantins et rebonds attestent d'une autre "forme"passée qui laisse sa place à des états de corps nouveaux.Tompkins, modeste passeur de ce sentiment et sensation d'usure irréversible mais pas irrévocable.Des retrouvailles touchantes et émouvantes avec celui qui fut et est toujours trublion et féroce passeur de vérité et d'évidences incontournables: le corps ne ment pas !Et son image de Mark perdure avec cette "griffe", signature chorégraphique inédite qu'on lui connait!

A Pole Sud jusqu'au 30 Septembre !

Chorégraphe, danseur, comédien ou chanteur, Mark Tompkins a développé un étonnant parcours jalonné de projets ouverts qui vont des chantiers d’improvisation aux spectacles et traversent les genres. Parfois, l’artiste revient au solo comme dans ses Hommages consacrés aux grandes figures de la danse (Vaslav Nijinski, Joséphine Baker). Montages musicaux, théâtre et chansons, ses pièces marient la nostalgie et l’extravagance à l’autodérision. Le performer aime pousser jusqu’au bout ses personnages, et faire de ce travail intérieur, imaginaire, le lieu magique d’une révélation de soi. Ce que l’on retrouve dans Celebration, une pièce aiguisée sur le fil d’un tabou majeur de nos sociétés, le vieillissement.

"Black Village"....Motel ! Un polar à suivre, musique au poing!

 


Black Village (2019) 
un projet proposé par L’Instant Donné

C’était le temps des extinctions, le temps des rebellions. Un monde sans lumière, un dédale illusoire, hermétique et limpide à la fois. « C’était une construction, nous dit Antoine Volodine, qui avait rapport avec du chamanisme révolutionnaire et avec de la littérature […], une base de repli, une secrète terre d’accueil, mais aussi quelque chose d’offensif, qui participait au complot à mains nues de quelques individus contre l’univers capitaliste et ses ignominies sans nombre. » Sous la forme d’un concert clandestin, Black Village nous plonge dans une féérie noire, post-exotique, là où toute utopie est mise en échec, où seul le récit peut encore tracer la carte du territoire.

La petite salle des Halles Citadelle va devenir le théâtre d'une histoire passionnante, vécue, récitée, contée par une comédienne récitante fort douée, Hélène Alexandridis. Simple et sobre, elle devient le pilier, fondement du récit de conte loufoque et incongru, d'histoires à rebondissement. C'est la musique qui ponctue ce voyage qui renforce suspens et humour. Les instrumentistes s'en donnent à coeur joie,pour épauler le texte, jamais ne l'illustrant en redondances sémantiques sonores. Chacun y met du sien: cordes, vent, percussions aléatoires sur l'établi d'un boucher aiguisant ses couteaux pour mieux fendre le son!Plein de trouvailles sonores, une belle complicité entre les interprètes endossant chacun la responsabilité d'une intervention, commentaire sonore décalé des propos de l'actrice. L'ambiance de cette soirée d'automne ne gâchant rien à la confidentialité de l'oeuvre nocturne pour noctambules friands de ce "black village" et de son "motel" digne d'un Hitchcock!

texte Lutz Bassmann (alias Antoine Volodine)
mise en scène Frédéric Sonntag
composition Aurélien Dumont
comédienne Hélène Alexandridis

L’Instant Donné
Elsa Balas, Nicolas Carpentier, Caroline Cren, Maxime Echardour, Saori Furukawa, Mayu Sato-Brémaud

création lumière | Manuel Desfeux
scénographie, costumes, accessoires |
Juliette Seigneur
régie générale | Sylvaine Nicolas

"Syncretismus hypothesi": où va la science-friction?

 



La compositrice Jennifer Walshe, l’artiste sonore Mario de Vega et l’ensemble hiatus partagent une même vision de l’écriture musicale : le monde lui-même est le solfège, avec son chaos et ses harmonies, ses vivants, ses végétaux et microbiotes. Fruit d’une écriture collective, ce concert mis en scène libère les voix, les croyances et les énergies que recèlent notre environnement et nos technologies. Le syncrétisme qui en découle – nourri par les cultures irlandaise, mexicaine et rurale qui réunissent les artistes – demeure une hypothèse, celle d’un monde et d’un champ de l’art en devenir. Une expérience musicale où l’occulte et le paranormal n’apparaissent plus comme des ennemis du sens.

Cris d'oiseaux lointains, bol tibétain, sac de survie qui palpite: les regards des musiciens se figent vers le haut pour trouver la bonne étoile.Les corps tombent et chutent, des confettis s'éparpillent, des fleurs massacrées sur l'autel d'un buffet de curiosités hétéroclites. Le tout dans une cacophonie déstructurée comme cette petite cuisine magique à la Hervé Thiès dont les nuées et vapeurs sentent le leurre. Émincé de musique d'objets plastiques en poupe pour ce chef "au piano" des mets moléculaires!Émulsions de recettes chimiques de sorcier au poing.Les interprètes nous ignorent ou se tournent le dos dans des posture ou attitudes burlesques: la voix d'une narratrice surgit sous la couche des vents et cordes et devient chant triste et nostalgique.En spasmes fébriles, en transe, tambour battant. Possédée assurément!On désigne le ciel du doigt dans le silence, la musique se regarde et s'observe.Des respirations communes entre les cordes et les vents pour un choeur de voyelles scandées alors que s'agite des branches de saules comme des brins d'asperges géantes, montés en graine dans le souffle et la lumière.Curieux paysage inventé!De balai végétal ondoyant dans l'urgence fébrile des sons musicaux. Au final, une image arrêtée, figée transporte dans le calme: un air latino américain en boutade finale!

Jennifer Walshe
Mario de Vega
Syncretismus hypothesi (2021) création mondiale 

voix | Jennifer Walshe
électronique | Mario de Vega

Ensemble hiatus
violon | Tiziana Bertoncini
flûte | Angelika Sheridan
tuba | Carl Ludwig Hübsch
violoncelle | Martine Altenburger
synthétiseur, piano | Thomas Lehn
percussions | Lê Quan Ninh

"Trust me tomorrow" de Verdenstaatret: explorateurs, orpailleurs du son hétéroclite! Machin, machine à broyer la pierre !

 


Entre pénombre et éblouissement, immersion et introspection, le collectif norvégien Verdensteatret nous entraîne dans une expérience aux limites de la perception. À travers un vocabulaire de formes géologiques, organiques et animales, Trust me tomorrow transforme la scène en dispositif de spéculation sensorielle : chauve-souris, taupes, crustacés des grands fonds et poissons troglodytes, serpents et araignées du désert… et si comme eux, nous qui sommes tout autant aveugles à notre environnement développions des capacités hors norme, telles l’écholocation ou la sensibilité au magnétisme terrestre ? Que verrions-nous ? Qu’apprendrions-nous sur le monde et l’inframonde, le présent et le futur ? 

Dans le noir de la petite salle résonnent comme des sons discrets de cor de chasse ou de vaches qui meuglent...Place au film et images vidéo: des pierres , un univers minéral s'y impose avec des bruits de caillasses froissées, des déchirures qui frissonnent, des bruits d'avalanche dans un chaos sonore et visuel impressionnant.Autant d'images-lumières diffractées pour brouiller les pistes des sensations en prise avec le virtuel. Une trompette pour souffler sur l'ensemble.Sur le plateau une forme noire indistincte, dolmen dressé ou météorite échoué sur fond de son de grillons lors d'une accalmie bienvenue.Nuées d'hirondelles ou d'étourneaux...D'autres sonorités peuplent cet univers décalé: des baguettes qui percutent dans l'obscurité d'une grotte qui goutte à goutte, son sur le bout des doigts et malaxés dans une terre battue noire.Le petit orchestre déglingué est installé au coeur de cette usine à sons; autant d'objets incongrus: sculpture de plumes qui frotte un socle, cavernes lumineuses qui semblent miroir réfléchissants...Machines infernales à la Tinguely en accord avec de très belles icônes vidéographiées:sur trois surfaces, les formes de paysages de dunes se métamorphosent, en gris teinté de blanc neige.Merveilleuse atmosphère étrange et fascinante que ce bric à brac artisanal, récupération en tout genre: des sculptures qui semblent grincer comme des girouettes dans le vent Ce laboratoire incertain fourmille et grouille de propositions sonores riches, à partir de trois fois rien. Cela fait mouche et cet atelier de tous les possibles envoie en crachin des éclaboussures de lumières venues d'instruments à vent..Des sculptures en plumes d'autruche pour le falbala! Quand une vielle à roue fait irruption dans cette ritournelle de sons qui tournent et avancent comme ces dunes qui se déforment sur les écrans.Dessinant des paysages multiples qui se diluent.Corps et graphie des images autant artisanales que sophistiquées.Explorateurs de sons, bricoleurs d'instrument comme en papier mâché recouvert de blanc pour mieux capter la lumière dans le noir Cette séquence est splendide, telle des néons à la Martial Raysse, qui s'animent en partition graphique stroboscopique. Tels une ossature qui se balade, suspendue dans les airs!Un univers étrange que l'on peut découvrir sur scène à l'issue du spectacle, comme une fabrique, un chantier arte-povera de la musique simple qui semble couler de source! 

—spectacle crée par le collectif Verdensteatret
avec Niklas Adam, Magnus Bugge, Ali Djabbary,
Janne Kruse, Elisabeth C. Gmeiner, Asle Nilsen,
Laurent Ravot, Espen Sommer Eide, Martin Taxt,
Torgrim Torve

création française

Au Millon le 28 Sptembre dans le cadre du festival MUSICA

mardi 28 septembre 2021

"Forêt": cercles et cycles des arbres qu'on abat!

 


Imaginé lors d’un voyage au Brésil, entre la lecture des Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss et l’élection de Jair Bolsonaro, Forêt est une traversée, le passage onirique d’un lieu à l’autre. Franck Vigroux y fait vaciller les formes sonores et visuelles entre leurs états organiques et numériques, illustrant ainsi la fusion des régimes symboliques humains et non-humains. Sur une partition audiovisuelle d’une grande intensité, la performance chorégraphique d’Azusa Takeuchi affirme poétiquement les vertiges de l’amalgame natureculture : s’extirper de l’écosystème sans jamais y parvenir – être envahie et se laisser envahir.

C'est un plongeon vertigineux dans l'image synthétique et virtuelle, un abime fulgurant de sonorités étouffées, vrombissantes ininterrompues.Comme une sorte de nymphe de vers de bois, une créature hybride se répand au sol et se réfléchit sur l'écran En noir et blanc grisonnant, les icônes changeantes se métamorphosent, la chrysalide enfle et se diffracte en autant d'anneaux, de cercles de cicatrice d'arbre tronçonné, abattu; des bruits d'engins meurtriers se dessinent: scie, hache, tronçonneuses...Les sculptures vidéographiques révèlent alors une sorte de fagot de branches, de nid vivant qui bouge, animé, manipulé par un corps qui l'habite.Le coeur de l'arbre circulaire évoqué se fend pour accoucher de cette créature hybride, entre hérisson, oursin végétal dans cet environnement sonore quasi hostile tant les fréquences et décibels sont omniprésents. La bestiole, porc et pique se love dans des postures digne d'un butô lent et fragile qui déroule postures, attitudes et gestuelle ramassée ou déployée selon le rythme ou l'intensité du flux sonore. Esthétique parfaite entre corps et graphisme de termitière en évolution et battements de coeur profond, assourdissants.Les brindilles s'agitent et parcourent l'espace scénique, agitées dans un bouquet fébrile vivant sous les impacts du corps de la femme à demi nue qui les fait vibrer.Nue sous sa carapace de danseuse de bâtons qui se cabre, s'arc-boute, se plie sans rompre...Le bois est solide et touffu!Elle implore telle une sculpture de Camille Claudel, prière votive ou capitulation devant le sort d'un tronc défait de sa vie végétative...La lumière révèle et sculpte le corps à la renverse qui s'offre aux dieux sylvestres.Parure de cheveux de lionne en poupe, la femme-arbre se contorsionne acrobatique, tendue, offerte.Un immense arbre apparait à l'écran, fantôme ou vestige de carbone compacté, gris souris, corps et matrice de vie, de mort. L'image se rétrécit se métamorphose et abrite un "arbrorigène" à la Ernest Pignon Ernest dans une origine du monde qui s'écartèle, s'ouvre et accouche d'un fœtus recroquevillé.Comme dans une BD en 3D, le décor graphique est onirique et fantastique: trois fagots suspendus s'élèvent alors qu'une rangée de six néons bordent la plateau comme six allumettes incandescentes. Une oeuvre qui surprend, hypnotise, renverse les codes du spectaculaire pour un univers impalpable, irréel, spectral de toute beauté. Azusa Takeuchi, muse d'un Franck Vigroux ingénieux ingénieur de sons et frissons sidérants et  Kurt d'Haeseleer en magicien d'images prolixe!

direction, conception, musique Franck Vigroux 
performance dansée Azusa Takeuchi 

création costumes, objets | Margo Duse
création vidéo | Kurt d’Haeseleer
vidéo générative | Antoine Schmitt
lumière | Perrine Cado
conseil dramaturgique | Michel Simonot, Philippe Malone

Au Théâtre de Hautepierre dans le cadre du festival MUSICA le 27 SEPTEMBRE

lundi 27 septembre 2021

"Passion de la petite fille aux allumettes": un opus étincellant et magnétique, dramatique!

 


Les chanteurs et chanteuses de l’Opéra studio et de la Maîtrise de l’Opéra national du Rhin se penchent sur la musique vocale américaine, qui a connu une période d’effervescence créative au cours des dernières années. Partenaire de Julia Wolfe et Michael Gordon au sein de Bang on a Can, David Lang signe une adaptation méditative du conte d’Andersen La Petite Fille aux allumettes enrichi d’extraits du texte de la Passion selon saint Matthieu de Bach. Une oeuvre vocale poignante, accompagnée par deux pièces pour choeur d’enfants de Caroline Shaw et Ted Hearne, figures montantes de la nouvelle génération.

David Lang The Little Match Girl Passion pour quatre voix solistes avec percussions (2007) C'est au final une pièce rare qui débute par des alternances de mélopées balancées qui tanguent un rythme scandé . Une "narratrice" s'en détache en conte en parlé-chanté les péripéties de cette "petite fille aux allumettes" dans un anglais parfaitement et calmement maitrisé.Comme une litanie groupée, à cappella, très contrastée, modulée en suspens et accélérations.En sobres et bonnes comédiennes les deux chanteuses cheminent dans ce récit glaçant, dramatique.. Bercements lascifs ponctués de légères percussions que chacun manipulent en chantant!Un très beau duo féminin de Lauranne Olivia et Elsa Roux Chamoux en enluminure dramaturgique, reprenant les motifs, leitmotivs mélodiques de la partition.!Tout s'accélère et les récitants, témoins et acteurs du déroulement de l'action racontée, s'animent de caractères et nous tiennent en haleine.Comme des vocalises, plaintes et cris à l'appui, des lamentations nostalgiques sourdent et se répoandent dans l'espace du lieu.Douceur et lenteur des voix du choeur comme écrin.Le récit avance, toujours progresse, récurent, lente avancée vers le drame fatal de la solitude, de l'abandon et de l'indifférence.Tout semble peu à peu s'éteindre, l'épilogue en postface conclusive Le tout, l'ensemble sonore vocal ponctué par de légères et discrètes percussion individuelles pour dessiner une syntaxe, un phrasé subtil et enchanteur Il ne s'agit pas d'un conte de fées mais bien d'un drame où une phrase répétitive sur fond de voix de ténor fluide et tenue fait office de fatalité incontournable.La neige tombe inexorablement sur ce tableau magnétique offert aux regards: le chant, les voix s'y révèlent conductrices et médium puissant de l'histoire contée dans un flux et reflux de musique qui transporte.


Caroline Shaw Its Motion Keeps pour choeur d’enfants et alto solo (2013) C'est une virevolte, un chant polyphonique en spirale avec des aigus vertigineux: le chef d'orchestre frôle l'espace du bout des doigts, félin, les genoux flex, habité par un enthousiasme contagieux.Telle une adoration, lente ou vive, cette œuvre murmurée, susurrée est puissance en vibrations, en timbre. Enveloppant les pincés du violon solo qui chante comme ce chœur de voix angéliques.


Ted Hearne Ripple pour choeur d’enfants (2012): tout de noir vêtues les jeunes chanteuses choristes émettent de leurs voix très claires, des sonorités angéliques qui résonnent en rémanence acoustique dans le chœur de l'église Saint Paul. Des murmures dans des aigus impressionnants font que le son semble tourner, calme dans un recueillement remarquable.Parsemé de silences audacieux qui maintiennent une suspension assidue.Des masses sonores imposantes pour un ensemble vocal au diapason!Une soliste dans la chair comme ange conducteur, bergère de ce groupe solide, soudé et fort entrainé aux embûches vocales ou de l'écoute individuelle dans le collectif.

avec les chanteurs de la maîtrise de l’Opéra national du Rhin et de l’Opéra Studio
direction musicale | Alphonse Cemin

alto | Benjamin Boura chant | Lauranne Oliva, Elsa Roux Chamoux,
Damian Arnold, Oleg Volkov

Al'Eglise Saint Paul à l'occasion du festival MUSICA  production:Opéra National du Rhin

dimanche 26 septembre 2021

"Musiques d'antichambre": le quatuor Diotima : quatre cordes à leur archet !

 


Debussy avait ouvert une voie nouvelle, libérant le quatuor à cordes de la structure rigide héritée du xıxe siècle. Projeté à notre époque, dans une antichambre où histoire, environnement et esthétique semblent fusionner en une même préoccupation, le genre se réinventera-t-il une fois encore ? Les réponses s’entrechoquent, à l’image des pièces de Lisa Streich et Mikel Urquiza : sonorités fragiles et volatiles, en écho à la nature, pour l’une, inventaire de références et conscience historique, pour l’autre. Que le désir de synthèse donne lieu, au bout du compte, à un « divertissement raté » est peut-être un risque à courir, comme le suggère ironiquement Clara Iannotta en empruntant son titre à David Foster Wallace.

Quatuor Diotima

violon | Yun-Peng Zhao, Constance Ronzatti
alto | Franck Chevalier
violoncelle | Pierre Morlet

Mikel Urquiza "Index" (2021) création mondiale Un rythme alerte pour entamer le concert, animé truffé d'audaces et d'harmoniques changeants.Surprises dans les mesures aux accents ou accidents curieux...Des archets glissants, grinçants, puis cordes en piqués alternés comme des gouttes d'eau.Un mugissement ascendant du violoncelle dans une verve et une efficacité sidérante.Le son serpente dans ce deuxième mouvement, s'amuse, se glisse entre les brèches provocant des sons incongrus en crescendo colériques.Et dissonants, puis plus soutenus et discrets.Le troisième mouvement est quasi mélodique, référencée classique à coup de collages et dessine des voltes déstructurées, tectonique en fracture sur fond linéaire. Un métissage inventif pour créer des univers qui se brassent à l'envi dans des vibrations subtiles.Puis comme dans un concerto de musique de chambre se glissent des inserts dans le flux sonore, références citations musicales en interstices.Des ces fractures, failles, l'écoute est vertige et déséquilibre en va et vient, aller et retour, comme autant de fausses fins, répétitives, interminables épilogue pour une accumulations d'emprunts "sans intérêt pécuniaire" pour la banque de sonorités et influences diverses.En plein "vol", captures ou rapt musicaux de toute beauté!
 
Clara Iannotta "A Failed Entertainment" (2013) 
 De beaux mouvements mécaniques des archets d'où émanent des sons rotatifs, en crissements grinçants réguliers, à peine perturbés parfois par une désorganisation volontaire de l'ensemble.D'infimes sonorités imperceptibles en sourdent, retenues, discrètes.La minutie du contact avec les archets sur les cordes est virtuose et vibratile, agile et souple.Une longue traine de sons étirés, très respirés dans l'endurance de l'interprétation remarquable du Quatuor!Un grand silence suspendu dans l'espace pour retenir suspens et attention.

Lisa StreichVogel. Mehr Vogel (Als Engel) (2015, nouvelle version 2021)  création mondiale. De petites plaintes des cordes comme des enluminures sonores, délicates et surprenantes.Grattage, frôlement, chatouilles sonores très tactiles pour une minutie très adroite et périlleuse sur les cordes raides.Son de clochettes ou sifflets comme une heure qui sonne et passe sur l'horloge ou la pendule. L'ambiance est secrète, intime comme un cabinet de curiosités musicales à découvrir avec respect.La précision des touches multicolores, polyphoniques, les jeux de masse sonore brève et impactées, les sautillés des notes piquées font de la pièce du bel ouvrage ciselé, stylé.La composition est complexe et radicale , la syntaxe, brisée? le phrasé, en ricochet Sur les cordes on arrache, dépèce le son en détachements progressifs des sons de leur enveloppe.Comme des joints de porte, des gonds qui s’entrebâillent et laissent filtrer de petites doses de souffle.Des touches impressionnistes remarquables pour brosser une toile sonore pointilliste et lumineuse.
 
Claude Debussy "Quatuor op.10" (1893) :c'est comme des réminiscences d'autres morceaux de Debussy, musique fluide et vaporeuse danse du Faune ou de la Mer...L'audace de l'écriture parait une évidence, comme ces vagues successives, ce tuilage de sons et rythmes de hauteur vertigineuse en crescendo voluptueux.Le deuxième mouvement se parant d'accents hispanisants, fandango ibérique en suggestion: des changements de mesures constants donnent force et légèreté à la pièce de Monsieur Croche! Les registres émotionnels se succèdent dans une narration dramatique calculée.Un adage langoureux et sentimental suit, très sensuel, enveloppante musique profonde.Très élégante et précieuse interprétation du Quatuor, délicates intentions de jeu d'archets pour des étirements de sonorités portés à leur apogée.Un final flamboyant et lumineux pour clore ce récital dominical aux teintes de l'automne.
 
Dimanche 26 Septembre Stadthalle Kehl dans le cadre du Festival MUSICA

"La cosmologie fécale chez le vombat": l'apéri-cube comme matrimoine mondial!

 


Une conférence de Vinciane Despret contanimée à partir de son texte « La cosmologie fécale chez le wombat commun (vombatus ursinus) et le wombat à nez poilu (lasiorhinus latifrons) »
(Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation, Actes Sud, 2021).

Les animaux ont-ils une littérature, une philosophie, une religion ? Sont-ils architectes de leur environnement ? Pour tenter de répondre à ces questions, Vinciane Despret s’est intéressée au wombat et à son extraordinaire particularité : le marsupial est l’auteur de productions fécales cubiques. Le phénomène a fasciné des générations de scientifiques, mais jusqu’à ce jour, personne n’en avait encore saisi la teneur symbolique. Sur scène, la philosophe et les artistes qui l’accompagnent démontrent par le biais des disciplines fictionnelles de la thérolinguistique et de la théroarchitecture que de tels artefacts participent d’un mode expressif, voire d’une cosmologie et d’un réseau de solidarité chez l’animal.

A la table des conférenciers, on s'affaire; une cheffe cuisinière découpe des petits cubes de légumes, un autre dessine les contours des lieux et des êtres qui le peuplent. La conférencière entre en scène par annonce officielle. Stéphane Roth de sa voix timbrée et chaleureuse lui ouvre la voie...Commence une longue et belle histoire, scandée, ramassée, dense sur les mœurs des animaux, revus et corrigés sous des auspices intelligents et peu orthodoxes: considérer l'animal et ses productions -fécales entre autres-comme un artiste, un bâtisseur d'empires singuliers. Chose assumée à travers ce récit sur "le caca cubique prosaïque" du vombat, animal hors du commun, architecte de l'urgence, fabricant de murs protecteurs ou simplement esthétiques pour bâtir sur le terreau fertile de l'imagination. Une heure durant, la conférencière s'ingénie à démonter et défaire les ficelles des conventions, l'éplucheuse de petits légumes au "piano" offre à un officiant l'opportunité de construire l'objet non identifié d'un festin en forme de tour de Pise cubique, visible in fine à la sortie dans une vitrine...Le côlon est à l'honneur, les crottes, le trou de balle et autres orifices, autre que la sempiternelle "bouche" à nourrir et émettre du son! Polyphonie narrative, plus que "musique", la conférence prend la forme d'une agora, d'un forum démocratique sur le sujet troublant des cubes fécaux des selles du vombat!Lamartine et son "lac", Rimbaud et son dormeur du val comme autant de poésie de référence pour démonter la supériorité poétique de ses déjections écrites. Par l'homme, pas par l'animal qui sait pourtant émettre expressivité et inventivité stylistique: les cubes des fèces fabriqués par les wombats sont briques et matériaux de construction murale!C'est drôle et décalé, scientifique autant que fantaisiste, désopilant et plein d’allant: on est suspendu aux lèvres de "la lectrice", vive et tonitruante. Tandis que François Génot "illustre" à sa manière les faits et gestes de l'action en cour, croque silhouettes d'animaux sous-titrées avec fantaisie et absurdité!.Des situations cocasses, des danseurs graphiques dessinés et offerts à l'issue du "spectacle-performance", en pièce collector! Une géopolitique scatologique porteuse de récits croustillants et de pulsion créatrice.La cartographie de cette "cène" à cinq larrons drôlatiques et travailleurs, est l'heure du leurre, du fantasme, de la supercherie et de l'affabulation qui  sonne!Vrai ou faux discours, cette conférence non gesticulée mais très posée doctement, est digne des plus belles productions du "genre" Voire celles de David Wahl sur le cochon dans "le sale discours" et autres thématiques sociologiquement incorrectes et indisciplinaires...La soirée se termine autour d'un verre, histoire de confier à l'autre le temps d'un échange "apéri-cube" en forme de déjection de wombat et de pensée molle ou bien dure selon ce que l'on a digéré des "discours"!

conférence Vinciane Despret
contanimation Denicolai & Provoost, François Génot
dramaturgie thérolittéraire Ananda Kohlbrenner, François Thoreau, Alexis Zimmer

Salle du Fossé des treize dans le cadre du festival MUSICA avec le Maillon et le TJP

samedi 25 septembre 2021

"Ca sent l' sapin": performances sonores de Noel: avant l'Avent !La crèche est bien vivante!

 


Un concert de Noël décalé autour du grand sapin de la place Kléber, recueilli en janvier et transformé en instruments de percussion. Avec Ça sent l’sapin, les musiciens de l’OMEDOC orchestrent une réunion de famille inclassable, entre théâtre musical, happening et expérimentations en tous genres – et si Tino Rossi avait croisé le chemin du courant dada ? De l’ouverture des cadeaux à la guirlande lumineuse qui devient sonore, les musiciens égrainent avec malice les situations de Noël à coups de branches de gui et de batailles de grelots. De quoi observer et questionner les traditions et rituels séculaires. Mon beau sapin… 

Ambiance sylvestre dans la grande halle citadine et portuaire: bruits de tronçonneuses émisse par un beau montage vidéo sur le "démontage" du grand sapin de la place Kléber, fierté de la cité enchantée de Noel!Sonorités de bois, d'étayage comme dans la forêt: sur le plateau un petit sapin domestique de plastique artificiel trône et clignote.A ses pieds un échafaudage bigarré de petits paquets...Concert d'ambiance en préambule par des musiciens garde-forestiers, sylphes, elfes et autres habitants de cette forêt au coeur d'un site industriel.L'arbre qui cache la forêt et avance... Comme celui de Céleste Boursier Mougenot.Tronc-son et ossature de sapin désossé, démantibulé comme cadeau de bienvenue pour entamer un "opéra" participatif aléatoire et bon-enfant. Le public joue le jeu et frappe en imitation, les rythmes suggérés.On est en Scierie à Strasbourg et ça opère au quart de tour.Au marché de Noel aussi avec guirlandes lumineuses et musique plutôt sombre: le christkindel émet de la voix dans cette messe des morts ou requiem pour sapin défunt Qui tel un phœnix va renaitre grâce au sauvetage de sa parure! Belle unisson des instruments à vent Puis c'est au tour d'un équilibriste chargé de décorations de Noel de faire de la corde raide: à chaque objet perdu, un gage: une cacophonie sonore !  Un concert de ballon de baudruche, choeur de fuite d'air et de dégonflage;une icône d'adoration bordée d'un chant plaintif très picturale en guise de crèche vivante: c'est drôle et décalé!Bergers et moutons pour cette icône digne d'un musée des beaux arts sonore!Au final un jeu de boules de bois suspendues à un portique, pendule magique: magnifiques images mouvantes de danse serpentine, bordée par les instruments de musique live!Comme un métier à métisser les sons et les formes.

OMEDOC Orchestre de Musique expérimentale du DOC
voix | Guylaine Cosseron
clarinette, flûte | Jean-Baptiste Perez
saxophone baryton | Nicolas Garnier
basson | Bruno Godard
claviers | Antoine Berland, Emmanuel Piquery
claviers, guitare électrique | Nicolas Marsanne
hautbois, basse électrique | Nicolas Garnier
basse électrique, trompette | Clément Lebrun
contrebasse | Nicolas Talbot

Aux Halles Citadelles dans le cadre du festival MINI MUSICA!

le samedi 25 SEPTEMBRE 17H

"Tumik et Katajjaq": une sororité inuite ! et inouie !



Une soirée placée sous le signe des contrées polaires, avec le compositeur et spécialiste de la culture inuit Philippe Le Goff, les chanteuses de jeux de gorge traditionnels Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk.

Philippe Le Goff arpente depuis une trentaine d’années les vastes étendues du Grand Nord canadien. Avec Tumik (« trace » en inuktitut), il propose une performance documentaire réalisée à partir de récits, d’images, de sons et d’objets glanés au gré de ses voyages. Cet essai autobiographique est une fenêtre ouverte sur l’Arctique, la relation particulière qu’entretiennent ses habitants à la nature et au monde animal, les modes de vie et activités quotidiennes. Une expérience intime au sein d’un territoire bouleversé par la colonisation. 

Le plateau de la petite scène de la Halle Citadelle est jonchée d'objets, alors que deux écrans accueillent les images de ses séjours au pays du grand froid sec et vivifiant: images de la vie quotidienne dans un décor de bivouac, de campement au creux de la neige et de la lumière froide.Témoignage sonore et recherche sur les sons, les chants, la pièce est reportage musical vécu, rendu par la force et la douceur des textes lus par le protagoniste, ethnologue, chercheurs de perles rares, orpailleur du son étrange: patrimoine vocal autant qu'invention improvisée dans le quotidien des personnages choisis pour l'authenticité de leur savoir vocal.Tissage savant par des mains agiles, mets tissés par un soin extrême mis au service de la tradition exhumée de rythmes et musique à jamais conservés.

La soirée se poursuit avec Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk, chanteuses de jeux vocaux (katajjaq) venues de la région du Nunavik au nord du Québec, où elles contribuent à la préservation et à la transmission du patrimoine culturel inuit. Traditionnellement pratiqués par les femmes, les jeux vocaux ou chants de gorge prennent la forme de duels en face-à-face, lors desquels les chanteuses confrontent leur endurance, dans un esprit ludique, en entonnant des motifs répétitifs. 

Deux soeurs venues du grand froid sec et clair pour partager de façon très conviviale, la science des comportements humains et leurs prolongements par le médium vocal: c'est drôle et plein de surprises à l'écoute: voix de gorge, aspirées par le souffle haletant, le diaphragme convoqué à l'inverse de sa tonicité pour exprimer par le souffle en saccade, la diversité des humeurs, des circonstances d'émission vocale On y fait le vent, la rivière, une chanson d'amour, on y simule sans fard la compétition: c'est le meilleur rythme tenu qui gagne dans ces joute vocales en canon accélérés qui finissent en entrelacs complexes non maitrisables! Scie, moustiques, petit chien, traineau sur la neige: autant de paysages évoqués de façon très vivante, vécue du fond du souffle, de la gorge, des organes vitaux du chant.On y hallete sans se couper le souffle, on y ventile en euphorie et transports en commun dans une riche et généreuse empathie.Berceuse lente sur un tambour dédié à la femme qui danse devant nous dans des jeux d'endurance, de performance athlétique et physique digne d'un championnat de chant Les motifs repris en canon, en tuilage comme autant de parures musicales tressées avec l'habileté et la dextérité des cordes vocales passées en fond de gorge déployée!

Tumik
conception, sons et images Philippe Le Goff
lumière et collaboration à la scénographie Bernard Poupart
regard extérieur Brigitte Lallier-Maisonneuve

Katajjaq
chanteuses de jeux vocaux Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk

"Vox Naturae": les Métaboles : danses chorales

 


Murray Schafer est considéré comme pionnier de l’écologie en musique. Celui auquel on doit la notion de « paysage sonore » n’a cessé de militer en faveur du respect de la nature, en particulier dans sa dimension acoustique. De sa musique vocale, il dit qu’elle cherche à établir une relation spirituelle avec l’environnement, voire, comme il le suggère à propos des Magic Songs, « à restaurer des aspects de la nature qui ont été négligés ou anéantis par l’humanité ». Croire en la magie, faire vibrer le monde et accorder les esprits, c’est l’expérience à laquelle nous convient les Métaboles avec la participation de la Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau sous la direction de Léo Warynski.

Murray Schafer
Snowforms (1981): la jeune chorale est tout de noir et blanc vêtue et murmure, susurre à mi-mot, en ondulations, en autant de modulations précises.De très beaux aigus jaillissent de ce magma sonore, compact, soudé, en canon, en tuilage et résonances harmonieuse. Les jeunes choristes sous la direction de Nicolas Wittner font ici un ensemble soudé, à l'écoute et fort synthétique à écouter.Une interprétation subtile, engagée et généreuse de la part de la maitrise bien rodée à l'exercice de la sccène !


Magic Songs (1988):l'Ensemble des interprètes chanteurs prend place pour un démarrage vocal parlé-chanté à la russe, vif, haletant, répétitif. La foule y est présente avec cris, murmures, silences en suspension, dissonances....Très ponctué, le phrasé de la pièce s'égrène en pépiements puis évoque une sorte d'hymne ou une pastorale bucolique.Aérienne, enjouée, alerte.Avec enthousiasme et allant dans une mêlée où les vibrations magnétiques irradient l'espace de la grande salle de la Halle Citadelle.Comme une forêt de chants qui se déplace, les chanteurs circulent, se dispersent.Chute brusque des aigus en cascade, soutenues par les voix de basse: comme des trains qui s'ébranlent, en marche, on y frappe des pieds en cadence arythmique.


Vox Naturae (1997):quasi liturgique, ce morceau invite à la méditation; deux groupes de chanteurs se répartissent l'espace, enveloppant les spectateurs, les bordant de sons qui se répondent.Le son traverse et dialogue en couches superposées: il tourne comme les chanteurs, de dos, et comme une envolée forment canons et échos, ricochets et caramboles.Telle une foule en émoi, une volière joyeuse: messe ou requiem pour un environnement sonore de toute beauté saisissante!Éclats de voix percutants, rythmes variés à l’appui, on songe aux Carmina Burana avec tambours dans une sorte de farandole ou redoute finale.


Veljo Tormis Raua Needmine (1972):Le chef s'empare du tambour pour mener le bal:des borborygmes, des voix parlé-chanté qui vocifèrent comme des oracles, une menace en pulsations régulières.Agora ou forum des sons où s'exprime la foule sans négliger aucune altérité de chacun.Des solistes s'exposent dans ce joyeux brouhaha de slogans féroces de manifestation publique.Dans une langue cosmopolite qui rend la musicalité, diverse, étonnante et modulée à souhait.


Murray Schafer Miniwanka (1971): tous réunis, voici les "choristes" au zénith pour une joute de chants d'oiseaux au loin et sur le plateau.Cacophonie enjouée, vivante où les frappes pieds et mains sur les corps s'intègrent à la musique et font de la pièce une chorégraphie de percussions corporelles, inédites.Comme une avalanche qui réverbère le son, tel le tonnerre qui gronde en ricochet de pupitre en pupitre.Une sorte d'allocution au final, prise de parole pour teinter cet édifice du son, de couleurs fortes et vibrantes.Le son y est solide en fondement architectural très tectonique: les bâtisseurs de chant vocal, de musique issue aussi des temps médiévaux font office de conteurs, serveurs de l'harmonie autant que du chaos!Quand amateurs et professionnels s'allient l'union fait la force !Et crée de beaux rapprochements complices, de générations

Les Métaboles
direction | Léo Warynski

Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau
direction | Nicolas Wittner

Halles Citadelle dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 24 septembre 2021

"Infinity Gradient": hypnose organique

 


Nourri par la culture de l’innovation et du prototypage au sein des makerspaces new-yorkais, direct héritier de Steve Reich et Philip Glass, Tristan Perich est une figure incontournable de la jeune scène new-yorkaise. Sa musique est caractérisée par la relation entre les instruments traditionnels et une électronique « lo-fi » (low fidelity) qu’il conçoit lui-même dans ses moindres détails. Avec Infinity Gradient, interprété par James McVinnie, il propose une vaste fresque musicale et une immersion totale dans le son en transformant l’orgue de l’église Saint-Paul en méta-instrument grâce à un dispositif de 100 haut-parleurs.

Tristan Perich Infinity Gradient (2021) création mondiale : des motifs récurrents, répétitifs pour fresque inaugurale de cette pièce majestueuse en diable!Des enluminures aussi, complexes, en arabesques acrobatiques et virtuoses.Le phrasé est lancinant, en strates et accumulations tectoniques, en routine sempiternelle, hypnotique, en mélopée tournante...De longues tenues en sirènes de bateau, ou pétaradantes respirations de cet instrument magistral de tous les vents et tubes. Une musique sidérante, cosmique, astrale, envoutante, sédative et soporifique à l'envi.L'espace se fige, médusant, s'agrandit et des vagues de nuées de transes font de cette œuvre un grimoire contemporain des peurs ancestrales.

orgue | James McVinnie

A l'Eglise Saint Paul dans le cadre du festival MUSICA

"Shaw only" /Il Giardini : on women show !

 


La musique de chambre de Caroline Shaw est faite de souvenirs, de résurgences du passé. Chacune de ses pièces laisse entrevoir sans ambiguïté une référence à un style historique ou à une oeuvre en particulier : un geste issu d’une suite baroque, quatre accords volés à Brahms, une mazurka de Chopin dont la matière est filtrée, répétée, ralentie, approfondie… Pour la compositrice, projeter ainsi l’ancien monde dans le nouveau monde n’est en rien un geste rétrograde. Elle cherche davantage à jouer avec la nostalgie que provoque en nous les ritournelles qui nous sont chères, pour finalement confronter l’histoire à l’évolution de notre écoute, au présent.

Caroline Shaw
  Limestone and felt (2012) : un duo violon alto-violoncelle pour inaugurer cette soirée "monotype"dédiée à Caroline Shaw! Et de toute beauté!Des piqués staccato, petits touchés sur les cordes tendues pour aller vers l'archet qui glisse dans de très beaux gestes des interprètes féminines.Une mélodie semble sourdre, comme un leitmotiv qui se prolonge en reprises ou retenues délicates.

Boris Kerner (2012): un solo de violoncelle très lent, exécuté par petits touchés comme une spirale ascendante: un chant s'en détache comme écho et résonance...Quasi fugue ou suite de Bach, baroque dans ses tonalités timbrées dans la jouissance non simulée de Pauline Buet, sensuelle, abandonnée dans un corps-accord avec son instrument.Dans une scénographie lumineuse de l'église Saint Paul, une acoustique réverbérante pour souligner les contrastes autant architecturaux que musicaux La préciosité des silences, des harmoniques font de la pièce une partition légère, aérienne, évanescente: des espaces pour voyager mentalement en suspension Seul l'archet coupe court à la rêverie faite de tant de contrastes!

  Thousandth Orange (2018) :le viloncelle poursuit sa course folle, en révérences et pas de danse glissés, en arabesques dans l'espace, en pliés, relevés très baroques.L'intrusion de petits pots de terre, de fleurs sous les baguettes agiles de Eriko Minami font le reste: petites percussions claires et brèves, sèches, en tintinnabules fragiles.Dans une accélération commune, la musique fonde ce duo pertinent à son zénith d'intensité sonore.Des frappes sur les pots comme autant de clochettes d'un carillon ou glockenspiel.Des accalmies aussi, rythmées, intimes, délicates, des gammes de sons, de hauteurs, de couleurs pour une vision live très animée et dynamique!Les cordes enveloppent ces percussions primaires et si simples.


Gustave Le Gray (2012): un solo de piano, très mélodique surprend et enchante:dans des ascensions romantiques bordées de graves renforcés, des ondes délicates, en eau de pluie, se répandent.Des paysages changeants se révèlent dans des tensions, des retombées sonores, des respirations très spatiales.Une narration en émane, nostalgique à la Michel Legrand ou William Sheller...Valse mélancolique et langoureux vertige!Des inflexions dansantes, des reprises, un pianiste très inspiré,David Violi, qui frôle les touches délicieusement...Une gradation extrême dans crescendo et diminuando, un imperceptible jeu aérien: tout concourt ici au décollage cosmique sentimental!

In manus tuas (2009) : duo violoncelle et piano en petites touches précises, pincés du violoncelle dans un relai rythmique virtuose.Fantaisie ornementale, fluide, claire, vivace; l'un enveloppe l'autre qui fléchit, se penche mais ne rompt pas!Tours en rond de bosse des instruments qui s'observent, se rencontrent et s'allient...La musique est chorégraphique, mouvementée, cinématographique, sensuelle, en voltes et volutes dansantes.L'atmosphère de montée en puissance émotionnelle donne naissance au filet de voix qui sourd du corps du violoncelle.

The Wheel (2021) création mondiale: le clou du spectacle, introduit avec émotion par le pianiste.Comme les élégies de Satie, ce petit orchestre de chambre s'adonne à la créativité de la compositrice: cordes en tuilage, piqués, glissés à foison, à l'envi.Très audacieuse écriture dans des tonalités et harmoniques singulières frôlant la dissonances incongrue.Un caractère bien trempé pour cette œuvre qui se crée devant nous, bien chambrée, pleine et retentissante de résonances particulières.Marche, démarche solennelle, toujours perturbée, agacée par l'intrus, mais affirmée: les notes s"évadent du canevas traditionnel académique pour s'éparpiller, divines et magnanimes, en leitmotivs récurrents.Des reprises comme des ritournelles qui vont et viennent ou s'enroule dans un mouvement circulaire.Épilogue et fin du film étiré comme une partition de l'image animée.

I Giardini
violoncelle | Pauline Buet 
piano | David Violi
alto | Léa Hennino
violon | Thomas Gautier
percussions | Eriko Minami

A l'église Saint Paul le 23 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

jeudi 23 septembre 2021

"Artificial environments":des objets picturaux sonores inédits

 


Joanna Bailie observe des situations, les saisit sur le vif, les donne à voir et à entendre. Il y a chez elle quelque chose de la peintre ou de la photographe. Elle introduit le monde extérieur dans la salle de concert, mais ses paysages sonores, loin d’être de purs objets de contemplation, embrassent également la fiction, la mémoire et le sens critique – avec une touche d’espièglerie so british. Dans ses Artificial Environments ou sa nouvelle pièce A giant creeps out of a keyhole, des enregistrements de terrain minutieusement orchestrés se superposent à la vidéo ou à une imagerie mentale, tandis que la compositrice guide l’écoute de sa propre voix.


Joanna Bailie
Balloon-anvil (2018) pour vidéo et électronique, création française

Une image de cartoon, un coyote sans doute, une enclume et un ballon se révèle lentement sur l'écran vidéo, sur fond jaune et oscille au son d'une musique unilatérale: les contours de l’icône se précisent, dessinent un environnement hostile: montagne, crevasse, abime. On songe à des aventures rocambolesques de cet animal, étiré, pris au piège et la lumière crue déséquilibre cet édifice musical étrange, atypique...


Artificial Environments 1-5 (2011) pour ensemble et électronique

Ce sont ici les cordes et le piano qui vont soutenir la vidéo, les sur-titres et cette voix lointaine qui guide la narration. Calme, évocation d'une nature et d'un espace à vivre, tout ici concourt au voyage, certes abstrait plus que matérialisé: quatre petits chapitres comme des pages d'un livre qu'on tourne alors que la grâce des gestes de Lin Liao fait le reste.

A giant creeps out of a keyhole pour ensemble électronique et vidéo (2021) création mondiale

Du grand art de la superposition autant que des correspondances entre bande son et formation acoustique. La pièce déroule ses accidents sonores, ses volutes aériennes, ses sons empruntés au quotidien comme aurait su le faire Cage.

Ensemble Contrechamps
direction musicale | Lin Liao

A la cité de la musique et de la danse le 22 Sptembre 20H 30

mardi 21 septembre 2021

"Deaf not mute" : sourd pas muet ! La leçon de "sourdine" en saynètes très "éloquentes" !Tirer la langue aux sous-titres!

 


Christine Sun Kim est une figure incontournable des arts sonores aujourd’hui. Sourde profonde de naissance, elle a développé une réflexion fondamentale sur l’écoute tout en luttant contre les préjugés dont est encore souvent victime sa communauté. Avec Deaf, not mute (Sourd·e, pas muet·te), elle prend la position de cheffe d’orchestre et dirige les musiciens dont les instruments sont altérés et assourdis. La partition, visible à l’écran, est composée à partir de sous-titrages descriptifs issus du cinéma et de la télévision. L’artiste nous montre ainsi que le son, au-delà du phénomène acoustique, peut être un puissant moyen d’expression – une voix politique. 

 Christine Sun Kim
Closer Captions, vidéo (2020)
conférence signée: à partir du constat que le sou-titrage de films concernant la musique est trop souvent incomplet, indigent, voire absent de sens, l'artiste offre ici un terrain de débat et de découverte de ce phénomène De même en audio description pour les mal voyants, il est rare de trouver des interprétations, transpositions justes, pertinentes Et la poésie, le style, la syntaxe sont insuffisants, voire absents de la problématique.


Deaf, not mute pour ensemble et vidéo (2019) création française  

Alors vint l'idée d'une collaboration avec des musiciens capables de se pencher sur le sujet et de se coller à cette suggestion: mettre en musique le sous-titrage inventif de Sun Kim et d'en faire une œuvre chamarrée, accessible à tous! Résultat convaincant, malgré une véritable gymnastique intellectuelle à opérer.Comment "entendre" pour l'artiste les sons, phrasés et autre sources sonores engendrées par les percussions et instruments à vent.Et bien d'autres problématiques liées à la mutité, à notre rapport à celui qui n'entend pas mais vibre et ressent la musique comme il est difficile de la décrire !Concert fait de saynètes musicales inspirées par du sous-titrage "signé" Christine Sun Kim! Joli florilège de sonorités, de gestuelle comique et très engagée de la part des musiciens, mimant à merveille des corporéités de situations physiquement ressenties et traduites par des gestes éloquents!Un débat complexe s'ensuit entre les artistes et le public, le plus croustillant étant le nombre impressionnant de traducteurs d'une langue à l'autre, celle des signes autant que les langues dites étrangères!

On songe à Hand Sign de Michel Paysant 


 

Ensemble Contrechamps
direction musicale | Christine Sun Kim

A la cité de la musique et de la danse le 21 SEPTEMBRE dans le cadre du festival Musica

dimanche 19 septembre 2021

"Terra mémoria": le quatuor Adastra sur les terres de l'éternel "vivant" !

 



 
Dans son livre Au bonheur des morts, la philosophe Vinciane Despret affirme que les défunt·e·s restent parmi nous et interfèrent dans nos vies : « La charge de leur offrir “plus” d’existence nous revient », affirme-t-elle. Cette vision constitue la trame profonde du programme du Quatuor Adastra. 
 
Clara Olivares
Murs et racines (2021)
création mondiale  Clara Olivares,  rend hommage à Christophe Bertrand – parti tôt mais toujours parmi nous – dont la découverte du Quatuor II à Musica en 2011 la décida à s’engager dans la composition. Et cela se révèle dans la douceur des cordes, le phrasé et la syntaxe lente, ascendante de l'unisson des cordes, comme feutré, presque étouffé, simple et quasi silencieux. Hommage discret et pudique, respectueux et cependant plein d'alan et de virtuosité!
 
Kaija Saariaho
Terra Memoria (2006)  Kaija Saariaho dédie Terra memoria « à ceux qui nous ont quittés », transformant la matière musicale en métaphore du souvenir et de sa réanimation.Avec son talent "habituel" on retrouve ici l'écriture sobre et relevée de la compositrice La "petite" formation de chambre lui donnant l'occasion d'exprimer à mi-mot, à mi-voix un sentiment profond de gravité tinté d'accent céleste et brillants rehaussés par une interprétation extrêmement précise, dans l'apnée de silences suspendus aux regard de chacun des interprètes à l'affut les uns des autres....
 
Christophe Bertrand
Quatuor II (2010):c'est le coup de claque, la gifle du concert qui révèle une fois de plus le talent du "défunt": audace, tonicité, vivacité des cordes, les archets, tendus vers le ciel en autant d'interruptions scandant l’œuvre qui vogue dans le vent turbulent du rythme et des intonations riches en harmoniques. Tectonique de l'écriture affirmant une présence et une profondeur glaçante autant que chaleureuse. Une pièce pleine de charme réel, sans fard, abrupte parfois au caractère bien trempé, debout, droite et cependant pleine de liberté! Le quatuor au mieux de sa forme au sein de la petite salle de la Halle Citadelle, pleine à craquer pour cette matinée dominicale.

Quatuor Adastra

1er violon | Julien Moquet 2e violon | Ernst Spyckerellealto | Marion Abeilhou violoncelle | Antoine Martynciow

 
dimanche 19 septembre 2021 — 11h00
Les Halles Citadelle dans le cadre du festival Musica

 


samedi 18 septembre 2021

"Rothko untitled 2": s'immerger dans l'espace théâtral du peintre

 


"Comment peut-on partager l’émotion que l’on ressent face à une œuvre d’art ? Claire ingrid Cottanceau, artiste plasticienne et performeuse, et Olivier Mellano, compositeur et guitariste, proposent une expérience sensorielle, rêvée à partir de la peinture de Mark Rothko (1903-1970). Il n’est pas ici question de biographie ni de commentaire des œuvres. Elle a créé un espace fait de lumières surgies du noir, aux couleurs changeantes, comme des tableaux mouvants, et elle donne voix au Poème de la chapelle Rothko de John Taggart. Lui joue en direct de la guitare électrique, sa composition guide et accompagne la rythmique du poème et le trio vocal des Voix Imaginaires. La chorégraphe Akiko Hasegawa les rejoint ici le temps d’une performance dansée. Une invitation à perdre les repères d’espace et de temps, à se laisser porter par la vibration du présent."

Une nuée de brumes opaques déferle sur le plateau, diffuse comme une marée de vagues, fluide, évanescente. On entre peu à peu dans le flou de la peinture roue, noire de Rothko, ici immense toile moirée de lumières. S'introduire ainsi dans l'espace éperdu du peintre, dans son univers dont on rêve de défier l'apesanteur autant que la suspension mobile des teintes qui flottent, est rendu possible par une scénographie habile à traverser les frontières. Entre textes lus à demie teinte, voix de chanteurs inspirés par les accents médiévaux et danse, se distille l'esprit de la peinture du plasticien des profondeurs. S'y révèle par instants comme une photographie mouvante, les contours d'un corps qui danse. Telle une évocation de la danse des profondeurs, le buto, la danseuse se fond dans l'atmosphère et vogue dans l'espace comme une icône qui se révèle, se répand sur et dans la toile. Faire vivre et vibrer les gestes du peintre, déborder du cadre, respirer la profondeur de champs.La scène comme une dimension supplémentaire de la peinture, honorée aussi par la musique live d'un guitariste en proie aux tressaillements de la luminosité. Ça vibre à l'envi et l'on pénètre alors dans la densité de la matière picturale, évoquée autant par la musicalité des mots que par les notes de musique forte et massive. Le rouge et le noir comme densité affirmée de la présence vibrante d'une œuvre augmentée, adaptée à un autre territoire: le plateau et ses chanteurs et lecteurs. Et quand survient le mouvement dansé, c'est une marque idéalisée de la présence révélée de la vibration dans l'oeuvre de Rothko. Une dimension spirituelle qui sied à merveille à celui qui interrogea avec tant de perspicacité la véracité de la profondeur de champs et de la tentation de traverser en passe muraille l'opacité du miroir.

Au TNS jusqu'au 20 Septembre, présenté dans le cadre du festival MUSICA 

Claire ingrid Cottanceau est artiste plasticienne, actrice et collaboratrice artistique de nombreux metteur·e·s en scène. Le public du TNS a pu la voir dans Incendies de Wajdi Mouawad, mis en scène par Stanislas Nordey (2016). Olivier Mellano est compositeur, improvisateur et a participé à de nombreuses créations théâtrales, composant la musique et jouant parfois en direct sur le plateau. En 2018, ils ont présenté au TNS leur première création commune, NOVA - Oratorio, d’après des extraits de Par les villages de Peter Handke.

"Schnee" par l'ensemble Recherche : tombe la neige.....

 


Hans Abrahamsen
Schnee (2008)

Affilié au courant de la « nouvelle simplicité » dans les années 1970, le compositeur danois Hans Abrahamsen a assumé dès ses débuts un retour à la mélodie et à l’harmonie tout en suivant les enseignements de György Ligeti. Sa pièce phare Schnee, d’une économie de moyens radicale, est une réflexion sur le motif du canon, sur les jeux de perspective et l’absorption de l’écoute. Il neige en musique. Toujours identiques et pourtant toujours différents lorsqu’on les observe à la loupe, les flocons sonores sont égrenés dans l’espace. Doucement, ils passent d’un instrument à l’autre, fondent ou se figent dans une atmosphère hypnotique. 
 
Et sous les archets des cordes s'égrènent les sonorités comme autant de touches impressionnistes d'un tableau de Pissarro...Tintinnabules quasi insonores, discrètes pour former un léger tapis blanc de cristaux étincelants. Alors que le piano ponctue en touches fugaces ces infimes notes qui glissent comme un voile sur la vitre d'une fenêtre. Ici tout invite à la poésie, au calme et à la sérénité; Interviennent les vents pour souffler à la surface de l'espace, la musique toujours belle et retenue, suspendue aux légers caprices du souffle d'Eole. Et si la blancheur soutenait la douceur et le recueillement, ce serait bien celle de cette oeuvre, liée au conte, à l'histoire qui relaie la narration des instruments Et si chacun d'entre eux était fée et elfes pour conter l'éphémère, la chute légère et diaphane des flocons de neige. Les percussions comme autant de caresse sur le bois d'un établi devant le cercle joyeux du gong.Schneewittchen en héroïne tout de blanc vêtue, virginale, offerte en rêverie et autre voyage à travers le temps et l'espace sonore.

flûte | Mario Caroli
hautbois | Eduardo Olloqui
clarinette | Shizuyo Oka
violon | Melise Mellinger
alto | Paul Beckett
violoncelle | Åsa Åkerberg
percussions | Christian Dierstein
piano | Klaus Steffes-Holländer

Dans le cadre du festival MUSICA présenté avec l'Opéra National du Rhin

samedi 18 septembre 2021 — 11h00
Les Halles Citadelle

 

"Astérism": Alexander Schubert à 360 °celcius ! Alexander Platz pour sylphes dansant l'Apocalypse !

 


Le théâtre devient le lieu d’un rituel. Une performance totale et ininterrompue, à vivre de jour comme de nuit, durant 35 heures et 34 minutes.

Installation immersive, performance interactive, lieu de spiritualité pour le présent et l’avenir. Avec Asterism, Alexander Schubert signe un objet artistique non identifié, à la croisée des pratiques musicales, scéniques et technologiques. Au sein d’un étrange sanctuaire, vacillant constamment entre hyperréalisme et virtualité, se côtoient éléments naturels et artificiels, musicien·ne·s et performeur·euse·s, ainsi qu’une intelligence artificielle maîtresse du rituel. Une nature post-digitale, un entre-deux-mondes halluciné que le public est invité à parcourir à tout moment de la nuit ou du jour durant 35 heures et 34 minutes.

On est au cœur du théâtre du Maillon qui a su déjà bien des fois se métamorphoser en autant d'espaces que les projets artistiques imposaient au lieu, à cet "endroit" même ou sont convoqués à immerger et émerger les projets les plus fous! Parcours immersif, balade, déambulation des corps des spectateurs au gré des envies, des attractions, des pulsions générées par les atmosphères, ambiances de tous ces cabinets secrets de curiosité !Après avoir patienté pour intégrer le dispositif, à l'arrière du théâtre, on est invité à revêtir un imperméable transparent, sorte de houppelande qui vous donne l'apparence d'un oiseau de nuit prêt à plonger dans une grotte ou à pénétrer secrètement dans une centrale nucléaire...Après le passage d'un sas, salle d'attente d'un praticien inconnu, voilà que s'ouvre un gigantesque espace, lisère de forêt ou clairière de fées..Comme une jungle du Douanier Rousseau ou un décor de film de fiction de Clément Cogitore...Des êtres vivants peuplent ce radeau de la Méduse, les images sont d'emblée très picturales et renvoient à des univers connus. Tels des zombies allumés et hallucinés, une dizaine de performeurs hantent cet espace, rampant dans des reptations étranges, saccadées, animées de lenteur, de secousses; des corps intranquilles voués au mouvement incessant, sempiternelles danses de transes ou de recueillement. Dans de la terre battue, brune et prégnante.Maculant les corps pétris de poussières qui se roulent, rampent, s'extirpent du chaos.La chorégraphie signée Patricia Carolin Mai est pertinente et fait de ces gueux de cour des miracle sylvestre, des êtres vivants bousculés, chassés du paradis perdu, errant toujours abattus sur le plateau. Vêtus d'oripeaux en lambeaux de teintes grises. L'obscurité est inondée de lumières intermittentes, alors que le vrombissement des sonorités anime les corps.Soumis, flagellés, au diapason des rythmes, du propos qui semble fatal à leur destiné.  Presque du Maguy Marin du temps de son Beckett "M Bay"...Des casques en trois D accompagnent ce spectacle de ruines végétales, de clairière au sein d'une forêt tropicale. Images 3 D fascinantes de beauté, de vertiges spatiaux incroyables à vivre au sein de cette atmosphère de cataclysme, de fin du monde. Graphisme tectonique d'architectures végétales, de formes aiguës minérales, de paysages sylvestres, de lacs de cratère..Sidération et émotion à l'appui. Les images signées de Marc Jungreithmeier sont invraisemblables, sidérantes, vertigineuses et épousent la musique avec pertinence: de quoi perdre pied!La performance bat son plein, se déroule sans fin alors que la meute s'excite, s'ébroue, jambes et bras attirés comme des aimants à la cime d'un espace aspirant au délire, à la déraison, forêt de membres agités par des spasmes sous les salves de la musique omniprésente. Les spectateurs sur l'échiquier comme des gnomes ou sylphes , témoins de ces tableaux vivants défilant sous leurs yeux. C'est captivant, envoutant, dérangeant comme cette séquence stroboscopique où les corps répulsifs se meuvent , hystérique parade de la danse de Saint Guy, du mal de l'ergot du seigle....La scénographie de Pascal Seibicke impressionne et opère pour créer un univers sombre, obscur, révélé par le rythme d'enfer de la pièce.Mathias Grunewald veille au grain, stoïque parrain de ces visions hallucinées L'arbre cache la forêt et Shakespeare n'aurait rien renier de ses avancées vers nous, lente descente de la nuit qui se déroule avec nous. Complices et comparses de cette fébrile ambiance...Démiurge de cette mise en espace du chaos, de ce film de "morts vivants", Schubert se révèle orchestrateur satanique et virtuose de ce spectacle total.On sort de l'arène estomaqué, impacté physiquement, touché par les frappes et empreintes laissées sur nos corps gavés de rythmes, de soulèvements, de vie !Affaire à suivre jusqu'à l'aube ce dimanche matin...Dans quel état de corps?

Au Maillon, les 7/18/19 Septembre dans le cadre du festival MUSICA 2021


vendredi 17 septembre 2021

"Ouvertures" : l'arbre qui cache la fôret en ouverture du Festival Musica !

 


Depuis sa création en 2009, l’ensemble vocal Roomful of Teeth propose une hybridation entre tradition classique, musiques populaires et techniques vocales du monde. Dans ses rangs figure la compositrice Caroline Shaw dont la célèbre Partita for 8 Voices est l’emblème de la soirée. Une grande rhapsodie où se conjuguent tous les registres, de la polyphonie de la Renaissance au chant diphonique de Mongolie. 

Caroline Shaw The Isle (2016)

Une pièce qui va donner le ton à la soirée: huit chanteurs, hommes, femmes à parité pour une osmose vocale à capella qui donne le vertige: celui du souffle trituré, malaxé pour des harmoniques étranges avoisinant des réminiscences de chants populaires, ethniques, bordés de références sonores acoustiques de toute beauté On y pressent autant des intonations dignes de Mérédith Monk que de Steve Reich ou Phil Glass. Ou tout simplement de vocalises et mélodies bulgares populaires. La joie et l'enthousiasme en sus pour une interprétation audacieuse des harmoniques sensibles de mondes lointains, partagés, revisités au gré des rythmes, tensions et de l'unisson désarticulée des voix éparpillées dans l'espace.


Caleb Burhans Beneath (2017)

Suit dans la foulée cette oeuvre "voisine" d'inspiration, mêlée de cosmopolites intonations, d'oscillations vocales, de déséquilibres salvateurs dans la construction rigoureuse de chants patrimoniaux.Rythme, souffle, ventilation expiatoire pour un rituel décalé, partagé par spectateurs et interprètes dans une proximité loin de l'intimidation d'une salle obscure.


Caroline Shaw Partita for 8 Voices (2012)

Et voici au final de ce festin acoustique cette "partita"unique qui traverse le temps depuis sa création; des chants inuits pour fondamentaux s'abreuvant, se frottant à une composition hybride, solide échafaudage de sonorités, de dissonances: pour créer des paysages fabuleux qui évoquent nature, forêt, végétal en proie à un destin sonore étonnant. Les interprètes s'adonnent à ce "sprechgesang" à l'allure d'agora populaire où chacun prend la parole, vocifère ou murmure la diversité du monde."Dans cet "atelier" où chacun est une cheville ouvrière multitâche, la musique de ce collectif très "po" résonne comme un appel à la fraternité!

Roomful of Teeth
Estelí Gomez, Martha Cluver, Caroline Shaw, Virginia Warnken Kelsey, Eric Dudley, Thann Scoggin, Taylor Ward, Cameron Beauchamp

Horse Lords

Seconde manche du concert après un verre de l'amitié, pot de première nécessité,confiée au groupe Horse Lord qui introduit le bal, debout comme le public ramassé autour du plateau. Belle ambiance rythmique très dansante pour une atmosphère de fête, d'échanges et de proximité humaine, tant convoitée en ces temps de pandémie! Saxo, guitare, basse et batterie pour allumer l'atmosphère, faire swinguer les corps et les rythmes très marqués.

 Groupe inclassable, entre post-rock et musique répétitive, Horse Lords s’abreuve à une multitude de sources : minimalisme, polyrythmies africaines, blues touareg, folk américaine, musique électronique et free jazz… sans compter des maîtres à penser tels La Monte Young, Stockhausen ou Xenakis. Toucherait-on du doigt la synthèse rêvée entre la vitalité de la pop et la liberté des musiques expérimentales ?

saxophone, percussions | Andrew Bernstein
guitare | Owen Gardner
basse | Max Eilbacher
batterie | Booker Stardum

 

jeudi 16 septembre 2021 — 20h30
Les Halles Citadelle

 

mercredi 15 septembre 2021

"Le passé": simple ou composé ? Du plus que parfait très "classsique"!

 


Le metteur en scène Julien Gosselin, après avoir exploré la littérature contemporaine avec des auteurs comme Michel Houellebecq, Roberto Bolaño ou Don DeLillo - emblématiques des questionnements qui ont traversé le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui −, plonge ici dans le passé, au travers des œuvres de Léonid Andréïev (1871-1919). Ce qui l’intéresse chez cet écrivain russe, outre la beauté de l’écriture, c’est la radicalité avec laquelle il regarde son époque et dépeint ses contemporain·e·s. Julien Gosselin joue ici avec les codes du théâtre académique, lui alliant les outils qui lui sont chers : utilisation de la caméra, musique de scène, jeu performatif. Quel bouleversement peut déclencher en nous la réapparition d’un monde disparu ?

C'est sous les traditionnels "feux de la rampe" dans un décor planté, cosy, feu de cheminée réel que la traversée du "passé" opère son ouverture. C'est de la scène, à un écran large déployé au dessus du plateau que performent les acteurs. En chair et en os devant nous, ou filmés en direct dans "les coulisses" de ce même dispositif scénique. On ira donc quatre heures durant, du factuel au virtuel, gymnastique perpétuelle pour notre appréhension de l'espace. Et de la dimension: un long plan séquence affolé pour démarrer ce marathon qui dévoile les personnages de cinq pièces de référence,au gré de leurs déplacements incessants, au gré de leurs vociférations, altercations à propos de l'amour, des êtres chéris, malmenés par la passion, les empoignes, les étreintes... En "costumes" comme dans un bon film "classique" à panache, les comédiens jouent le jeu d'une débandade audacieuse, sans limite de tons, de retournements, de volte-face.On y pressent le drame, la violence des relations de ce microcosme bigarré. Tout ici concoure à l'urgence, à la déraison, à la destruction Au charme aussi, érotique, sensuel et nonchalant des couples qui se font et défont au fil du temps. La mise en espace fonctionne comme un leurre, entre gros plans cinématographiques de toute beauté sur le visage des comédiens sur la sellette et proximité du plateau. Filmés en direct par deux caméramans virtuose des plans, cadres et poursuites. Leur jeu exacerbé par la proximité, leur sur-dimension à l'écran est fascinant. Mieux qu'au "cinéma" puis que doublé de leurs clones pourchassés par la caméra. Résultat haletant, suspendu aux péripéties amoureuses.Coup de chapeau particulier pour Victoria Quesnel, sensuelle Ekaterina,  ou égérie du peintre, folle créature éprise de sensualité, exécutant une danse des sept voiles, Salomé très inspirée de danse buto aux accents surimpressionnés, déments,hallucinés Un jeu poussé à l'extrême , sidérant, gros plans traquant toutes ses mimiques, grimaces, expressions outrancières. Une séquence grotesque en sus à mi parcours de la pièce: film quasi burlesque, inspiré du cinéma muet en noir et blanc, cartons de lecture en sus: comme un jeu de marionnettes masquées où les personnages confondus par leur statu familial sont en proie à la honte, la masturbation de sexe de papier mâché, l'élocution hachée, modulée par des accents et voix transformés. C'est drôle et décapant, comme une sorte de sas jubilatoire à travers ses univers perturbés, dérangeants Le "passé" n'est pas objet de "tabula rasa" mais évocation de démarches, d'attitudes, de postures de jeu de pantins d'une société qui bascule, oscille avec les corps de chacun des comédiens Qu'ils soient face à nous, ou dans les interstices du décor, révélés par la caméra, livrés à nous comme des trophées de chasse.Les textes entremêlés de Léonid Andréiev se succédant comme un révélateur passionné par l'enveloppe charnelle des mots. Et quelques scènes emblématiques, le peintre et son modèle, tradition bourgeoise du "portrait"classique où la pose est prétexte à un dialogue subtil entre les deux protagonistes.Toute l'équipe technique sur le front pour cette performance d'acteurs et de caméramans à vous couper le souffle !Julien Gosselin Pygmalion décapant de la théâtralité "classique" revisItée.

Au TNS jusqu'au 18 Septembre

Julien Gosselin a présenté au TNS 2666 de Roberto Bolaño (2017), 1993 d’Aurélien Bellanger – avec les artistes du Groupe 43 –, Joueurs, Mao II, Les Noms de Don DeLillo et Le Père de Stéphanie Chaillou (2020). Le spectacle Le Passé traverse plusieurs œuvres de l’écrivain Léonid Andréïev (révélé de son vivant par Stanislavski et Meyerhold) : les pièces Requiem et Ékatérina Ivanovna et les nouvelles Dans le brouillard et L’Abîme