Catherine Diverrès France 9 interprètes création 2003 / Re-création 2021
Écho
Mettre à l’épreuve sa propre écriture chorégraphique, c’est le pari de Catherine Diverrès. Echo, pièce tissée d’extraits de créations antérieures, est un voyage dans le temps où mémoire et actualité s’emparent des corps, au fil d’une danse vibratoire et rebelle, infiniment puissante et sensible.
L’arbitre des élégances (1986), L’ombre du ciel (1994), Fruits (1996) et Corpus (1999), autant de pièces marquantes dans le riche parcours de Catherine Diverrès. En 2003, la chorégraphe décide pour la première fois d’interroger sa propre écriture. Elle sélectionne alors certains extraits de ces quatre créations antérieures qu’elle choisit de transmettre à de nouveaux interprètes. Depuis, les années ont passé et à nouveau, avant de clore ses activités chorégraphiques, elle décide de remonter Écho avec une autre génération de danseurs, ceux qui, pour la plupart, ont rejoint sa compagnie en 2016. Alors que le mouvement du monde frémit aux nouvelles urgences qui le traversent, quels échos, résonances, cette danse peut-elle entretenir avec ce qui fait l’actualité des corps et de nos sociétés d’aujourd’hui ? Écho est ce nouveau défi que s’est donné la chorégraphe : confronter le souffle de cette écriture si singulière, forgée de qualités, d’états de corps et d’engagement au mouvement du temps. Sur scène, c’est toute une poétique qui se déploie dans l’espace, dans la géométrie d’une composition rigoureusement ciselée par les gestes tandis que les corps s’élancent et nous parlent de gravité et de poids, de vide et de verticalité, mais surtout d’une certaine relation au monde et au mouvement de la vie.
Le plateau, vaste, nu, accueille un sol comme une tomette, couleur profonde de pierre chaude, de sol dur...C'est sur ce parterre ocre que vont se succéder, ensemble, duos, solo au rythme d'un choix musical riche de sons, de bruits, de musiques qui se tuilent, se mêlent Pour mieux brouiller les pistes d'une narration diffuse que l'on s'invente au fil des séquences.Cinq hommes, pieds nus, vêtus de costumes classiques noirs, ligne franche et découpée, surgissent pour animer une fugue fougueuse qui augure du ton général de la pièce: danse tranchée, comme un sabre qui fend l'air, sèche, abrupte, le frappement des pieds pour métronome interne.Ce prologue "violent", tonique engendre sauts, portés sur fond de bruitages cavernicoles, lointains, d'une grotte d'où "apparaitrait" Echo, la muse qui chante, réverbère le son et disparait, désincarnée..Seul son chant persiste.Puis dans une diagonale de lumière, tout en blanc, une femme dévale ce chemin, hésitante, perdue,affolée.Le son des corps qui chutent au sol, impressionne, touche, marque les esprits.Petite robe noire pour la succession d'images de solitude féminine qui hante le plateau; la grâce s'y déploie, fluide, ouverte, tourbillonnante, offerte, libre...Une sorte de monstre dans des lumières stroboscopique habite un rayon de lumière, sept mannequins, pantins en fracs noirs anthracite , masqués de blancs, opèrent un bal grotesque...Expressifs, tournoyants à l'infini: ivresse de la bascule, du vertige. Encore un duo aux portés mirifiques, légers, les corps attirés, happés par l'énergie d'un amour de la danse qui perle, suinte à chaque instants. Les corps se donnent, s'attirent, fusionnent en emprise, en prise folle, affolée de passion. Les courses se libèrent en autant de salves, lâchées dans l'espace: les danseurs s'accueillent violemment, dans une confiance étonnante, une urgence, un danger constant.En diagonales souvent, axe de sillon de lumière, de mouvement, de dynamique pour mieux dévorer l'espace, le prolonger, l'étirer à l'infini. La danse coupe cour aussi, interrompue, figée, arrêtée dans son flux.Des traversées obsessionnelles, addictives, nécessaires, toujours: actives du processus de tracés, d'écriture irrévocable de l'urgence: celle de "faire l'impossible", le vrai, dans la répétition aussi, signe et marque de fabrique de Catherine Diverrès.Directions sagittales en flèches tendues, tirées des corps qui fusent aspirés,et se lancent irrésistiblement dans l'espace-temps.Le vent s'écoute dans les robes des femmes qui tournent, font résonner l'espace, le prolonge. Se retroussent, se rebroussent, détroussent l'éther.Un féroce derviche possédé apparait puis se transforme en un humble serviteur d'un culte païen retrouvé. L’archaïsme de la danse, du propos de la vie qui tournoie, effraye, sidère, intrigue. La danse y trouve toute sa fonction rituelle, mystérieuse, païenne et sourd des corps un parfum de sacrifice, d'offrande: une sorte de sacre du printemps où la danse éructe, s'affole en langue étrangère, en robe rouge, en esprit malin....Séduction éphémère au profit d'une profonde prière mystique endiablée...Panique, désordre ou rangée drastique de corps à l'unisson, réunis dans une énergie sans faille, épuisante, perte et dépense troublante pour les danseurs galvanisés par l'énergie débordante, autant que la poésie lyrique qui se dégage des solos, duos qui se tuilent, se répondent, s'effondrent comme un château de cartes.Des traces de sable, des roses au sol, lumineuses comètes échouées ou braises en rémanence de lumière, de lucioles..En leitmotiv, le bruit de la chute des corps, les sauts délivrés, inversés dans les directions à suivre, à fuir.Des accolades féroces, rageuses, dévoreuses.La déchirure des sons précipités, un état de guerre où les corps au sol subissent des états de choc comme le spectateur, regard happé par tant de dynamique. Une habanera, une accalmie, tous sur leur quatre appuis sur fond de fanfare féllinienne, comme au cinéma, le son "off",le hors champs s'installe. Seul un boxeur se glisse entre les lignes pour clore cette épopée de l’odyssée de la fugue, de cette cérémonie où Terpsichore jubile de trouver espace et terrain de jeu, de jouissance: une "petite mort" pour diluer le geste dans l'extase d' Eros/Thanatos....
Au Point d'Eau dans le cadre du festival extradanse de Pole Sud le 19 MAI