La vie toute nue, toute crue, celle qui "pue" autant que celle qui sent bon la complicité, l'amitié, la solidarité!La voici, la danse parlée, théâtralisée comme jamais on ne nous l'a montrée.
Les voici, les deux "sœurs" Sagna, en résidence "groupée" à Strasbourg, à Pôle Sud pour deux saisons. Un bonheur avoué tant déjà par la présentation de ce spectacle, leur intuition chorégraphique sent "bon" l'inédit, le travail sur la danse et la dramaturgie, le lien avec le tissus culturel maillé depuis longtemps par le réseau "danse" , très dense de Strasbourg. Un programme animé des meilleures intentions pour cette résidence "carte blanche" confiée à la toute nouvelle compagnie "caterina et carlotta Sagna": bicéphale binôme, tandem incontournable désormais d'une danse fléchie et réfléchie, miroir d'un projet commun considérant l'humain comme toute source de création.Ils sont quatre, et le resteront, sans quitter le plateau, une heure durant. Trois femmes, un homme, bien identifiés, revêtus de costumes chatoyants, veste rose, manteau vert, pantalon multicolore et fleuri. Déjà toute une histoire de tapisserie de la vie est contée au travers de ces accoutrements singulièrement joyeux et hors du commun. Un faisceau en carré de lumière sera leur première ère de jeu, pour mieux s'éclater en autant de particules d'espaces par la suite. Une femme à terre se roule, s'enroule, se déploie et par petits fragments successifs, dessine sa mouvance au sol. Les trois autres intrigués vont se réunir et se lancer dans des fous rires compulsifs et régénérateurs. Contagion des spasmes des corps, des voix éructant du beau son!Quatre membres d'une même famille? Peut-être, sans doute si l'on veut bien "entendre" les clins d'œil à une fratrie possible, jetés dans de petites phrases, dans des mots ou injonctions adéquats.Cette petite population, unie autant que désunie va bon train et une intrigue flotte dans l'air, suspend ses interrogations et rebondit à chaque instant. La danse gagne les corps, des jeux de bras et de mains désopilants agrémentent de leur piment visuel et humoristique, ce tableau de famille pour le moins déroutant. L'entente, le désaccord s'y mêlent, la complicité règne cependant sans fard dans ce quatuor à quatre corps à huis-clos pour le meilleur et pour le pire. Cela transpire le bonheur, "pue" parfois la méfiance, la disgrâce: "Avorton", "barges": de ces fiers qualificatifs, notre seul homme se laisse traiter sans crier gare, mais en esquivant les injures. Alessandro Bernardeschi tire son épingle du jeu brillamment, Tijen Lawton est une sirène volubile et gracile idéale, quant aux sœurs Sagna, elles rayonnent de leur singularité: intégrité,souriant détachement espiègle, malice et vire-volte devant la vie et ses petites catastrophes quotidiennes.
On attend avec impatience "la suite" des faits et méfaits des deux créatrices sur le territoire alsacien!
Comme une suite sous forme d'enquête policière, à la quête des bons mots, des bonnes adresses et ressources qu'elles sauront faire surgir de chacun d'entre nous, acteurs ou spectateurs avisés de cette résidence. On ne va surement pas s'y "croiser les bras!
"Gina" est un one-woman-show raconté avec le corps. Gina joue la diva et rêve d'une vie extraordinaire, tantôt pathétique, tantôt sublime. Impudique et souveraine, sa gestuelle gêne, provoque et déborde littéralement de toutes parts de manière parfois brutale ou absurde. Puis elle danse gracieusement et tout aussitôt se cabre contre les règles de la danse. Elle parle avec son corps, se perd dans ses songes et interpelle le monde en toutes ses langues. La scène devient alors comme sa chambre, un lieu intime où Gina est face à elle-même, avec ses peurs et ses illusions.Gina -Eugénie Rebetez a pour maitre "Zouc", la célèbre comique suisse et les filiations sont claires, évidentes mais jamais plagiaires. Elle se joue de ses formes rondes, comme une danseuse qui fait de sa chair abondante, une matière chorégraphique à part entière.Sculpté par la lumière, son corps avoue toute chose avec pudeur et malice. L'empathie gagne au cours du spectacle avec ce personnage touchant, émouvant, pathétique et affligeant à quelque endroit de son jeu. Elle se rend sympathique en osant le dérisoire, les actes hyper simples, des déplacements et détournements d'objets à la frontière du ridicule, de l'inachevé.Son propos est clair: comme il y a eu des "danseurs grassouillets", Olivier Dubois, Thomas Lebrun, elle s'expose franchement et attend notre réaction. Sa technique de "danseuse classique" est impeccable et peut encore surprendre celui ou celle qui penserait que seuls les canons de la beauté font la danseuse....On songe parfois au solo de Vanessa Van Dume, "Regarde Maman, je danse", cette transsexuelle gantoise, chérie d'Alain Platel qui se raconte et livre son corps métamorphosé aux regards du public. A Philippe Menard, aussi et son "P.P.P." figure de la métamorphose de l'homme en femme, au comble de la diversion, de la transfiguration du corps.
Son visage a la candeur de sa générosité à dévoiler ses manques, ses absences d'assurance, ses inquiétudes. Gina est bien seule, même avec nous tous, témoins de son désarroi, de sa vie pleine d'encombrements, d'objets, d'obstacles pour hanter ses moindres désirs, ses moindres actes et déplacements. Ce n'est pas son corps qui est entrave, handicap, c'est bien le regard des autres sur lui dont elle pose aujourd'hui le questionnement....