"Va à la rencontre du Wanderer...
Va à la rencontre du marcheur solitaire au cœur de l'hiver...
Passe outre l'immense respect pour un génie créateur comme Franz Schubert
qui, au sommet de son art du Lied,
l'année de sa mort,
compose,
sur les poèmes de Willhelm Müller, son contemporain,
Die Winterreise".
Renate POOK
L'église est prête, sa nef accueillante, ses chapelles ouvertes au dialogue, sa crypte offerte au regard: c'est soir de spectacle à ST Pierre le Jeune. Mais que l'on ne s'y trompe pas, c'est à une ballade chorégraphique, une "visite sensible" que nous allons participer, un petit groupe d'"élus", réunis pour une rencontre, avec un lieu, avec des artistes, avec une femme, danseuse de son état de corps: Renate Pook.Le ton est donné en prologue par notre prêcheur, guide, berger, Bruneau qui pose les règles du jeu. Suivre Renate, des yeux , se laisser mener par son corps, initiateur du chemin.On démarre donc ces pérégrinations par la découverte du statuaire, ce "petit moine" au pied de la chaire. Renate apparait, tout près de la porte, frappe les trois coups. Pas de réponse à sa curiosité: il n'y a personne derrière ce pan de vie mystique. Alors démarre la musique, enchaine la danse. Une petite danse tétanique, aux gestes vifs argent et précis, ciselés, animés d'une vivacité fébrile, comme des électrons libres, tantôt maitrisés, tantôt libérés. Se propageant dans l'espace. Se répandant au sol, aussi, pour évoquer, recroquevillés, la naissance des froidures d'hiver. Elle est vêtue sobrement d'un long gilet de laine tricoté, beige, gris, dont les plis se déploient lors des tourbillons de son corps, comme un éventail à la japonaise, un drapé-plissé à la Myaké, ou à des origamis...Sa silhouette fine, gracile évolue dans les espaces de l'église La petite troupe la suit, précédée du récitant qui fait étape avec nous sur le bord du chemin, comme une pause, une ponctuation en dialogue avec la douceur ou la fulgurance du mouvement.Renate se pose, gravit l'escalier qui mène au déambulatoire du jubé, se laisse glisser, nous entraine dans la découverte du lieu, par le regard, par l'espace qu'elle y invente à elle seule. Expression angélique parfois, ingénue et tendre d"une jeune fille aux aguets. Terreur ou inquiétude très expressive aussi quand la gravité du chant et de la musique lui inspire respect, recueillement,dévotion. Elle se glisse avec malice dans les travées des stalles, les longues et interminables rangées de bancs, comme dans un labyrinthe, y suit sa fantaisie, change ses orientations à l'envi, Son humeur vagabonde lui dictent les changements, virevoltes et autres revirements.. Elle est inattendue et agace son monde quand, têtue elle cherche à franchir quelques obstacles dressés sur son chemin. Elle se faufile dans la petite foule qui se resserre parfois sur elle, comme un cocon ou une entrave.Les portes, les ouvertures possibles l'intriguent et elle va s'y confondre ou s'y confronter avec tentation, audace et parfois déception.L'architecture du lieu lui offre mille et une portes et sorties, un banc d'orgue pour rêver, une estrade, un escalier, tout est prétexte choisi pour atteindre in fine la dernière chapelle "ardente", puis la scène finale, le chœur où tout s'achève dans le mystère d'une fin consommée. Un chanteur, une accordéoniste vont se joindre à elle au cours de cette chanson de gestes, parcours futé et énigmatique de cette demeure de Dieu et des Anges. On y découvrira des clefs de voute sculptées en fleurs, des chapiteaux aux multiples têtes, des fresques qu'elle effleure au risque de les effacer.... De l'audace, du respect mêlés pour cette visite incongrue, longuement réfléchie et vécue par la danseuse, un mois durant, dans le froid, dans le silence, dans les vibrations du lieu qu'elle nous fait ressentir comme autant de pistes d'un vécu spatial singulier.Le silence revient, fin de partie, la musique, la voix se taisent, tout rentre dans l'ordre: la jeune fille , la femme à longue tresse comme une seconde colonne vertébrale disparait, suspend sa danse, éteint sa mouvance, coupe l'énergie. Plus de martèlement de sol avec les pieds, disparue la danse fendue en tierce, tranchée dans le vif de l'espace. Finies les glissades, les tours de derviches légèrement inclinés vers l'intérieur, les positions de pieds ancrés au sol, le corps qui s'allonge et se tait, au repos.Tout rentre dans l'ordre et les ombres, les lumières raviveront ce souvenir intemporel suspendu à nos mémoires: l'éphémère, le fugitif ne laisseront pas de traces hormis dans nos cœurs..
Des instants de grâce servis par une interprète, auteur de sa danse qui semble au zénith de sa forme, énergique, solide, forte comme une conviction de vie, de surprise et de rigueur fantaisiste. Gravité, tendresse et jubilation au menu pour cette dégustation chorégraphique sans modération.Effusion, calme, fulgurance, attente, suspension, hésitations, inclinaisons tentations: toute vie y serait résumée. La solitude aussi.La mort, la disparition s'y font présentes, discrètes.
Un voyage d'hiver fondateur.
"Winterreise / Voyage d'hiver"
Musique de Franz Schubert
sur des poèmes de Willhelm Müller,
Enregistrement de 1966,
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton
Jörg Demus, piano.
Bruneau Joussellin, récitant.
Une chorégraphie conçue et dansée par Renate POOK.
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