lundi 30 septembre 2024

"RuptuR" Caravaggio | Les Percussions de Strasbourg: au point (de rupture), bleu ou saignant?....

 


Depuis bientôt vingt ans, Caravaggio creuse un sillon essentiel entre la musique contemporaine, le jazz expérimental et le post-rock.

Associé aux Percussions de Strasbourg, le groupe présente une création détonante imaginée par Samuel Sighicelli et Benjamin de la Fuente. RuptuR, c’est un flux continu d’énergie, un mouvement d’élévation hypnotique et une tension sensible accumulée jusqu’au point de non-retour. Les virages sont serrés, l’écoute secouée, les collisions toujours contrôlées. À bord de cette machine hybride, la virée est haletante, sinueuse mais surtout libre. Ni dieux, ni maîtres.



Mitrailles de sons, salves...? Voici un ensemble parfait, au point de rupture! Sept interprètes aguerris à la pratique poly-sons prennent le plateau, fumigènes déjà opérationnels, histoire de faire ambiance. Chacun à leur poste, leur pupitre, au "piano" comme des grands chefs, orfèvre en leur matière. Matière à percuter bien sûr mais dans un registre très vaste, bordé par un synthétiseur virtuose et plein d'inventivité de torsions sonores décapantes.l Tonique environnement sonore très riche, en vibrations, bouleversements et fulgurances. 

Des conversations s'installent entre eux, en ricochet, prenant la balle au bon pour des passations sonores très construites, minutieusement cadrées. On se passe le relais à l'envi dans un rythme ébouriffant. La basse fait des miracles d'impressions sonores et rivalise avec le violon. Un petit robot lumineux se tord pour mieux faire le tour de la question scénographique. Lumières virulences au diapason de cette fresque géante. Les percussions plus sèches, acoustiques prennent le relais et créent un univers onirique déstabilisant. Planant, mystérieux, plein de suspens. Alors que tout reprend, foisonnante musique hallucinante, hypnotique, sidérante. En éboulement, avalanches et autres tectoniques géologiques de bon aloi. Au final, le trouble, diffus s'installe et se perd dans une perspective fuyante très étrange." Une virée dans l'espace sonore dont il fait bon revenir au sol pour se poser et vibrer encore des soubresauts et rebonds des notes percutantes.Médusant, pétrifiant d'étrangeté. Le Caravage en tête de gondole....
 

musique | Benjamin de la Fuente et Samuel Sighicelli
création lumière | Christophe Schaeffer
son | Vanessa Court
régie | Laurent Fournaise

Caravaggio
basse électrique | Bruno Chevillon
violon, guitare ténor électrique | Benjamin de la Fuente
batterie, pad électronique | Éric Échampard
synthétiseur et sampler | Samuel Sighicelli

Les Percussions de Strasbourg
Théo His-Mahier
Emil Kuyumcuyan
Lou Renaud-Bailly

Au Théâtre de Hautepierre dans le cadre du festival MUSICA


dimanche 29 septembre 2024

Quatuor Diotima | Axelle Fanyo: "Arnold Schonberg visionnaire" : un quatuor pour trois compositeurs majeurs

 


ARTE et Musica dévoilent en avant-première le documentaire d’Andreas Morell sur Arnold Schönberg réalisé à l’occasion des 150 ans de la naissance du compositeur.

Pour illustrer le caractère visionnaire du maître de la Seconde école de Vienne, le Quatuor Diotima donne son Deuxième Quatuor, œuvre charnière dans le passage de la tonalité à l’atonalisme — en compagnie de la soprano Axelle Fanyo, puisque, fait rare dans l’histoire du genre, deux des mouvements comportent des lieder sur des poèmes de Stefan George. Grido d’Helmut Lachenmann et Bobok de François Sarhan complètent le concert et nous montrent combien l’expressionnisme a irrigué la musique contemporaine jusqu’à nos jours.


François Sarhan, Quatuor n°1 “Bobok” (2002)

Voici de quoi réjouir et étonner le public, "habitué" aux élucubrations dantesques et inventives, drôles et décalées de François Sarhant. Une composition rigoureuse, sorte de conversation entre les instruments, réinterprétation de la nouvelle de Dostoevski "Bobok". Ce mot magique, leitmotiv, récurrent, transformé par analogie en un accord, entendu dès le début, qui lui-même se développe et se renverse au fil de la pièce.Bel ensemble cohérent d'architecture musicale menée de doigts de maitres par les interprètes complices du quatuor Diotima.


Arnold Schönberg, Quatuor à cordes n°2 (1907-1908) 

Une mine de sons, quasi mélodiques et fort flatteurs à l'oreille alors que la cantatrice à la voix de bronze émet une plainte tendue. Comme un prolongement du jeu des cordes qui prennent le relais dans de vastes et longues tenues.


Helmut Lachenmann, Quatuor à cordes n°3 “Grido” (2001) 

Ouevre phare de cette soirée qui débute par des sifflements, effets sonores de sirène portuaire émis par les cordes. Souffle des archets sur les instruments en virevoltes, ornements, grincements, étincelles.Dans une atmosphère sombre et sourde, très contrastée. Les sons y sont organiques, animal, raclements, râles: de gorge, de pharynx, très anatomique, charnels. Puis plus légers au fil de l'oeuvre, diffus, vifs, aériens, sautillants. L'écoute est tendue, acérée. L'exercice musical est virtuose, à l'affut des incidents tectoniques de la partition lumineuse, chaotique. Des sons infimes maintiennent en haleine et concentration. Un concert hommage de toute beauté: le quatuor Diotima au mieux de sa "petite forme" de chambre!


soprano | Axelle Fanyo

Quatuor Diotima
violon | Yun-Peng Zhao
violon | Léo Marillier
alto | Franck Chevalier
violoncelle | Alexis Descharmes


présenté avec Arte

A la Cite de la musique et de la danse le 29 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

Arnold Schönberg : L’inlassable visionnaire : un documentaire rare et édifiant


ARTE et Musica dévoilent en avant-première le documentaire d’Andreas Morell sur Arnold Schönberg réalisé à l’occasion des 150 ans de la naissance du compositeur.

Puis pour illustrer le caractère visionnaire du maître de la Seconde école de Vienne, le Quatuor Diotima donne son Deuxième Quatuor, œuvre charnière dans le passage de la tonalité à l’atonalisme — en compagnie de la soprano Axelle Fanyo, puisque, fait rare dans l’histoire du genre, deux des mouvements comportent des Lieder sur des poèmes de Stefan George. Grido d’Helmut Lachenmann et Bobok de François Sarhan complètent le concert et nous montrent combien l’expressionnisme a irrigué la musique contemporaine jusqu’à nos jours.

La vie et l'oeuvre de Schonberg en 90 minutes: une gageure, un chalenge un défi pour la production et le réalisateur. Pari tenu où tout concourt à nous dévoiler le méconnu de ce personnage singulier autant que magistral compositeur. Le contexte socio-économique, familial y est relayé par des témoignages contemporains de ses proches héritiers: conservateurs, bibliothécaire et famille! Bel échantillon de paroles, de souvenirs, de renseignements Ses oeuvres en regard de ce destin singulier, inatendu, méconnu. En bref, un document rare et édifiant Andreas Morell joue et gagne.

A la Cité de la Musique et de la Danse, le 29 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"Log Book" François Sarhan | Zafraan Ensemble: à babord! Boussole intime pour voyage dans le temps

 

CONCERT


Ni vie d’exception, ni révélations tonitruantes. L’ordinaire, rien que l’ordinaire.

Avec son Log Book initié en 2019, François Sarhan pratique l’autobiographie de façon bien particulière : une observation du monde menée d’un point de vue personnel, par accumulation, mise en musique spontanément, comme croquée sur le vif. Ce carnet de bord infini, aujourd’hui d’une durée de quatre heures, fait écho aux stratégies poétiques de Jacques Roubaud ou à l’« infra-ordinaire » de Georges Perec. Un concert matinal comme un grand journal que l’on feuillette en serpentant dans nos dernières années (in)oubliables, de petits tracas en grandes histoires, en compagnie de le Zafraan Ensemble.

Jeux de l’ouïe

Cela aurait pu être "le jeu de Marseille", jeu de cartes des surréalistes...C'est un flip book musical étonnant, détonnant! Série de saynètes musicales, dramatiques, contées en direct par François Sarhan...Quatre heures durant à potron minet. Belle performance en perspective en compagnie de Zafraan Ensemble. Du texte, narration intime, sorte de récit authentique très personnel, ponctuée ou couverte par la musique toujours écrite. Le canevas fonctionne à merveille, des images vidéo doublant ces couches et nappes sonores à l'envi C'est un calendrier du tendre, une carte du temps géologique qui se déroule: des dates précises de 2020 à 2024.. Des événements marquants, anniversaires, voyages..Le tout étayé de commentaires vivifiants. 


Cimetière, cadenas, platane, tout est pré-texte à jouir des mots, des sons-frissons, des bruits ou babillages de Lilou. Très vivant, direct et touchant, ce spectacle hors norme que l'on déguste en position couchée ou assise est le récit d'aventures. Épopée intime mais largement partagée par un public certes restreint mais très captif. Des scènes corporelles très drôles où contact, rejet, attirances et embrouilles réjouissent et renforcent la narration. François Sarhan en conteur-récitant, officiant de cet événement. Les images du fameux Log Book en contrepoint donnent un côté enluminures médiévales, grimoire et autre parchemin enchanteur. Quasi surréaliste, fantastique, mystique et ésotérique. Une balade sonore dans le temps où la boussole garde le cap, où le capitaine tient la barre. E la nave va! En épilogue de cette longue navigation: "Mais tu dois apprendre à fermer les oreilles": on sait qu'elles n'ont pas de paupières..On va trouver une solution pour les laisser ouvertes!Ça va Sarhanger !


conception, musique et performance | François Sarhan 
performance | François Sarhan, Ensemble Zafraan 
Management Zafraan Ensemble | Sofia Surgutschowa


Zafraan Ensemble
saxophone | Martin Posegga
violon | Emmanuelle Bernard
alto | Josa Gerhard
contrebasse | Jakob Krupp
percussions | Daniel Eichholz
synthétiseur | Clemens Hund-Göschel


production Zafraan Ensemble

Sans doute une similitude incongrue avec "le jeu de Marseille"?


Un hommage plus personnel est rendu à Alfred Jarry, le Père Ubu servant
de joker. Le jeu de cartes de Marseille a été publié pour la première fois
aux États-Unis dans un article de la revue VVV en 1943 puis édité en coffret
en 1983. En hommage à Varian Fry, le jeu est offert au Musée Cantini en
2003 par la fille d’André Breton et de Jacqueline Lamba.
Frédéric Delanglade –


Danse-éclats: Dominique Starck éblouit. Poussières d'étoiles, éclaboussures de couleurs...


Exposition « Danse Éclats », une sélection de peinture de 1990 à 2024 de Dominique Starck.

 


Les peintures de Dominique Stark sont mouvements, pulsions autant que minuties et précisions."Danseur", "Danseuse" en seraient les emblématiques illustrations. Toiles de taches et pointillisme irrégulier, jeté sur la peau tendue du cadre. Etincelles de peintures en touches ou en nappes répandues qui se fondent et se diluent dans l'espace. Se répande,nt à loisir. Couleurs diffractées, segmentées, éparpillées en grand ou petit format. On promène dans l'exposition, en respirant, expirant l'espace intérieur de notre corps comme une petite danse D'un é-toile à l'autre comme Rimbaud.


"J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse". Illuminations salutaires... Les titres des toiles, "bouhda" ou divinités indiennes ravissent l'ensemble et guide celui qui regarde dans des espaces sonores, visuels et esthétiques, spirituels et méditatifs. L'artiste, présent veille sur son univers et semble en faire partie intégrant. Un sourire au coin des lèvres pour auréoler la visite.Poussière de rose et éclaboussures.


Né en 1963 à Wissembourg, Dominique Starck est peintre, chorégraphe, danseur butô et enseignant en yoga.
Après des études à l'École des Arts Dé- coratifs de Strasbourg auprès de Sarkis, Jean-Marie Krauth et Thomas Soriano, et un passage à la Kunstacademie de Düsseldorf auprès de Konrad Klapheck, Dominique Starck se forme à la danse butô, à la danse contemporaine et au yoga.
Il expose régulièrement et donne des spectacles et des performances en France et à l'étranger : Strasbourg, Paris, Belfort, Nantes, Karlsruhe, New York, Quebec, Sara- jevo, Novi Sad, Bilbao...
En 1986, Bourse de l'Office Franco-Alle- mand de la jeunesse
En 1991, lauréat du prix du Centre Européen d'Action Artistiques Contemporaines
En 2008, lauréat d'une bourse artistique du Conseil Général du Bas-Rhin.



Œuvre : Dominique Starck, Acrylique sur toile
Jusqu'au 26/10/2024 Galerie Yves Iffrig - Strasbourg  




"Ouverture": Kaori Ito etTam: un duo extra-vaguant plein de charme.

 


Avec les performances, Kaori Ito cherche la liberté de l’instant présent. Instinctive, elle prend le risque de l’improvisation et tente de se connecter avec le ou la musicien·ne complice et avec les spectacteur·rices.

Parfois, lors de ces moments suspendus et inattendus,​​ elle parle et confie des anecdotes personnelles. Parfois, elle joue de la musique et fait danser le ou la musicien·ne. Parfois, elle lui grimpe dessus ou vole le chapeau d’un·e spectateur·rice.Pour l’ouverture de saison du TJP, Kaori invite Tâm, directeur des Percussions de Strasbourg.Un dialogue vivant et créatif se noue sur scène entre Kaori Ito et Minh-Tâm Nguyen, son complice musical, entraînant le public dans une aventure artistique imprévisible.

Et le duo-tandem fonctionne dès la première apparition des deux performeurs: lui au vibraphone, elle avec sa robe rouge, col roulé, vaste et ondoyante. Deux taches de couleurs sonores et corporelles pour un festin de mouvement. La fluidité des gestes de Kaori Ito, son corps ingénieux qui se glisse dans les failles de l'espace en font un régal chaleureux, visuel en diable. Animal à l'affut du moindre signe chez les spectateurs assis en rond en proximité. Danse d'expression, de sorcière à la Wigman, de buto transcendé.Son visage expressif et plein de mimiques avenantes.Ses évolutions agiles, volubiles, véloces pour ornement efficace d'une danse organique et sensuelle. Le corps fort et tendu pour affirmer cette présence inégalée à ce qu'il se passe. Les enfants, fascinés ou en osmose avec ses reptations, bonds et autres figures non académiques. Danse et percussions ritualisées par un jeu efficace, direct, accessible. Soubresauts tétaniques, épileptiques ou robotiques en diable. Poly-gestuelle magnétique d'une artiste hors pair, généreuse, radicale, partageuse. A l'écoute des sons et bruits que Tam délivre, invente, lui aussi aux aguets.L'ambiance est joyeuse. Les doigts de pieds de Kaori, largement offerts, plantés au sol ou s'emparant d'un fil de chargeur de téléphone portable tout juste sorti à l'improviste d'un sac à main de spectatrice! Corde tendue, étirée, jouant de la souplesse très laxe de la danseuse, araignée de circonstance! Impromptu de génie.Deux compères , voix et électroacoustique sont complices de l'événement.L'artiste impacte le public, l'invite sans heurt ni harcèlement à se mettre en jeu, en mouvement, en contact. Elle"invite", suggère sans forcer ni démagogie à participer, se joindre à la fête. Dans un grand esprit "d'ouverture" au monde, à l'enfance.Au final, une petite séance de respiration collective conduite et dirigée fédère et réunit petits et grands..

"Havre De Grace to Le Havre" Moor Mother: à bon port, salut!

 


CONCERT | PROGRAMMÉ PAR LE PUBLIC

Figure de la création alternative étasunienne, la musicienne, poétesse et activiste Moor Mother explore l’histoire et les conséquences de l’esclavage et de la colonisation.

Pour Musica, elle prolonge son récit réparateur à travers une performance inédite associant le chœur Pelicanto. Son point de départ est son lieu de naissance, Havre de Grace (Maryland), ainsi dénommé pour la ressemblance avec le port du Havre qu’y voyait La Fayette. Au XIXe siècle, la petite ville située sur la ligne de démarcation Mason-Dixon séparant les états abolitionnistes du Nord et les états esclavagistes du Sud fut un point de passage pour les esclaves en fuite.


Moor Mother
, Havre De Grace to Le Havre (2024 – création mondiale)

St Paul est bondé: plus de 270 auditeurs pour ce concert inédit...Allongé, le public constitue une belle marée humaine, relax et conviviale. Sur les pavés, la plage du son, des sons. L'ensemble Pélicanto fait son entrée en cheminant, chaloupant alors que les trois protagonistes sont debout devant nous, tout proches. Le choeur s'avance et pénètre le choeur. Petites percussions de table, clochette, grelots de bois pour introduire l'opus, texte à l'appui récité par Moor Mother: longues extensions de chevelure en silhouette mouvante. Ses deux compères, petit chapeau vert et cheveux touffus comme des miroirs vivants et non déformants.Vers la voix chantée, les sons d'une flûte et les percussions, tout va bon train. Trois officiants païens d'une cérémonie. Le choeur à l'arrière les borde, s'amplifie, et tangue dans les accents de gospel. Une vraie volière de cris, de sons de trompette en introduction. Un chant fameux. tout de contrastes et modulations, dirigé par une cheffe de choeur aux larges indications chorégraphiques et gestuelles.Surgit l'orgue au loin, monstre sonore éclatant, tonique, volubile et humoristique.  Un brillant solo de trompette émeut et frappe d'emblée.Inonde l'église de ses retentissements et plaintes. L'orgue, quasi free-jazz et très véloce accompagne le tout et donne une dimension singulière à l'ensemble. Le choeur nous quitte, toujours chavirant et en syncope. Une double voix entre orgue et vent se fait déesse Echo. Un manifeste de revendications politiques en soubassement et fondations de l'oeuvre, impacte la virulence, le jeu, les intonations de Moor Mother, star et vedette du soir, figure de proue. Un discours politique assumé, l'orgue accompagnant cette profondeur musicale, grave et engagée. Telle une allégorie, l'opus arrive à bon port, am-conque pour agrémenter sobrement cette messe païenne partagée. Un peu de chant mongol, de ventriloque de la part de,errit et accoste, après un cabotage musical entre sérénité et lutte fébrile: soulèvement et insurrection au poing. Au loin, le buffet d'orgue basaltique ou balsamique nourrit à volonté cet univers minéral de résonances portuaires fluviales. Noble, princier, altier l'instrument rugir ou égrène les sons de façon singulière et inhabituelle. Trompette bouchée, fifre, pipeau ou flutiau, grelots et coquillage pour agrémenter sobrement le tout. Simon Sieger ventriloque et chanteur mongol, gore pour diversifier les atmosphères.Aquiles Navarro en trompettiste soliste fort émouvant! Un concert-performance ovationné par un public jeune et enthousiste à l'écoute du tournant à 180 ° du festival MUSICA 2024.

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conception, musique et performance | Moor Mother
trompette | Aquiles Navarro
flûte, trombone, orgue et percussions | Simon Sieger

Pelicanto, Chœur LGBTQ+ d’Alsace

—𝗗𝗮𝗻𝘀 𝗹’𝘂𝗻𝗶𝘃𝗲𝗿𝘀 𝗱𝗲 𝗠𝗼𝗼𝗿 𝗠𝗼𝘁𝗵𝗲𝗿
Moor Mother est une poète de l’expérience africaine américaine et montre son lien avec les éléments de la diaspora noire dans les sociétés occidentales. Ses albums reprennent des éléments des traditions africaines et des Noirs aux États-Unis pour mieux les mettre en valeur.
 
 
A l'église ST Paul le 28 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"Sirius"  Karlheinz Stockhausen : sidéral et cosmogonique: des voix lactées dramatiques sublimes, poussières d'étoiles..

 


CONCERT INTERGALACTIQUE

J’ai dit assez souvent — au grand dam de tous les planétariens — que je m’étais formé sur Sirius. Tout le monde trouve cela tellement stupide que je dois bien insister pour que l’on me croie. Je me suis formé sur Sirius et je veux y retourner, bien que je vive actuellement à Kürten, près de Cologne. Sur Sirius, tout est très spirituel. De la conception à la réalisation, il s’écoule très peu de temps. Ici, ce que l’on appelle un public, des observateurs passifs, n’existe pas du tout. Tout le monde est créatif. Ce qui est important, c’est de savoir qui crée quelque chose. Invention, créativité, surprise, beauté. — (Karlheinz Stockhausen)


Sirius est un carrefour dans l’œuvre de Karlheinz Stockhausen. Après avoir cherché à faire la synthèse de cultures musicales et de spiritualités du monde entier, de Telemusik (1966) à Mantra (1970) en passant par Stimmung (1968), le compositeur dépassait le cadre terrestre pour prendre le chemin des étoiles… En 1977, lors de la création de Sirius, il s’engage déjà dans la composition de son monumental cycle opératique Licht. La pièce en est un embryon, reliant les voix, les instruments et une extraordinaire partie électronique au sein d’une dramaturgie de space opera proche de la science-fiction contemporaine, alors marquée par la sortie du premier opus de Star Wars.

Sous un ciel étoilé, la salle du Palais des Fêtes devient observatoire sidéral.Le public au choeur de la scénographie, entouré de quatre podium: le repère des dieux célestes. Sous des effets sonores de bande enregistrée, des vols de chauve souris tournoyantes, de carlingue décollantes, les  étoiles et satellites de sons surgissent. En nappes et couches denses. Quatre podiums, quatre interprètes pour servir cette oeuvre phare en "live" ! Une occasion en or de découvrir aujourd'hui ce monument de la musique contemporaine. Des bruitages et effets sonores assumés réagissent aux intervention des voix: soprano et basse et des instruments:clarinette basse et trompette. Tornade venteuse de sons pour accompagner une discussion animée entre les quatre protagonistes de cet opéra spatial de grande envergure.En toges cérémonielles, cultuelles les artistes incarnent ce que Karlheinz Stockhausen avait systématisé la couleur de ses vêtements en fonction des jours de la semaine. jaune, rouge, gris, noir. La musique dans les plis et froissés des costumes. Alliages des matériaux sonores comme un élixir des dieux, mélange de cépages harmonieux malgré les apparences grinçantes. Les ombres portées des interprètes comme des prolongations oniriques mouvantes de la musique. Dédoublés, les voici acteurs d'une tragédie dans une cosmogonie impressionnante. Personnages tragédiens surtout Damien Pass et la sublime Sophia Korber à la tessiture sidérante, au timbre chaleureux surement trois octaves pour enchanter l'atmosphère avec des tenues sans faille. Un voyage sidéral sans commune mesure, tout en démesure de composition électronique aussi. Arachnéen univers dans les é-toiles. Stella matutina oblige.Deux joutes, voix et vents implacables, irrévocable hymne à l'espace de science fiction ici évoqué. Johanna Stephens-Janning à la clarinette basse, sculpturale et divine, Paul Hûbner à la trompette inclassable.Des "stars" pour incarner ce phénomène musical qu'est "Sirius". Les visages maquillés des artistes, leur proximité, scintillent comme les astres et étoiles filantes et montantes du spectacle. Les tessitures et timbres des voix, basse et soprano colorature sont fascinants, hypnotiques. Son de vent après une accalmie, souffle, voix chuchotées presque maléfiques: les quatre interprètes se rejoignent au centre, conversation intimiste: le jeu d'acteur comme pour renforcer la grandeur lyrique et sonore de l'opus qui se déroule. Répliques des vents aux paroles des voix: litanie, sermon harangue, prières: les tons sont modulés, variés. Incroyable tenue de la trompette pour allonger espace-temps en un long fleuve intranquille. Soudain, un arrêt sur image: statues médusées, pétrifiées, tétanisée du son incarné par les corps charnels. Des clochettes, sonneries jaillissent, tintinnabulent au coeur de la bande son électronique. Constellations en perspectives pour franchir les espaces célestes. Echos, réverbérations, pulsations et vibrations nous traversent et bouleversent.Les résonances opèrent les prolongations et étirements sonores.Moteurs, coupez! La prise est bonne au final. Vrombissements de décollage aérien d'une fusée spatiale, démarrage de moteur aérodynamique comme dans un registre de futurisme italien à la Marinetti...Ou la danseuse aérodynamique féministe,Valentine de Saint Point en poupe!Spirales, éoliennes, pales, élises, turbines et ventilateurs en évocation iconique de toute beauté. Du tarmac, l'envolée, échappée belle n'est pas terminée: ce voyage de fiction musicale planétaire est un bijou, un travail d'orfèvre inédit. Les vibrations intenses qui nous ébranlent, la tectonique des masses sonores secouent et place à un silence religieux à l'issue de cet épilogue.

Karlheinz Stockhausen, SIRIUS, Version automne (1975/77)


direction artistique | Suzanne Stephens-Janning
son | Kathinka Pasveer

soprano | Sophia Körber
basse | Damien Pass
clarinette basse | Johanna Stephens-Janning
trompette | Paul Hübner

Au Palais des Fêtes le 28 Septembre dans le cadre du festival MUSICA



samedi 28 septembre 2024

"La Prédiction des oscillations"  Benjamin Dupé  | Daniele Schön: chats et souris de laboratoire musical !

 


CONCERT-EXPÉRIENCE

 « Derrière l’oreille se cache le cerveau. » Transposés du laboratoire à la salle de concert avec la complicité du compositeur Benjamin Dupé, les hypothèses et protocoles du chercheur en neurosciences Daniele Schön prennent la forme d’un récital scientifique.

Quel est l’équivalent sonore des illusions visuelles du lapin/canard ou de la vieille femme et la jeune femme qui font étrangement osciller notre perception ? Comment notre écoute prédit-elle autant qu’elle ressent la musique et contribue ainsi à la créer dans nos esprits ? À travers ce concert-expérience, c’est le processus de création artistique lui-même qui s’envisage comme possible reset de nos codages perceptifs et prédictifs.

La salle de la Pokop est emplie d'un silence religieux: on y chuchote et murmure avant l'arrivée tant attendue de deux grands savants.En prologue, des cartons-vidéo nous informe de l"événement et nous compte ce qu'il va advenir. Placent aux artisans de cette conférence étrange et décalée.  En quatre chapitres voici "l'histoire de métaphores cérébrales" et autres sujets sur les neurones et la perception de la musique. Il est aussi violoncelliste notre conférencier ce qui peut arranger les choses, face à son partenaire, aux consoles informatiques. Que le cerveau aime la matière liquide, la reproduction mimétique des sons et attitudes, le savions-nous déjà? Pas encore car cette "histoire" de la perception, de la "mécanique" de l' électrique au "calcul en réseau","ce n'est pas comme ça que ça marche", "désolé", en leitmotiv récurent. 


Des expériences tangibles, on en fait, nous le public, en compagnie de nos deux professeurs Tournesol ou Boris Vian dans "la java des bombes atomiques". Expérience sur le rythme, les couleurs, les sons et frappements de mains, gérés par des métronomes et autres accessoires de circonstance. Sur la paillasse sonore de ce laboratoire expérimental, c'est la décontraction, la bonhommie et le sérieux qui règnent. Le violoncelle s'est tu devant cette démo sur la transmission générationnelle, sorte de jeu de mémoire rythmique bien convaincant. Nous sommes un public déjà "éclairé" et fort "doué"! C'est "la tache de stroop" qui va faire mouche et épater et conclure avec la théorie très imagée des avalanches (prenez du sucre, faites une pyramide et regardez où cela s'effondre..).Belle entrée en matière dans la science musicale pour néophytes désireux d'en savoir plus et surtout d'être souris de laboratoire si inventif. On savait déjà que "les oreilles n'ont pas de paupière", on peur aujourd'hui ne pas avoir "la haine de la musique" mais le culot de l'expérimentation neurologique.

conception, musique, dramaturgie et mise en scène | Benjamin Dupé
chercheur associé à la création et performance | Daniele Schön
son et direction technique | Julien Frénois
lumières | N.N. 

A la Pokop le 28 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"All right. Good night". Helgard Haug & Rimini Protokoll | Barbara Morgenstern: sur le tarmac, ça ne décolle pas...

 


THÉÂTRE MUSICAL

 Une pièce sur la disparition et la perte.
« All right. Good night. » Tels auraient été les derniers mots du pilote du vol MH370 de la Malaysia Airlines avant que l’avion ne disparaisse des radars, le 8 mars 2014.


Au même moment, Helgard Haug, metteuse en scène du collectif Rimini Protokoll, voyait son propre père gagné progressivement par la sénilité. De cette coïncidence entre l’un des plus grands mystères de l’aviation civile, désormais devenu un fait d’histoire mondiale, et son expérience personnelle, elle bâtit la dramaturgie d’une pièce sur la perte et la disparition dans laquelle la musique — portée par l’ensemble berlinois Zafraan — s’avère être le meilleur moyen de rendre sensible l’envol définitif des mémoires.
 
 

En prologue sept personnages sur le plateau semblent attendre l'embarquement de leur avion dans un aéroport virtuel. Attente de ce qui sera la fatalité: en vol, l'avion va se scratcher...Les cinq musiciens s'emparent alors de l'action, instants mémoire de l'accident fatal et irrémédiable.  En saynètes et tableaux changeant, voici une trajectoire singulière, du hall, au tarmac, en passant par la plage ensablée des souvenirs heureux. Entre inquiétude, indifférence, désenchantement et fatalité, la pièce oscille et la mise en scène linéaire flotte lentement dans une nostalgie fataliste. Le xylophone tente d'entayer kla monotonie du souvenir et de dépasser l'angoisse de la perte. Le sable, délivré par deux brouettes laborieuses recouvre à paine la tristesse et le repentir de tout accident dont on se sent quelque part coupable. Des personnages, instrumentistes se profilent alors que deux comédiens ravivent l'esprit narratif des bandes qui défilent et plombent un texte banal et peu impliquant. Les images de la mer tranquille, insouciantes pour se refaire une virginité dans cette terrible épopée . La carcasse du boeing comme une baleine échouée pour scénographie d'arte povera.Carlingue, débris et bribes de musiques à l'appui. C'est un peu catastrophiste sans toucher ni remuer profondément. Pourtant, la mort, le deuil sont d'actualité...Rimini Protokoll peut mieux faire...Barbara Morgenstern et Helgard Haug ne parviennent pas à ébranler les interprètes qui restent en demi-teinte.

 Au Maillon dans le cadre du festival MUSICAle 267 Septembte

"The Source" Ted Hearne | Daniel Fish: une OPA qui fuite et fugue énormément.

 


ORATORIO CONTEMPORAIN
 Après Place en 2023, Musica invite à nouveau Ted Hearne pour la première française d’un autre oratorio : The Source.


La pièce répond de la même écriture musicale inclusive, additionnant voix singulières, récitatifs auto-tunés, balades néo-soul, section rythmique pop et cordes contemporaines, le tout mis en scène par Daniel Fish dans un dispositif vidéo quadri-frontal. 


Son sujet est Chelsea Manning qui, en 2010, fit fuiter plusieurs centaines de milliers de rapports classifiés de l’armée américaine sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan et contribua ainsi à révéler la conduite militaire des États-Unis et les exactions commises envers les populations.
 
 

Entouré de quatre écrans géants, le public est au coeur de l'action. Dans le bain, d'emblée comme ces visages qui semblent scruter l'espace, s'interrogeant ou surveillant des allées et venues. Visages surdimensionnés qui vont peu à peu s'additionner par double. Face à face, ils nous toisent, voient au delà de notre pré carré. Histoire de nous impliquer aussi dans cette narration singulière. De façon frontale se dissimule "l'orchestre" caché derrière un rideau semi opaque. Les corps et instruments se révèlent selon la lumière, surimpression ou dissimulation. Superposition qui occulte une vision nette. La situation est tendue tout du long, la musique, présente et fébrile opère côté fracas, destruction, déflagration. Le spectacle est total: immergé dans les quatre coins de l'image, au coeur du processus de fabrication on est concerné, impacté, visé. Comme ces balles qui tuent en film témoin et acteur en  direct des horreurs des snipers et autres assassins de circonstance guerrières. Les affrontements font rage, alors que les visages surdimensionnés sont à peine touchés. Ils observent, impuissants la terreur du monde belligérant et impulsif, déraisonné et assassin.Une ode, un oratorio pour la paix, la grande, la belle odalisque déboulonnée de son socle... Les voix en proximité comme des chants de sirène désabusés.On retrouve Eliza Bagg, derrière soi, avec émotion. 

« Quelle musique n’est pas politique ? » Découvrez le parcours de Ted Hearne, compositeur, chanteur et chef d’orchestre américain, retracé par le philosophe Lambert Dousson. Sous l’angle de l’hybridation des genres et des langages musicaux, il éclaire les liens entre écriture musicale et pensée politique chez le compositeur étasunien.

 Au Maillon le 26 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 27 septembre 2024

Rencontre avec Christian Marclay: les partitions graphiques...aux sons "trouvés".Un instigateur des sons incongus.

 


Conférence

Un temps d’échange avec le musicien, compositeur et artiste plasticien Christian Marclay qui crée notamment, depuis les années 1990, des « partitions graphiques » défiant les conventions de la composition musicale traditionnelle. Rencontre d'exception avec un "instigateur" et non un "compositeur. Marclay se réclame modestement d'être un expert en trouvailles sonores, fruits de recherches, de découvertes et de rencontres avec les objets. Ne sachant ni lire ni écrire la musique, le voici libre de composer à son gré de l'impromptu, du burlesque, de l'humour des notes. La musique possède un statu d'objet d'où l'on peut transformer, transposer les sonorités. Avec du "rien", sur place, in situ! La musique reste "concrète" physique et instrumentale. Sans amplification, tactile, perceptible, banale, triviale. Transformer des sons en notes, voici le pari réussi mais pas gagné pour les musiciens interprètes de sa dernière oeuvre jouée à MUSICA. Du plaisir avant tout dans l’exécution de cette pièce sans pièges. Le triangle chef, auteur et interprète reste essentiel dans le bonheur du compagnonnage. Les coutures, les superpositions de "Constellation" sont proches de ses collages, assemblages fortuits, spontanés avec pour une fois une partition "écrite". Toujours "en mouvement" ce créateur iconoclaste est en quête de métaphysique. La Physicalité brève et éphémère des objets le hante, le préoccupe et l'inspire toujours.Les disques, sillons et autres modes de reproduction figent le son, l'informatique sur ordinateur est sans présence tangible. Une pochette de disque est manipulable: l'image et le son le deviennent, palpables, concrets. On commercialise la musique trop souvent! La musique est sociale, éphémère, vivante.Et ça fait "crac, boom, hu"!


Le souvenir unique d'une représentation comme celle à ST Paul est remarquable, singulière. Un souvenir différent pour chaque auditeur à l'écoute du présent. Pas de reprise ni de répétition possible dans une performance. Le "live" est aléatoire et riche de tension: c'est un événement qui va vers la désacralisation de l'instrument qu'on ne saurait pas jouer par ignorance. Son oeuvre est inclassable et les onomatopées de ses partitions faites de bulles de BD font figure de légende. Entre images et mots, la narration devient rythme et musique selon celui qui s'en empare. Le "Grand Verre" de Marcel Duchamp comme emblème de sa créativité, archéologie du futur musical accessible à tous ceux qui voudraient bien s'avouer et se reconnaitre à travers sa démarche généreuse, ouverte à tous les possibles.Une belle conversation entre l'artiste, Stéphane Roth introduite par l'enthousiasme de Anna Millers complice de l'exposition "mode d'emploi". Suivez les guides!

 


Dans le cadre du festival Musica. à l'auditorium de MAMCS

Le 27 septembre 2024 : 14h30

 

Some notes on martian sonic aesthetics vols. I & II (2034-2051): jennifer walshe cosmique!


 PERFORMANCE

Coloniser l’espace, une utopie délirante ? Jennifer Walshe expose les archives futuristes d’une politique extraplanétaire martienne.


Quand Stockhausen disait avoir été formé sur Sirius et qu’il y retournerait à sa mort, tout le monde le pensait devenu fou. Aujourd’hui, à entendre les propos d’un Elon Musk, peut-être faudrait-il y croire. Les contrées extra-planétaires seront-elles notre dernier refuge lorsque la planète et ses ressources naturelles auront été anéanties ? D’où viennent et où nous mènent ces politiques et ces esthétiques visionnaires ? Jennifer Walshe a décidé de mener l’enquête. En parcourant les témoignages et la documentation scientifique, et au moyen de l’intelligence artificielle et de diverses prémonitions musicales, elle nous guide sur la planète rouge. « Le futur n’est plus ce qu’il était. »



conception, musique, performance | Jennifer Walshe
saxophone | Nick Roth
percussions | Vanessa Porter
électronique | Lee Patterson

A la salle de la bourse dans le cadre du festival MUSICA

Christian Marclay + Genevieve Murphy et Onceim : sculpter l'espace sonore de respirations marines.

 


La rétrospective que lui consacrait le Centre Pompidou à Paris en 2022-2023 montrait à quel point Christian Marclay avait « sculpté » de nombreux aspects de la vie musicale : phonographie détournée, partition ready-made, performance orchestrée, lutherie excentrique.


Pour la première fois, dans la continuité de sa série Found in, il transpose la tactique de l’objet trouvé à l’orchestre avec l’Onceim. C’est également sur cette collectivité hétéroclite de musicien·nes issu·es de tous les horizons musicaux que s’appuie Genevieve Murphy dans sa recherche poétique sur la perception individuelle au sein du collectif, ici incarnée par la relation entre l’ensemble et sa cornemuse des Highlands.



Christian Marclay
, Constellation (2024 - création française)

Dans l'Eglise ST Paul c'est l"effervescence d'un grand soir: Christian Marclay va poser son opus dans le choeur, éclairé de ses ogives pour inonder de sons tout l'ensemble de l'espace. Cela débute par de longues mélopées des archets frottant à l'unisson les cordes comme un son de toile froissée, une profonde respiration collective. Tous les instruments se mobilisent après ce prologue touchant: les vents menacent, s'ébranlent, graves et le piano se distingue parmi cette masse sonore ascendante. L'ambiance est au suspens comme une musique de film foisonnante, une chevauchée, des paysages défilant, très cinématographiques. Petite symphonique englobant un accordéon discret, une fusion des sons délicate et opérationnelle.


Différents registres, festifs, entrainant nous propulse dans un western curieux où la dramaturgie grondante et montante délivre un solo de saxophone radieux. Brillant, hors de la masse sonore comme un bouchon flottant à la surface du son. Grondements inquiétants, menaçants de décollage d'avion ou de guerre déclarée ouverte. Avalanche envahissante, remous, danger à l'horizon se profilent. Le déraillement du saxophone comme un appel s'emballant, vibrant, fébrile, affolé. L'accalmie s'impose après la bataille, l'insurrection volubile de l'ensemble. La reprise des soupirs comme flux et reflux maritime. Sirènes d'un port lointain? Des jaillissements prolixes comme des images cinématographiques déferlent à vive allure comme des personnages, instruments d'un synopsis sonore édifiant. Ils défilent sur l'écran virtuel de notre imaginaire. Péplum panoramique, diorama fantasque de l'imagination fertile du compositeur iconoclaste. Très décomposée, en miettes, en touches pointillistes et fractures tectoniques diverses, l'opus se déroule sans faille de toutes pièces. Fractures, éparpillements en éclaboussures des sons, disséminés. Au loin, la mer murmure, se retire à marée basse démontée. Silences. Derniers souffles d'écume, apnée, expiration: dernière respiration collective infime, souffle final de cette oeuvre cathartique de toute beauté: dans une dynamique et une énergie portée par l'ensemble qui baigne dans ce vaste océan tumultueux.



Genevieve Murphy
, Together We Feel and Alone We Experience (2024 - création française)

En prologue, introduction, une cornemuse s'amuse à donner le ton: souffle et retenue pour inaugurer une pièce magistrale. Une guitare réverbère le son, isolée et donne la réplique pour un duo inattendu.Sonorités spatiales épurées, conjuguées. Les frottements des archets sur les cordes comme bordure similaires à celles de Marclay! Des respirations fortes et rapides, très organiques sourdent des corps des instruments à cordes.Corps à corps, accords et raccords singuliers. Les poumons de l'accordéon, cage thoracique pour l'occasion de cette musique clinique. Respires! Des caresses sur  les violons par des archets amoureux. Le micro-souffle des vents faisant le reste pour instaurer une sensualité divine. De longues tenues dans la durée pour les vents, pause discrète qui s'étire et allonge le son. Un grand calme le long d'une côte marine. Un solo de guitare insolite vient ébranler l'architecture de la composition, insolite.


Des clarinettes élèvent leurs squelettes pour mieux expirer, aux cieux. Tous contribuent à cette atmosphère curieuse, crissante, aiguë, stridente. Un solo de violon immerge, quasi médiéval après cette belle cacophonie déstructurée. Générale et chaotique en diable. 


Une mélodie contraste, agréable surprise, bordée d'accordéon magnifique, nostalgique, à part. L'ensemble revêt. un caractère merveilleux, princier, noble et respectable. L'amplitude et le gonflement du son en tempête assourdissant fait le reste de tectonique tonitruante.Et la respiration fondamentale de vie ressurgit comme une lecture anatomique de la musique vivante.Organique et pulsatrice. Menaces d'avalanches ou d'orage à nouveaux se profilent: la météo musicale est bonne! Encore un décollage symptomatique du tarmac, un cyclone, raz de marée, un océan intranquille:dans les remous et vibrations.Vols de nuit en guerre aérienne. 


La cornemuse fétiche et la batterie seront les notes d'épilogue de cette traversée maritime de grande envergure.

A l'église ST Paul le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


Onceim
direction musicale et artistique | Frédéric Blondy

jeudi 26 septembre 2024

"mode d’emploi"  et le Scratch Orchestra Strasbourg: vernissage "protocolaire" et délivrance des secrets de fabrication d'une oeuvre. !


 VERNISSAGE-PERFORMANCE
exposition mode d’emploi

Le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg consacre une grande exposition aux œuvres à protocole des années 1960 à nos jours.

Les œuvres à protocole prennent la forme d’une instruction de l’artiste — écrite, orale ou graphique — pouvant être réalisée (potentiellement) par quiconque. Cette conception de l’art dont on trouve notamment les prémisses chez Marcel Duchamp et László Moholy-Nagy a fortement irrigué la musique contemporaine, de John Cage à Cornelius Cardew ou Pauline Oliveros, de Christian Marclay à Jennifer Walshe. Musica s’associe au MAMCS autour de la section musicale de l’exposition et à travers un concert-performance lors du vernissage.

La vie, mode d'emploi selon Perec: ici c'est plutôt "l'oeuvre, mode d'emploi"!

Alors en avant la musique pour fêter l'absence de protocole de vernissage "officiel" des commissaires et instigateurs d'exposition. On retrouve avec plaisir les artistes en herbe du Scratch Orchestra pour une déambulation percussive à coup de petits cailloux entre les mains des musiciens qui percutent à l'envi dans les salles du musée résonantes: celle de Gustave Doré s'avère fort réverbérante. Sur les cursives de la nef, trois chanteurs angéliques, lointains succèdent à une performance édifiante d'une percussionniste étrange de plain pied au coeur de la nef du musée.. Le gong qu'elle frappe de plus en plus intensément prend des proportions inquiétantes et magnétiques. Jambes rivées au sol, pliées, elle rend le son puissant et proche en résonance pertinentes.Au tour du groupe de performeurs de s'adonner à des jeux sonores inénarrables, assis à terre comme des enfants, jouant et souriants. Leurs instruments ne sont autres que jouets, accessoires désopilants et venus des tiroirs secrets de l'enfance. Ce joyeux parterre amuse et use de ses charmes pour enchanter le public, nombreux, réunis autour d'eux. Cacophonie ascendante et drôlatique pour instruments détournés de leur fonction premières: billes, peluches, hochets, tous de vives couleurs, de métal ou de plastique: une caverne d'Ali Baba, un étal sonore, une boutique chamarrée, colorée, amusante et bien achalandée. Que voici une formule sympathique, engageante et participative, originale pour vernir une exposition de grande qualité: "mode d'emploi" dont les commissaires, chercheurs et organisateurs nous expliquent les règles du jeu en une conférence-rencontre animée. Le "protocole" au coeur du sujet ou les tribulations des monteurs d'expositions actuelles ou "le mode d'emploi" fait se déployer les imaginations, les compétences et les savoir-faire! Une visite "éclair" de l'exposition permet encore de rencontrer musiciens et scratcheur au coeur des salles qu veulent bien délivrer les secrets de fabrication des oeuvres exposées. A suivre...

Avec des pièces de Pauline Oliveros, Takehisa Kosugi, James Tenney, Carol Finer et Cornelius Cardew.

Dans le cadre du festival MUSICA le 26 Septembre

Exposition du 27 sept 2024 au 1er juin 2025


commissariat Philippe Bettinelli, Anna Millers
conseiller Matthieu Saladin

"Patterns for auto-tuned voices and delay": Lisel, seule et avec d'autres espaces

 


Souvent présente auprès de Ted Hearne ou au sein du groupe vocal Roomful of Teeth, également interprète de Meredith Monk ou John Zorn, Lisel (aka Eliza Bagg) développe sa propre pratique expérimentale en unissant voix et électronique.


Dans Patterns for auto-tuned voices and delay, son dernier album paru en 2023, elle projette une grammaire ancienne issue du chant médiéval et de la Renaissance dans un univers minimaliste et ambient, mettant à profit différents effets de transformation vocale (auto-tune, delay, synthèse granulaire) pour atteindre de nouvelles qualités expressives. Une polyphonie solitaire à l’ère de la multiplicité dans l’un.


Seule, robe bleue bouffante, longue chevelure nouée, Lisel prend le plateau, simple, modeste, discrète. La voix se délivre créant des atmosphère monacales de toute beauté Elle crée des espaces sonores virtuel, en 3 D musical qui nous projettent ailleurs.Cosmique ambiance à partir de peu de choses. La pureté de sa voix au timbre chaleureux, angélique propulse dans une atmosphère parfois douce et enveloppante, parfois tonique et virulente. La tessiture de bronze, de beaux graves eb sus et le tour de charme est joué. Dans son ample robe, assise, à genoux elle délivre une âme, telle la muse Echo qui réverbère le son et disparait, désincarnée au lointain. Laissant traces et signes de son passage dans les vibrations et fréquences de sons. Sons fabriqués, prolongés à partir d'une matière vivante et acoustique de cordes vocales bien tendues! Les morceaux s'enchainent dans une logique et fluidité irréprochable. On navigue en poupe sur ce navire à effets vocaux multiples où l'on change de cap à l'envi. Du souffle, de la densité dans sa texture vocale qui se joue des obstacles comme un jeu où les indications et directives seraient à choisir et inventer. Des effets vocaux sidérants sourdent de la machine autant que du corps de l'interprète. Le timbre toujours amplifié, validé et tamponné par la grâce des évolutions de l'artiste, micro en main, regard au lointain. Son "répertoire" indisciplinaire multiforme et polyphonique faisant le reste. Un pur moment de bonheur et d'écoute active, secoué par les ondes sismiques des fréquences vocales inédites.Des voix dévoyées sorties du tunnel.

A la salle de la bourse le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA