mercredi 15 octobre 2025

Marco D’Agostin "Astéroïde" : Tyrannosaurus Rex paléontologue hémérite.


 Pourquoi, dans une comédie musicale, tout le monde se met-il soudain à chanter et à danser ? Ce genre, à la fois populaire et artificiel, révèle une tension entre spontanéité et mise en scène, entre sincérité et spectacle. Dans son nouveau solo Astéroïde, Marco D’Agostin, chorégraphe et interprète italien, interroge cette mécanique avec autant de profondeur que de décalage. Il imagine un artiste venu parler de la chute d’un astéroïde sur Terre. Mais peu à peu, une force étrange s’empare de lui : le mouvement déborde la parole, la voix se désynchronise, le corps dérive. Le spectacle glisse vers un show à la Broadway, avec ses séductions et ses pièges. Faut-il résister ou céder à l’appel irrésistible de la scène ? Déjà accueilli à POLE-SUD avec Best Regards (2021) et Gli anni (2022), Marco D’Agostin poursuit ici son exploration d’un théâtre chorégraphique où le récit se heurte au désir de performance. Quelle forme peut naître de cette collision entre langage, corps et divertissement ?


Italie Solo 2025 


 On le croirait plutôt sorti d'un western, ce performeur soliste tout de beige vêtu, sorte de costume de safari, chapeau de cowboy en tête de gondole, énorme sac à dos sur les épaules: étrange architecture portable carrée pouvant contenir on ne sait quoi, de formes angulaires. Le mystère règne sur ce curieux personnage qui à lui seul va tenir le plateau devant nos yeux intrigués et curieux. Il se présente dans une langue très française ourlée d'un accent tonique qui fait dresser l’intérêt sur le contenu de ses paroles. Plutôt récit, narration que discours sur le métier de paléontologue de l'impossible. Chercheur en diable d'un lexique verbal et bientôt chorégraphique car à la manière d'un Fred Astaire, il bascule d'un mouvement du quotidien à une esquisse dansée foudroyante. Comme le disait Bernard Rémy éminent philosophe de l'image à la Cinémathèque de la Danse, il glisse d'un registre à l'autre pour subitement danser comme un rapeur, un hip-hopeur folklorique, psychédélique: le groupe T.Rex en figure de proue pour ce paléontologue fantoche de pacotille. Les fossiles gestuels sont primaires et de bon aloi pour ce pourfendeur de la science de l'origine de l'humanité. Nous voici donc dans la galerie de l'évolution au jardin des plantes pour façonner un récit, une histoire d'asréroide guidée par la mémoire d'un savant fou encore sage.Le look évoquant toujours ce pionnier du far ouest venu d'ailleurs. Serait-ce la figure réincarnée de Mary Anning, inventeur de la science des fossiles au XIX siècle? Comédie de la vie sur un ton débonnaire, relâché mais dont les tracés choré-graphiques sont stricts et déterminés, tirés au cordeau comme les structures spatiales d'un genre qu'il tente de dévoiler: la comédie musicale. Celle ci attendra son apogée lors d'un solo en costume pailleté sur fond de cercle de lumière, projecteur focalisant son corps dansant, hachuré par une gestuelle tectonique savante et préméditée.La danse en filigrane du discours, rythmé et captivant. Quand il confie à une partenaire complice en salle, la lecture d'un grimoire scintifique, c'est pour mieux déboussoler et désorienter le public, conquis et fan de ses chansons et de sa voix profonde de chanteur de bel canto , beau chant au timbre et tessiture country!Des ossements, crânes et trophées de Dinosaures pour partenaires de plateau, comme second exosquelette patrimonial d'un héritage bizarre. Et quand la débâcle surgit en ribambelle de projecteurs éblouissants, c'est une curieuse bestiole à six pattes, sabots et platitude arachnéenne qui fait place au corps de l'artiste. Bête de scène manipulée à distance, robot esquissant des pas de danse dans des lumières alléchées.Quel beau voyage sidéral et cosmique pour cet opus singulier, animé par un manipulateur-manipulé digne d'un film burlesque, ou conférence désarticulée, gesticulée à souhait, enthousiasmante à perdre haleine. Ovations d'un public jeune adepte d'histoires de science friction inédite. Un musée zoologique bien vivant aux dioramas comme un décor de camping pique nique de savane plutôt que de lido ou crazy horse, de folies bergères à la Broadway. Cosmic Dancer de t.rex à volonté!.

 

A Pole Sud les 14 et 15 Octobre

samedi 11 octobre 2025

"Prendre soin" d' Alexander Zeldin: grand ménage et coup de balai sur les misérables: l'abattoir ou la bête humaine?

 


Des hommes et des femmes de ménage intérimaires se retrouvent, chaque nuit, dans une boucherie industrielle. Entre les mailles de la précarité, elles et ils déjouent l’aliénation par des actes ordinaires : prendre un café, bavarder, lire des magazines. Le cycle se répète, sans s’écarter du cours normal des choses, jusqu’au point de bascule où ces êtres isolés se rapprochent — trop vite. Avec une sincérité brute et un humour noir, Alexander Zeldin nous raconte les histoires d’une classe invisible dans le premier volet de sa trilogie des Inégalités. Montrant la capacité des gens fragilisés par leurs conditions de travail à trouver le bonheur dans une situation extrême, l’auteur et metteur en scène britannique évoque les premiers moments du désir, de l’amitié et de la solidarité. 

Scène de ménage et balai brosse décapants à souhait

Quand le théâtre s'immisce dans la vie sociale, tente de la reproduire, il transcende sa vocation et fait ici galerie de portraits sidérante d'une "classe defavorisee" décadente, stérile, bafouée jusqu'au misérabilisme. C'est une cireyse,broyeuse, une "bête", machine à nettoyer le sol qui fait la sélection irrévocable d'un casting d'embauche pour des postes de techniciens de surface -de réparation- dans une usine , boucherie industrielle où règnent bourreau et victimes. Dans un décor d'un réalisme troublant, cinq personnages vont prendre la scène et incarner cet abatage social sans concession ni détour. Esther, handicapée, Juliette Speck, soumise victime du  déterminisme et de sa résignation est convaincante, Louisa, Lamya Regragui,la rebelle qui s'insurge contre le sort fait aux démunis, Susanne, Charline Paul,docile victime d'un système qui broie et détruit les âmes sensibles et coupables. Enfin Philippe, Patrick d'Assumçao,le complice collaborateur de cette tribu incertaine, fidèle intérimaire de service qui fléchit, approuve et épouse sa condition, obéissant à ce Nassim, Nabil Berrehil, petit chef de service, tyran ou bourreau à la solde d'un patron fantôme. Le sort de cette famille improbable , travailleurs nocturnes de l'ombre, s'aggrave, s'assombrit de scènes en scènes et propulse une intrigue esquissée, discrète sans coup de théâtre apparent.Tous simulent parfois l'entraide, la solidarité, le partage d'un sort déterminé par l'appartenance à une "classe défavorisée" qui sombre dans la précarité, le vol, le tragique d"une condition fatale. Comment s'en sortir quand on n'en ni les moyens ni les codes? Un survol décapant pour ces scènes de ménage où Monsieur Propre et Madame Denis font la loi , où la cupidité lave plus blanc, où les tâches sont dégradantes. L'humiliation et la déconsidération de ce petit personnel, technicien de surface, nettoyeur de chair saignante est reine et bafoue, oppresse sans cesse. La mise en scène de ces reliefs de vie est franche, nette et la corporalité du jeu des acteurs, soulignée par le travail de Kenza Berrada est convaincante. Les traces et empreintes de son travail auprès des chorégraphes Elsa Wolliaston, Annabelle Chambon et Cédric Charron font irruption dans l'interprétation très physique et mimétique des personnages: le handicap et la soumission d'Esther, la fragilité de la docile et pourtant charmante et dansante Susanne...Tout un panel d'interprétation humaine, vériste et réaliste de cette pièce signée Alexander Zeldin, observateur, au crible de la condition humaine. L'abattoir ou la bête humaine en filigrane pour ce naturalisme sombre et fascinant.Pas de quartier ni de morceau de bravoure dans cette boucherie sociale où chacun veut tirer son épingle du jeu en piétinant l'autre, en abusant de situation désespérée qui condamne chacun à prendre soin d'un lieu emblématique du sacrifice. Sacrifice de l'être humain au profit de la rentabilité, de l'exploitation, du mépris , du déshonneur et de la déconsidération. Chacun pour soi dans ce décor très cinématographique où les machines dévorent l'homme et le rendent esclave consentant du profit. Prendre soin, de qui? De soi, de l'autre malgré la misère et la fatalité? Soin du mécanisme et de la mécanisation de l'organisation sociale qui empêche les relations et les réduisent à un amas de chair déchiquetée de viande de mauvaise qualité pour des produits bon marché..De quoi réviser notre regard sur ce petit peuple opprimé, pourtant plein de poésie autant que de cruauté. Au pays du travail, martyr incarné, les victimes sont au ban de la société. Même la marionnette de service à la solde du patronat devra se coltiner le boulot dégradant pour survivre...


Texte et mise en scène] Alexander Zeldin
[Avec] Patrick d’Assumçao - Philippe, Nabil Berrehil - Nassim, Charline Paul - Susanne, Lamya Regragui - Louisa, Bilal Slimani - Mahir, Juliette Speck - Esther

[Collaboration à la mise en scène] Kenza Berrada
[Scénographie et costumes] Natasha Jenkins
[Assistanat aux costumes] Gaïssiry Sall
[Lumière] Marc Williams
[Son] Josh Grigg

Pour référence au monde du travail, l'ouvrage et la pièce de théâtre qui magnifie ces petites mains et les fait danser devant l'objectif: un corps de balais pour balletomane prolétaire!

 https://genevieve-charras.blogspot.com/2014/11/corps-de-balais.html


 
Au TNS jusqu'au 17 Octobre

lundi 6 octobre 2025

DANCE MARATHON EXPRESS: quand la musique est bonne! Kaori Ito made in japan...Toilet paper..à la Catelan..

 


Kaori Ito TJP – CDN de Strasbourg Grand Est & KAAT Kanagawa arts theater 

Au Japon, les onomatopées sont perçues comme un langage primitif. Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent le son des choses avant de pouvoir les nommer. Ainsi disent-ils « Pota Pota » pour désigner des gouttes de pluie, ou bien « Shin Shin » pour imiter le crissement de leurs pas sur la neige.

Dans cette pièce de théâtre musical, Kaori Ito nous révèle des facettes insoupçonnées de son pays natal. Elle s’empare du récit poétique Les pieds nus de lumières de Kenji Miyazawa, riche en onomatopées, pour évoquer l’amour fraternel et le sacrifice.

Sur scène, huit interprètes extravagant·es participent à un véritable marathon de danse. À leurs côtés, nous remontons le temps et l’histoire de la discographie japonaise, de la pop contemporaine des années 2000 jusqu’aux années 30, en passant par la City pop des eighties et le boogie-woogie d’après-guerre. Au fil de leurs chorégraphies, iels sont tour à tour élu·es puis exclu·es avant de basculer dans un paysage enneigé.

Là, la famille du petit Narao, bien trop pauvre pour nourrir tout le monde, choisit de le sacrifier. Car, au Pays du Soleil-Levant, mieux vaut mourir que se sentir inutile. Soutenu par son frère, Narao fait face à l’inéluctable. Mais derrière ce geste, il n’y a pas une, mais bien deux victimes : il y a celui qui part et celui qui reste, celui qui décède et celui qui porte le deuil. Un rite cruel interprété ici avec pudeur et émotion.


Quand la musique est bonne le plateau s'enflamme au TJP sur la grande scène et l'on y découvre des "tubes" japonais inconnus de notre culture européenne avec joie, curiosité et beaucoup d’intérêt. Pas ethnographique ni folklorique mais bien ancré dans un passé-présent et avenir, chronos en poupe pour redescendre le temps, de nos jours à 1930..Un voyage temporel vécu par de tous jeunes danseurs interprètes en majorité japonais mais aussi coréen, suisse. Mixage, alliance et alliage pour créer un univers, des époques bien campées dans des costumes de rigueur. Au départ, jupettes plissées et chemisiers, en passant par des justaucorps chatoyants, fluorescents, bigarrés, colorés comme cette jeunesse qui s'affole dans des danses de midinettes ou de claudettes japonaises. Danse tonique, joyeuse, flamboyante qui évoque des contenus douloureux autant que romantiques, passionnés autant que nostalgiques. Ceci dans une énergie contagieuse et bénéfique pour le plus grand plaisir de déguster un divertissement de grande qualité, une comédie musicale à la nippone qui décoiffe et rend attentif aux tenants et aboutissants de l'Histoire d'un peuple malmené. Victime ou sacrifié à travers le récit qui se dessine, parlé par les interprètes, bordé des interventions musicales de deux compères aux consoles.


Mais qui combat et se soulève, prône la paix lors de ce cercle très labanien où les danseurs tout en noir évoluent en ronde fédératrice et réconciliante. Un siège de toilette tout blanc, clinique à souhait recueille tel un trône, corps et pensées, trop plein et méditation avec un humour féroce bien décalé.Tel en mouvement le magazine Toilet paper de Mauricio Catelan. En filigrane, un récit qui va prend toute sa place, l'histoire de deux jeunes japonais en prise avec la réalité et sa cruauté. C'est seul sur le plateau, qu'un jeune homme déclame sa tristesse et son espoir. Tout bascule dans la chorégraphie tonitruante de Kaori Ito du désuet au dramatique au fil d'une trame chorégraphique dont la dramaturgie révèle chaos , gravité autant que joie et nonchalance. Ils sont pêchus, habités, athlétiques et performants, empruntant aux divers styles des poses et formes inspirées de capoeira, de danse disco, pop et autre jerk à la nipponne..Bel enchâssement de virevoltes pleines de sens et de conscience sur l'humanité en voie de reconstruction. La musique alliant corps, espace et histoire dans un seul élan: celui de l'originalité d'une tranche de vie méconnue et ainsi réhabilitée pour le plus grand bien de nos mémoires amnésiques.. Un sacre où les élus comme dans notre mythologie se sacrifient et parviennent à transcender la réalité pour basculer dans la légende. Du travail d'orfèvre pour passer à travers les mailles du temps et restituer une authenticité digne d'un cours d'histoire conférence gesticulée haut de gamme. Un marathon orient-express, fougueux, tonifiant et vecteur d'un idéal de combat vivifiant.



Née au Japon dans une famille d’artistes, Kaori Ito se forme très jeune à la danse classique puis à la modern dance avant de devenir interprète pour de grands chorégraphes européens comme Philippe Decouflé, Angelin Preljocaj, Sidi Larbi Cherkaoui et James Thierrée. Elle se lance dans l’écriture chorégraphique dès 2008 à la faveur de diverses commandes (Ballets C de la B, Ballet national du Chili…), dans le cadre de collaborations (avec Aurélien Bory, Denis Podalydès, Olivier Martin Salvan, Yoshi Oïda, Manolo) ou pour sa propre compagnie, Himé, qu’elle crée en 2015. Elle y développe un cycle de créations autobiographiques Je danse parce que je me méfie des mots
(avec son père – 2015), Embrase-Moi (avec son compagnon – 2017) et Robot, l’amour éternel (en solo – 2018). En 2018, Kaori Ito opère un retour à sa culture japonaise se sentant enfin autorisée à se l’approprier. En 2020, elle crée, à partir de lettres adressées aux morts, une pièce pour six interprètes, Chers, et une installation en collaboration avec Wajdi Mouawad et le Théâtre de la Colline, La Parole Nochère. En 2021, convaincue de la nécessité de faire entendre les enfants et leur créativité innée, Kaori Ito crée Le Monde à l’envers, son premier spectacle à destination du jeune public. En 2023, elle est nommée directrice du TJP – Centre Dramatique National de Strasbourg, pour développer un projet autour de la transversalité dans l’art, l’intergénérationnel et l’implication des enfants dans les processus de création. À son arrivée, elle crée Waré Mono, création à partir de 6 ans sur la réparation des blessures de l’enfance. Outre Moé Moé Boum Boum créé avec Juliette Steiner, elle présente, durant cette saison, une création franco-japonaise Dance Marathon Express sur l’exclusion et le sacrifice.


Au TJP jusqu'au 15 Octobtre 


samedi 4 octobre 2025

KKAARREENNIINNAA Charlemagne Palestine Oren Ambarchi Daniel O’Sullivan : indian meditation!

 


Last but not least, pour clore sa 43e édition, Musica invite une page d’histoire des musiques minimales et expérimentales en la personne de Charlemagne Palestine

Accompagné en trio d’Oren Ambarchi et Daniel O’Sullivan, il présente une nouvelle version de Karenina, une de ses œuvres-rituels légendaires. Composée à l’origine pour voix de fausset et harmonium, elle fait référence aux ragas hindoustanis comme à certains chants hébraïques. Un moment de méditation et d’introspection auditive dans un flux musical continu.

Et l'église de se délecter de sons tenus comme des drones voltigeants au dessus de nos têtes...Les musiciens font front, une petite valise ouverte débordant des peluches fétiches du plasticien, venu en bonne compagnie. Un trio soudé parfaitement "accordé" entre des sons électroniques, des voix enregistrées prolongées par celle du violoniste qui à l'aide de son "vrai" instrument rivalise avec les consoles branchées. Étrange formation presque bon-enfant qui déroule ses litanies, sorte de rituel, de petite cérémonie collective planante et sereine , jamais nostalgique dans ses sonorités répétitives et minimalistes. Une belle ambiance parmi le public allongé, méditatif et relax, abreuvé de musique cosmique, fluide et continuel. Hypnotique, saupoudré de teintes sonores colorées comme ces petits animaux en peluche, marottes du concert dans cette valise ouverte qui invite au voyage. Voyageurs non sans bagages comme ces spectateurs qui quittent la salle, coussins à la main, voguant vers d'autres rives... 

 
Charlemagne Palestine

Karenina (1997)

voix, électronique Charlemagne Palestine
guitare, électronique Oren Ambarchi
voix, alto, électronique Daniel O’Sullivan

A ST Paul le 4 Octobre dans le cadre du festival MUSICA 

jeudi 2 octobre 2025

"Último helecho": Nina Laisné François Chaignaud Nadia Larcher : un trio où chacun serait félin pour l'autre. Un humus sonore, terre de danse vocale.

 


Último helecho est un spectacle né de recherches de terrain sur des répertoires populaires et baroques en Amérique du Sud, notamment en Argentine. En compagnie de Nadia Larcher, figure des musiques folkloriques contemporaines argentines, et de six musicien·nes traditionnel·les, Nina Laisné et François Chaignaud poursuivent leur quête d’une performance dans laquelle les expressions vocales et chorégraphiques se tressent sans que jamais l’une ne domine l’autre. À travers des danses traditionnelles telles la zamba, la chacarera ou le huaynos, à travers les corps, les rythmes et des chants aux timbres androgynes transparaissent la culture et la mémoire des peuples opprimés par la colonisation. Un geste de reconnaissance et une célébration souterraine à la croisée des mythologies sud-américaines.

François Chaignaud surprend, dérange, se plait à décadrer, décaler les genres et les disciplines pour mieux cibler son propos:avec la complicité de Nina Laisné il navigue en eaux claires et donne à voir et à entendre une œuvre inouïe. Seul sur le plateau une créature de rêve se love, se meut délicieusement dans des atours fantastiques: faune ou héros d'un Shéhérazade revisité, le danseur fabuleux visite toutes les possibilités de jeu avec un bâton qu'il s"amuse à expérimenté le point de gravité ou d'ancrage au sol. Lente progression ludique d'une danse envoutante, hypnotique, alors que juchés sur un dispositif fascinant, grotte ou caverne étrange et diabolique,trois musiciens ne retiennent pas leur souffle dans des sacqueboutes longilignes. Torsions, grâce et vélocité remarquable émeuvent la danse de François Chaignaud, alors que près de lui, Nadia Larcher chante et nous berce dans des mélodies puisant aux racines lointaines, leur chant nostalgique ou enjoué. Du haut de cette vasque, sorte de fontaine de jouvence agrémentée d'une montée d'escalier en colimaçon, les musiciens, officiants tout de noir vêtus respirent des sonorités vibrantes , oscillantes accompagnant bandonéon et percussions à l'envi.

Les courbes du corps de Chaignaud virevoltent, se cabrent se délectent sensuellement de plaisir et d'audace. On songe à Nijinsky, androgyne créateur de mouvements rétractés, en dedans ou étirés gracieusement à l'extrême. Tous les deux chantent, martèlent le sol et font communion avec les interprètes de ces chants venus d'ailleurs. Les costumes sont ceux d'une galerie de l'Evolution, exosquelettes chatoyants, colonnes vertébrales tissées sur le flan, très seyants: quasi fantastiques, voisins de peau animale colorée, brillante.Les voix se fondent de concert, le décor magnifie une atmosphère sereine, martiale, magistrale icône enluminée chère à l'univers baroque de François Chaignaud. Et c'est flamenco détourné et claquettes fantaisistes qui animent le corps faunesque et félin du danseur: on songe à "Mirlitons" son duo rageur et ravageur où il expérimente bonds, sauts frappes des pieds et pointes flamenco dans une savante chorégraphie. Un peu de tauromachie dans un jeu d'esquive esquissé avec une bribe de foulard flambant et le tour est joué.

 

Des tuniques orangées, votives et sacrées leur sont offertes, chasubles de cérémonie, de messe pour ces chansons de gestes savantes et l'office se continue précieux, savant, aux gestes millimétrés.


Avec brio il arpente la scène, gainé de cuissardes ou guêtres dorées en porte jarretelles, coiffé de pouf ou de couronnes évoquant crêtes d'oiseau ou parures d’iroquois. Et chante de sa voix de contre ténor, épousant la voix chaleureuse et bariolée de Nadia Larcher. Le spectacle est onirique, flamboyant, remarquable bréviaire et codex dansé de toute beauté. La mise en scène et scénographie portent la signature d'une complice de presque toujours, Nina Laisné. "Ultimo helecho", "dernière fougère" serait-ce une ode à l'énergie fossile, à un herbier poussant en terre fertile dans le creuset d'alluvions, de tourbe salvatrice? Et cet humus se fait terre d'élection d"une danse fertile:« Si homme vient d'humus, détruire l'humus revient à perdre notre humanité. » Cette conviction, déjà défendue dans son roman Humus, Gaspard Kœnig pourrait s'y reconnaitre...

Último helecho (2025)

conception, scénographie, mise en scène Nina Laisné
chorégraphie, collaboration artistique François Chaignaud
conseil musical, collaboration artistique Nadia Larcher
chorégraphe associé Néstor « Pola » Pastorive

performance François Chaignaud, Nadia Larcher 

 sacqueboute ténor, serpent, flûte Rémi Lécorché

sacqueboute ténor Nicolas Vazquez
sacqueboute basse, wracapuco Cyril Bernhard, Joan Marín
bandonéon Jean-Baptiste Henry
théorbe, sachaguitarra Daniel Zapico
percussions traditionnelles Vanesa Garcia


Au Maillon jusqu'au 3 Octobre dans le cadre du festival MUSICA en partenariat avec ¨POLE SUD



mercredi 1 octobre 2025

Sonic Temple vol.7 : folken Sie mir Brìghde Chaimbeul Shovel Dance Collective France

 


Un envoûtant et résonant septième volume de Sonic Temple placé sous le signe des racines, des peuples et de l’amitié.

Une même philosophie réunit Brìghde Chaimbeul, Shovel Dance Collective et France : retrouver les musiques traditionnelles, les faire exister en abolissant les catégories, les situer non pas dans un passé nostalgique et perdu, mais ici et maintenant, entre le béton et la ferraille, puis amplifier cette mystérieuse vertu qu’elles possèdent de tisser le lien entre tout être et toute chose.

Brìghde Chaimbeul

Brìghde Chaimbeul ancre sa pratique dans les sillons profonds de la culture celtique. Née sur L’île de Skye en Écosse, elle s’est tout d’abord faite connaître dans le champ des musiques traditionnelles, avant de franchir les frontières de nouveaux territoires d’expérimentation. Elle conjugue aujourd’hui sa maîtrise de la cornemuse des Highlands, et surtout de la petite cornemuse écossaise (Scottish smallpipes) dont elle est spécialiste, avec ses intérêts pour la création musicale d’avant-garde et les musiques électroniques. Elle insuffle à ces instruments ancestraux une énergie vibrante, et loin des clichés, fait ressurgir leur puissance contemporaine.

 

Shovel Dance Collective

Shovel Dance Collective réunit neuf musicien·nes animé·es par une passion commune pour les musiques traditionnelles de Grande-Bretagne, d’Irlande et d’ailleurs. Leur “mud music” est une matière vivante : un mélange audacieux de chants anciens, d’improvisation libre, de textures sonores et de récits collectés sur le terrain. À travers une approche à la fois sensible et engagée, le collectif redonne voix aux luttes populaires, aux histoires effacées, aux gestes du quotidien. Leur musique, toujours en mouvement, célèbre la force du collectif et la puissance des traditions orales. Une expérience immersive, organique, où le passé et le présent s’entrelacent pour mieux faire vibrer l’instant.

 

France

“Le trio basse (Jérémie Sauvage), batterie (Mathieu Tilly) et vielle à roue électrifiée (Yann Gourdon, affilié au collectif de musiques traditionnelles radicalisées La Nòvia) donne à entendre très exactement ce qu'on peut attendre d'un morceau de France, un long bourdon rock saturé de vie et d’harmonies et rythmé de la plus martiale des façons, quelque part entre Faust ou AC/DC et une fête de village qui aurait tourné en transe chamanique au coin du feu.” (Olivier Lamm, Libération)

Distribution

Shovel Dance Collective

harmonica, cor, trombone Tom Hardiwick-Allan
voix, guitare, clarinette Mataio Austin Dean
voix, harmonium Nick Granata
guitare, banjo, violoncelle, percussions Daniel S. Evans
voix, hammered dulcimer, clarinette, percussions Joshua Barfoot
clarinette, low whistle, flûte Alex Mckenzie
violon Oliver Hamilton
harpe, low whistle Fidelma Hanrahan
banjo, shruti-box Jacken Elswyth

France

batterie Mathieu Tilly
basse Jeremie Sauvage
vielle à roue Yann Gourdon

cornemuse Brìghde Chaimbeul

 Temple neuf le 2 Octobre dans le cadre du festival MUSICA

mardi 30 septembre 2025

"Don’t leave the room" par l' Ensemble Nadar : chambre noire à part.

 


Le poème Ne sors pas de ta chambre de Joseph Brodsky, exhortation à l’action, est le point de départ de ce concert mis en scène de l’Ensemble Nadar sur la place de l’humain dans le monde d’aujourd’hui, entre censure, espoir, silence, survie.

La répression — violente, omniprésente, silencieuse — et la censure en Russie et en Iran forment le fil rouge de ce concert mis en scène de l’Ensemble Nadar dont la dramaturgie découle d’un poème et d’un film : Ne sors pas de ta chambre (1969) de l’auteur russe Joseph Brodsky et Le Chœur (1982), un court-métrage du réalisateur iranien Abbas Kiarostami. Le premier est mis en musique par le compositeur russe Alexander Khubeev en confiant le texte à une comédienne sourde l’exprimant en langue des signes russe, tandis que le second entre en résonance avec une création de la compositrice et cinéaste d’animation iranienne Golnaz Shariatzadeh. Ils dédient leurs œuvres et ce concert à leurs compatriotes en lutte contre les totalitarismes au péril de leur liberté et de leur vie.


Galina Ustvolskaya et Piano Sonata 6 (1988) ouvre le concert. Derrière un écran jonché de texte sur fond de portées musicales: fureur de la répétition de frappes fortes, brèves, soutenues par tous ses bras sur le clavier, la pianiste s'acharne à faire retentir des sons défectueux, rares et inédits. Puis dans de beaux contrastes, elle prend la douceur à bout de doigts et éteint les feux de son arrogance.

Suit de Golnaz Shariatzadeh Bluer Womb (2025) : dessins et figures de légendes pour illustrer sur grand écran la musique sous-jacente qui sourd des instruments derrière la toile tendue. A deux reprises les icônes enchantent et focalisent la lecture et l'écoute sur ses esquisses chatoyantes surdimensionnées. Un air de narration et de dramaturgie forts séduisant en découle naturellement.

Abbas Kiarostami et The Chorus (1982)  surprend dans la double lecture proposée: celle des images animées de cinéma doublées de par les sous titres décrivant les bruits, les sons des prises cinématographique. On suit une charrette au rythme endiablé, on découvre la texture des sons de la rue, des brouhahas.uperbe expérience pour l'auditeur-spectateur qui poursuit sa découverte de plein fouet.

Enfin Alexander Khubeev avec Don’t leave the room (2025) puis Silentium ! (2025)  offre un échantillon de ses talents de compositeur-narrateur.Silentium comme une fresque tissée des gestes du langage des signes de la comédienne, dédoublée simultanément à l'écran par son image démultipliée. La langue des signes comme chorégraphie musicale accompagnée par les musiciens, la bordant de leur présence incarnée de musique savante. 

Ensemble Nadar

performance Elena Evstratov
flûte Katrien Gaelens
clarinette Dries Tack
trombone Thomas Moore
violon Marieke Berendsen
violoncelle, direction artistique Pieter Matthynssens
e-guitare Nico Couck
piano Elisa Medinilla
percussions Yves Goemaere
direction artistique Stefan Prins
son Wannes Gonnissen

lumières, vidéo Steven Reymer
VGT Floor Vandevelde, Soetkin Bral

A la Cité de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival MUSICA le 30 Septembre