dimanche 31 octobre 2021

"Les ailes du désir": Ganz schön......Des anges passent, à l'envergure étrange, entre terre et éther. Terpsichore s'enivre et Berlin fait le mur!


"Sentinelles silencieuses et invisibles dans le gris du ciel, les anges veillent sur la vie des habitants de Berlin, à l’ombre d’un mur qui sépare encore le monde en deux. Ils sont là depuis la nuit des temps, omniscients et bienveillants, à l’écoute des tracas quotidiens et des angoisses existentielles de l’humanité. Aucune pensée ne leur échappe. Seuls les enfants et quelques êtres d’exception – des anges déchus ayant renoncé à leur éternité pour endosser la condition humaine – peuvent sentir leur présence éthérée."

Cette tentation du « grand saut » gagne l’ange Damiel, fasciné par les aspirations et la grâce d’une jeune trapéziste contrainte d’abandonner son cirque itinérant. Par amour pour elle, il décide de se couper les ailes et d’accomplir sa chute pour enfin goûter à l’existence humaine et s’éveiller au plaisir des sens. Pour sa première grande forme chorégraphique, Bruno Bouché reprend la trame narrative et les motifs emblématiques du film-culte de Wim Wenders avant d’explorer le mystère de l’incarnation en seconde partie – développement du « à suivre... » qui clôt le film. Cette grande fresque, réunissant l’ensemble des danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin, balance ainsi entre évocation poétique et exaltation du corps en apesanteur.
 

 

Vol au dessus d'un nid berlinois

C'est l'évocation du film de Wenders qui fera la matière de ce premier volet: la "grande ville" , vue du ciel par les anges et par l'émerveillement , l'état cotonneux de Bruno Bouché, provoqué par cette œuvre kiné-matographique qui conte "la beauté simple de la vie quotidienne". Qui mieux que la danse pour faire gouter les sens, rendre palpable la conscience du vécu, des saveurs du désir. Une danse poétique, abstraite qui traverse la dramaturgie de l'histoire européenne à travers la ville de Berlin, personnage à part entière: pulsion de vie, incarnation des corps dansants, théâtralité au cœur de l'émotion. Dans cet instinct de "fabrication" chorégraphique qu'est l'improvisation, nait l'inspiration, l'audace pour ne pas fixer les choses dès le départ. Le texte de Peter Handke est évacué au profit de son "esprit",son flux, son obscurité.On sent l'émerveillement de Bruno Bouché, sculpteur des corps,la trame bouleversante de la pièce où l'on perd ses appuis mais où l'on retrouve aussi la vie en noir et blanc, grisâtre, l'imaginaire des anges...La spiritualité de la musique rejoint le tout, y adhère,contribue à semer la présence de ce "spectre" de la danse et lui "donne des ailes"!C'est en prologue, la grande ville "au ralenti" où les corps s'étirent, tous en longues gabardines grises, parmi des cubes parsemés sur la scène...Une belle unisson qui se façonne, se défait à l'envi.Et plonge dans l'atmosphère du film qui inspire ici les pensées de Bruno Bouché.Un déferlement d'hommes et de femmes tous en "couleurs"en diagonale tranche dans le vif et fait contraste, modulation, surprise. Musique répétitive à l'appui pour rendre cette course folle contre le temps et la montre, encore plus crédible, "dramatique". Des personnages se profilent, chacun évoquant une "figure" du récit des "ailes du désir" sans pour autant que la trame soit respectée point par point. Se glisser entre les mailles du filet pour métisser les styles et les genres de chaque interprète ciblé.La "trame"et la chaine pour instaurer un climat, des états de corps, peut-être proches de ceux ressentis par le chorégraphe lors de la première vision du film, rencontre avec l’œuvre cinématographique...La narration avance, la dramaturgie signée Christian Longchamp, respectant une montée en tension: une scène emblématique très "sexy"à la "Boléro de Ravel" façon Béjart nous plonge dans l'ambiance berlinoise.Ambiance nocturne de boite de nuit où les corps tanguent, se lâchent, se donnent sur fondu de lumières rougeoyantes....

" Il ne m’est pas aisé de traduire en mots mon désir de mettre en scène et en mouvement Les Ailes du Désir. Je ressens que la danse offre une énergie, une vibration particulière à toutes ces sensations, ce goût, cette force de vie, cet étonnement quotidien que vit l’humain. Le souffle, la suspension, l’élan, la chute, la chair, le toucher, le saut, la terre… Je souhaiterais que la danse rende hommage à ce film précieux, donne corps à sa puissance poétique." Bruno Bouché

"Der Himmel über Berlin": les lumières de la ville où les anges ne brûlent pas leurs ailes!

Icare s'effondre et renait de ses cendres durant la seconde partie où c'est l'univers céleste qui prime: lâché d'anges en chemises blanches, suspendus aux cintres, duos célestes, manèges énergiques et fougueux où la foule se soulève sur fond géographique du plan mouvant de la ville de Berlin.Scénographie très inspirée qui place le corps au sein de la cité, géopolitique d'une chorégraphie tracée au cordeau et très orchestrée.Des anges bondissent, se libèrent, se portent en duo, comme des électrons libres lâchés sur la piste du grand cirque de la vie!De très belles lumières inondent les corps mouvants et confèrent au récit des couleurs chaudes et comme autant de corps-écran réfractant la lumière.Des courses folles attestent de la virtuosité des interprètes, souvent occupant le plateau en grappes, en masses compactes de danse chorale: des performances aussi de solistes qui s'égrènent tout au long de cette création originale où la"griffe"et l'empreinte de l'imaginaire de Bruno Bouché laisse libre cour à la poésie! Donner des ailes au récit sans lui couper les ailes, ses envergures singulières, parures mythiques des rêves iconiques païens ou spirituels...Amours ou Belzébuth en "congrès" de chérubins aussi, rassemblés en ode céleste pour fêter les sens et l'essence de la vie: goûter au charme d'être au monde !



A Strasbourg à l'Opéra du Rhin jusqu'au 4 Novembre

  
"les l du désir" de  benjamin kiffel pour l'industrie magnifique 2021


samedi 23 octobre 2021

"Confluences": carrefour, convergence et divergence pour un "trafic" sonore inédit!


Création musicale transatlantique. Les ensembles en scène : HANATSUmiroir + Proxima Centauri + Paramirabo 

Les compositeurs : Didier Rotella, Rocío Cano Valiño, James O’Callaghan, Sylvain Marty, Maxime McKinley 

"Confluence" est un projet qui rassemble trois ensembles et cinq compositeurs et compositrice autour de la création musicale, d’un côté et de l’autre de l’océan Atlantique. Proxima Centauri à Bordeaux, HANATSUmiroir à Strasbourg et Paramirabo à Montréal se retrouvent sur scène pour la création de cinq œuvres originales, au cœur d’une tournée franco-canadienne. 

 Rocío Cano Valiño :" Okinamaro" pour 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo

Piano, cordes et percussions et son enregistré pour une fusion, des craquements, des crachotements fort engageants dans cette polyphonie démarrant sur les chapeaux de roue!Cinq interprètes pour les vents qui œuvrent au dessus d'une "forêt" de flûtes, dressées au sol en attente. Chaque instrument semble s'introduire en résonance, tuilage et glissades progressives.Un côté "symphonique" se dégage dans cette densité de matières sonores puissantes, en masse et taches, touches expressionnistes L’œuvre se colore, mouvante, étrange, polychrome, en modulations progressives Des parties plus saccadées, en explosion d'éclairs et de machinerie infernale alternent et font respiration, pause et surprises....

 "Vitesses locales" pour 8 musiciens - Proxima Centauri et HANATSUmiroir de Sylvain Marty

 Sept musiciens sur le plateau fabriquent des sons curieux, étranges, isolés les uns des autres.Pour créer une ambiance inattendue venue d'objets sonores incongrus: jeux expérimentaux à la clef du meilleur "effet" de surprise. L'humour se dégageant du jeu des percussions insolites, d'un piano frappeur style pic vert affolé dans les bois et guérets, renfloués par des grincements allusifs. Une ambiance de spectres et fantômes s'en détache, de maison hantée, sur un ton de cartoon très animé, savant et comique.Les sonorités fébriles, nerveuses, toniques, ramassées après l'écoute d'un perlage raffiné.Foldingue prestation multidirectionnelle fort séduisante.

" Immaterial howpour" 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo de James O'Callaghan

"Hétérotrophe" en diable que cette pièce rare qui se nourrit de substances musicales et visuelles inouïes!Une voix off pour exposer le propos et commenter des images de formes hybrides en trois chapitres distincts.Univers, paysages et ambiance insolite renforcée pour la séquence "hungerartist" introduite par des icônes de dentition de chèvres multipliées, images de galerie de musée archéologique, de science fiction débridée, le tout guidé par des mains et doigts de robots en 3D, manipulant des téléphones portables. Mises en abîme, une succession d'images sur les petits écrans, en mutation, déformation constante, métamorphose kafkaïennes, de fœtus .Hallucinantes visions dans une scénographie stupéfiante à souhait...

 "Tumulus-Cumulus" pour 6 musiciens - Paramirabo de Maxime McKinley

Une atmosphère légère et lumineuse se dégage dès les premières "notes": ça tintinnabule au piano et une narration infime se détache, des personnages liés aux sonorités distinctes qui se répondent.Travail d'écriture très fin, minutieux, précis, enchanteur.Des conversations comme convergence ou divergence, orientées vers une marche commune, plus pesante et massive. De petites réactions des instruments en ricochets et répercussions pour enluminures.

 

 "Ravages" pour 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo de Didier Rotella

Très tonique introduction, aussi fine que puissante faite de répercutions et de résonances du piano enregistré en direct.De belles rencontres d'espaces électriques, en fractures tectoniques, en chocs et fracas. Une écriture et composition pointilliste ou en masse compacte, colorée faite de tons distincts ou d'ensembles grouillants... Menaçants.Le ruissellement des sons, en répercussion amplifiées, déformées, malaxées. Un déferlement s'organise à son zénith, apogée sonore virulente.Enrobante, enveloppante, glacée parfois, métallique. Une pièce foisonnante qui s'achève sur un focus de trois percussionnistes déchainés sur une grosse caisse!

Un programme inédit qui atteste du désir de converger, de circuler, de partager de la part des trois ensembles réunis à l'occasion d'une expérience unique, riche d'échanges et de rencontres ...du troisième type!Une odyssée de la création contemporaine sonore, musicale, profonde et variée, inattendue et décapante!Tous les compositeurs-trices- au rendez-vous de cette "première mondiale"!Initiée par Hanatsumiroir, fidèle à son esprit audacieux d'initiative, de recherche et savoir inventer et dessiner de nouveaux territoires d'investigation sonores, visuels, émotionnels...

A la cité de la musique et de la danse à Strasbourg le 23 Octobre

Artistes
Proxima Centauri
Marie-Bernadette Charrier, saxophone
Sylvain Millepied, flûte
Benoit Poly, percussion
Hilomi Sakaguchi, piano
Christophe Havel, électronique
Jean-Pascal Pracht, mise en scène et en lumière

HANATSUmiroir
Ayako Okubo, flûte
Olivier Maurel, percussion
Camille Havel, alto
Raphaël Siefert, lumière

Paramirabo
Jeffrey Stonehouse, flûte
Victor Alibert, clarinette
David Therrien-Brongo, percussion
Daniel Áñez, piano
Hubert Brizard, violon
Viviana Gosselin, violoncelle


mardi 19 octobre 2021

"Abberation": architectonique du blanc dansé.


 Emmanuel Eggermont L’Anthracite France solo création 2020

ABERRATION

Eloge du blanc et de ses promesses, ABERRATION, la nouvelle pièce d’Emmanuel Eggermont se fait onirique. Danse délicate et puissante, costumes et effets optiques réveillent les sensations et conduisent le public comme dans un rêve, vers un nouvel univers aux accents décalés et subtilement absurdes. 


Après Pólis, pièce carbonique et architecturale inspirée des œuvres au noir de Pierre Soulage, Emmanuel Eggermont poursuit sa recherche sur la couleur dans La méthode des phosphènes, puis se consacre au blanc dans ABERRATION. Questionner ses différentes dimensions, notamment symbolique et spirituelle, conduit sa réflexion et son mouvement. Sur scène, ce nouveau terrain d’investigations devient un paysage surprenant où circulent des corps, des objets, des danses tour à tour abstraites ou plus figuratives avec leurs énigmatiques personnages qui traversent l’espace. Pour le chorégraphe, il s’agit de « provoquer une variation de sensations troublantes comme de s’être couché David Bowie et de se réveiller Ziggy Stardust ». Plus profondément, Emmanuel Eggermont cultive un certain sens de l’absurde lié aux aberrations qui régissent le monde comme la vie quotidienne de chacun. Environnement sonore et chorégraphie développent leurs lignes d’écriture en écho à la notion de résilience qui traverse la pièce. Une façon d’interroger par la danse et la création « la capacité de faire face à la perte soudaine de repères et à l’effondrement des certitudes. » Une pièce fascinante tournée vers les perspectives de la reconstruction.   

Deux belles structures de stores blancs à claire-voie, des traces de lumières très géométriques au sol: point, lignes, plans pour délivrer l’icône immobile d'une figure, créature blanche cagoulée, perchée...Un sac dans le dos, il arpente le plateau au ralenti, nonchalant: soulève un lai du tapis et fixe en tension une bande blanche, formant un anticlinal, une courbe de niveau fragile, marquant un territoire inconstant, fébrile.Animal à terre ou albatros échoué à l'envergure immense des bras déployés. Il ouvre l'espace sans cesse, le creuse, le fait apparaitre, en torsions ou directions sagittales en flèches...En vrilles, sur pivots, en pliés discrets, sur demi-pointes élégantes.Emmanuel Eggermont, danseur faunesque, subtil, baroque, épousant une écriture savante du geste dansé. Quelques objets-sculptures accessoires comme une "cornette" ou "cocotte en papier" géante, origami plié ou petit avion de pacotille.Pour mieux créer les formes et attitudes d'un bestiaire fantastique profilé, très "faune" ou sculpture grecque. La créature homme-icône se révèle, pudique, Terpsichore en baskets blancs, précieuse figure très plastique, éclairée de lumières façonnant ses contours, sa matière... La danse, les déplacements semblent millimétrés, saccadés, segmentés, angulaires, reliés dans une étrange fluidité morcelée.Il moule l'espace, le rend visible, s'asperge de farine tamisée qui fait nuée et brouillard, fumées vaporeuses.Très photographiques à la Etienne-Jules Marey. Palpable sensualité d'un corps qui se meut, se couvre de peinture blanche laquée. Les pans de store comme des jalousies entrebâillées pour entrevoir l'ob-scène dissimulé.Formant un environnement de lignes rythmées comme une architectonique musicale à la Porzamparc. Des poses faunesques digne d'un Serge Lifar à la beauté sculpturale irréprochable.

serge lifar

Le personnage devient dadaïste à la Hugo Ball ou Brancusi façonnant le costume de Lizica Codreanu...

lizica codreanu
hugo ball


La musique présente dès le début de cette exposition, installation corporelle mouvante s'amplifie dans l'urgence; tel un guerrier japonais ou en toge ou tenue d'escrime, le danseur s'expose ou se coiffe, fait son défile de fashion-week contre voguing, le corps empêché dans une guêpière, un corset ou une minerve blanc clinique,médical.Une chute face au mur ajouré le plaque au sol; il "pense" ses plaies, noble Roi Ubuesque fragilisé par tant de candeur, de virginité blanche-neige immaculée.Au final dans un piège de lumières blanches, des ondes parcourent son corps animé de tant d'énergie dissolue, déployée qui se fond dans un environnement et répand sons et frissons d'émerveillement. Cette pièce très plastique, visuelle, est fondations d'une architecture dada fort inventive et structurée au fil d'aplomb!

A Pole Sud jusqu'au 20 Octobre

samedi 16 octobre 2021

"En vert et contre tousse" ! Vert tu oses ! Ca dépote et rempote et ça varie pour les fans de carottes à la Choucroute qui rit!

 


Emmenée par Roger Siffer, la troupe de la revue de la Chouc’ piaffe d’impatience pour retrouver enfin son public. Photo L’Alsace /Jean-Marc LOOS
Après l’énorme et interplanétaire succès de la revue « En Marche Attacks !!! » hélas arrêtée de plein fouet par « en masque attaque », la 27e revue de la Chouc’ se moquera de tout et de tout le monde. Elle passera à la moulinette les politiques locaux, parodiera toujours les Lorrains, le Racing, « Chilibébert » de Colmar, elle parlera de la crise sanitaire, de l’écologie et caricaturera l’actualité marquante de l’année. Elle n’oubliera pas non plus d’égratigner au passage quelques phénomènes de société. Bien sûr ça va chanter, danser, « sketcher » et surtout rigoler !

« On est moins portés sur le Covid. Bien sûr, quand on préparait l’édition de 2020, on était en plein dedans. Cela s’était forcément ressenti dans l’écriture du spectacle. Là, pour la revue de cette année, on a repris les choses en main. Il y a bien un tiers du contenu qui est nouveau… », observe Roger Siffer.



On n'oublie pas de passer au sanitaire pour un petit pissou et c'est parti pour deux heures de franche verve virale bien contagieuse dans ce petit théâtre  de légende!Un petit jingle rituel en prologue, préambule ou générique, et c'est parti pour suivre les bons mots de Roger Siffer sur les "vacances forcées" dans le beau Val de Villé durant la crise sanitaire. En gilet-plastron de jungle, le voici Tarzan appelant sa "Jeanne", et gagnant la mer-maire- pour séjour balnéaire en Alsace: un peu "démontée" à la Devos! Le ton est donné: ce sera sarcastique, jamais méchant, satirique et jamais caricatural.Du "cabaret" en français dans la petite salle de la Choucrouterie. Allégresse verte il s'en faut car c'est de nouveau ou-vert! Dans un mouchoir de poche, le vert-tige des mots, des corps en mouvements, des blagues, aparté et autres formes linguistiques alléchantes comme de la langue de chat, pas de bois! Arracher aussi "la mauvaise herbe politique" sur les plates bandes de l'humour et de la distanciation.Démasqués d'emblée, les voici affublés de "masques" sur fond de boléro "Que sas, que sas" et on saute sur les saynètes suivantes: une croustillante évocation du genre dégenré avec les "épicènes" et points médians qui agacent et trompent énormément: c'est Magalie Ehlinger qui s'y colle et fait ici sa première apparition à vue dans la troupe de la Chouc: pour un coup d'essai, un coup de maitre- maitresse!Sur fond de "Je ne suis pas parisienne, ça me gêne"(Marie Paule Belle), la voici habitée par le verbe fou, paroles et prosodies au top sur un rythme soutenu, danse et gestuelle précise, petits silences ou apnée au poil pour plus d'impact!L'écriture "inclusive" ça braille énormément!Un french cancan de circonstance avec tous les tissus et oripeaux qu'elle enfile comme parure et frou-frou.Belle présence et efficacité d'un jeu taillé sur mesure.Pour la cause des animaux, suit une diatribe à califourchon sur un cheval à trois: chez le boucher-bouché de la feuille, c'est l'éloge du végétarisme tari par un désir de viande de cheval que l'on va monter à "cru" pour mieux assouvir son désir de chair saignante: en vert et contre tout les "grüns" du coin....Des flics au parloir pour titiller la peau lisse des agents de sécurité acculés à masquer les soupçonnés pour mieux les reconnaitre devant une mamie confondue -excellente Suzanne Mayer-. Et les comédiens de courir d'une salle à l'autre dans des performances scéniques sidérantes et bien rythmées....Des flics hors la loi, (Sébastien Bizzotto et Arthur Gander très attachants et drôles: le vert est dans le fruit et le piano fait son William Sheller avec brio (Jean René Mourot) au clavier.Trois marionnettes pour les guignols de l'info et des élections, judicieusement manipulables proies de la bêtise et de l'opportunisme, pour relever le tout en pantins désarticulés...Polis petits chiens, polichinelles et hommes de paille à souhait."J'ai vu l'amer -la maire-avec ou sans citron redira" Roger....Échafaudage social pour clou du spectacle: les deux compères, apprenti et chef de chantier sur l'échelle sociale - ou échelle du ciel- pour les hydro-alcooliques en herbe.Il faut oser -Joséphine-et voici Delphine avec sa mélodie "Sucettes à l'anis" pour une cuisine sexy-végan et flamme-couche,
tout en vers, texte joyeux et allusif, à l'image des paroles des autres chansons construites sur des bases rythmique rhétoriques à point nommé. Élocution et gestuelle toujours aux petits oignons de Magalie Ehlinger, conduite par le regard acéré de la chorégraphe nouvelle recrue de bon aloi, Charlotte Dambach, précieuse détecteur-trisse de talents corporels! Sans parler des chasseurs qui soulèvent des lièvres dans le reportage flambant de Madame Marcassin, en proie à des affuts de chasse gardée tonitruante Excellente prestation télévisuelle, cadrée pour le petit écran noir  de cette nuit blanche!"Désinfectez-moi" sur l'air de Juliette Gréco pour un retour au virus variant, variation comique sur le confinement en quatre portraits cinglants, les paris d'une conseillère bancaire qui ne fait pas crédit: le variant a varié-avarié- sur l'air de Boby Lapointe "Ta Katie t'a quitté" et l'on arrête l'inventaire à la pré vert quand les polis petits chiens Jean Philippe Vetter et Elsa Schalck se pointent les pieds tanqués devant le cochonnet...Le tout slamé, swingué. Vous en reprendrez bien avec la Sainte Trinité: le père, le fils et le maire de Colmar pour les simples d'esprit dont Jean Pierre Schlagg très en forme-mon père et ses verts-. Les quatre maisons de Vivaldi, dansées comme des miniatures grotesques de style de danse: un roi Soleil trop drôle: Guy Riss quand il n'est pas Gilbert Meyer est aussi très bon arpenteur danseur classique sautillant, baroque en basse cour et basse-danse comique de l'arène -la Reine-!Un peu de Fessenheim pour mieux tousser en choeur et c'est l'épilogue rituel: "cassez-vous" un mouchoir vert à la main, à l'eucalyptus pour chacun des spectateurs.On en ressort pas "empotés" ni déracinés, plutôt pour la diversité culturelle et verbale, musicale et spirituelle, toujours au rendez vous de cette revue et corrigée qui dépote.Et ça danse, danse, danse en slam et autre vire-langue et calembours, jeux de mots bien trempés -Lauranne Sz- dans le champ-chant- textuel fort réussi!

 

Textes : Équipe de la Chouc’ Mise en scène : Céline D’Aboukir

Chorégraphie : Charlotte Dambach  Focus sur une nouvelle arrivante!

 


A presque 35 ans Charlotte embrasse une jolie carrière de danseuse interprète.De la danse classique au Conservatoire de Strasbourg, à la danse "voltige",danseuse aérienne avec Brigitte Morel (Motus Modules), avec la compagnie Lilou, artiste dans l'espace hippique de Richard Caquelin (Euridess), et surtout fidèle à son compagnonnage de "figuration intelligente" dans les œuvres lyriques d'Olivier Py -"Manon", "Salomé","Pénélope". Lucindas Childs comme passage contemporain à l'Opéra du Rhin...Et la voici chorégraphe de la nouvelle revue. Une expérience unique que de faire bouger et respirer la bande de la Chouc.....Il faut dire que,experte en "Ashtanga Yoga Mysore", elle sait faire passer les bonnes ondes et les énergies aux bons endroits!Le sens du détail et du rythme adapté a chacun et pour les unissons tournoyantes de la tribu.


Distribution Piano : Jean-René Mourot ouThomas Valentin ou Sébastien Vallé
Avec : Sébastien Bizzotto, Magalie Ehlinger, Arthur Gander, Bénédicte Keck, Susanne Mayer, Nathalie Muller, Guy Riss, Jean-Pierre Schlagg, Roger Siffer et Lauranne Sz
Lumières : Cyrille Siffer
Scénographie/costumes/accessoires : Carole Deltenre, Marie Storup et leur équipe
Production : APCA-Théâtre de la Choucrouterie


du vendredi 15 octobre 2021au dimanche 20 mars 2022

 

jeudi 14 octobre 2021

"Lamenta" : balkaniques bacchanales !


 "Lamenta" de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen: perte et retrouvailles

Une fois de plus l'être ensemble dans une communauté fait office de pré-texte, de pré-mouvement issu de la culture populaire grecque. A partir de l'étude approfondie du "miroloi" de l'Epire, danse ancestrale qui évoquent le départ, la perte et l'absence.La terre, les racines, la nostalgie y sont convoquées sur une musique lancinante, chants de lamentation. Une danse incarnée, faite de rituels pour se reconstruire dans le groupe!Résonances qui se retrouvent sur le plateau, ici et maintenant pour une transposition contemporaine de toute beauté, les costumes y ajoutant des touches de couleurs virevoltantes.Un marathon de danse fusionnelle entre les corps sur le plateau nu, danse "étrangère" à la culture des deux chorégraphes, auscultée avec respect, pertinence.S'emparer d'un matériau existant pour le modeler, le transmettre et interroger la notion d'héritage, voilà le propos très convaincant de cette démarche artistique . La danse y est fulgurante, hypnotique, performante, fougueuse Folie, sorcellerie à l'appui pour se perdre dans l'épuisement, le don de soi, la perte.Être ensemble pour se tenir debout, faire la ronde ou dévoiler sa virtuosité en solo, tout concourt ici à la vision d'une certaine utopie de la communauté retrouvée Du moins, celle des danseurs arpentant le plateau à l'envi.

présenté avec POLE-SUD, CDCN au Maillon jusqu'au 15 OCTOBRE



La séparation est une expérience quotidienne : parfois on s’éloigne de quelqu’un pour écrire un nouveau chapitre, parce qu’une famille est fondée, parce que miroite, au loin, la possibilité d’une autre vie. La mort aussi vient nous séparer.

Mais les rites sociaux qui nous permettent de donner un langage commun à nos émotions sont de plus en plus rares. Le Miroloi, en Grèce, réunit la musique et la danse en une plainte qui donne forme à la douleur tout en tentant de l’apaiser. Le son doux des clarinettes et un rythme ralenti constituent un héritage des Balkans dont les chorégraphes Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero s’emparent avec les codes de la danse contemporaine. Comment le corps traduit-il en mouvements une émotion intérieure ? Neuf danseuses et danseurs venus de différentes régions de Grèce accompagnent les deux artistes, à la recherche d’une dynamique interculturelle qui conjuguerait la tradition et le présent, l’intuition et l’intellect, le rite et le quotidien.

Dans le cadre du FOCUS "Grèce : un certain regard" du 5 au 15 octobre 2021.

 

mercredi 13 octobre 2021

"Condor": "un lance flamme dans un lac gelé"!

 


Le titre de la pièce de Frédéric Vossier fait référence à l’opération Condor : en 1975, les dictatures d’Amérique latine scellent une alliance secrète visant à l’anéantissement de toute subversion ou révolte potentielle, incarnées principalement par les mouvements ouvriers. Tortures, assassinats, seront la réponse au désir d’émancipation. Quarante ans plus tard, une femme appelle un homme au téléphone. Dès les premiers mots, on sait qu’ils se sont connus intimement. Que peut-on se dire après si longtemps ? Anne Théron met en scène une nuit de confrontation où ces deux personnages appartenant à des univers antagonistes vont se retrouver. Elle était du côté des opposant·e·s, lui a probablement été un bourreau…

Il fait sombre et l'atmosphère est froide et glaciale au cœur de ce bunker de béton armé, symbole d'enfermement, de claustration, de violence faite à la liberté de mouvement. Prison de l'esprit torturé des deux protagonistes. Le téléphone les fait se rejoindre, se retrouver: elle est au dessus de lui sur le ponton près d'un arbre. Il est dans son "garage" gris et froid, vide sans objet, ni meuble. Les questions se posent, les constatations pleines de suspicion, de doute, d'esprit de rancune et revanche. Elle souffre, traumatisée, prisonnière de troubles qui se manifestent par des salves d'images violentes, lumineuses comme une torture physique et morale, sortie de ce sac qu'elle tient serré sur son corps meurtri, recroquevillé. Avec elle, cet homme, partenaire ce soir là, cette nuit là, pour partager des moments cruels, menaçants où fusil, couteau sont fantasmes ou rêves cauchemardesques...Le trauma, "colonne vertébrale" de ce qu'écrit Frédéric Vossier est inscrit dans les corps des deux comédiens: Mireille Herbstmeyer et Frédéric Leidgens, tous deux marqués par ces personnages "monstrueux" Gestes précis, millimétrés, micro-chorégraphie des poses et déplacements dont la justesse et le dosage sont l’œuvre de Thierry Thieu Niang, observateur de génie, traceur d'espaces habités, marqueur de territoire dans cette scénographie de l'enfermement. Anne Théron rend ici limpide et visible l'évolution des relations entre victime et bourreau, audacieuse mise en tension entre haut et bas, dégringolade de deux escaliers aux marches inégales, éclairages assombris, oppressant. Tout est juste et glaçant, suffoquant et médusant. La bande son y évoque par passages furtifs, des bruits de porte blindée qui grincent, des univers carcéraux implacables et frémissants d'horreur....Pour une tension tétanisante où jusqu'au bout les personnages se dévoilent, se questionnent, se regardent vieillir avec une touche d'humour noir salace.Des saynètes fondues au noir se succèdent pour mieux se trahir ou travestir une réalité enfouie, ressurgie.

Frédéric Vossier est docteur en philosophie politique et a écrit, depuis 2005, une vingtaine de pièces, dont Ludwig, un roi sur la lune, créée au Festival d’Avignon 2016 par Madeleine Louarn. Il est aussi conseiller artistique au TNS et dirige la revue Parages. La metteure en scène Anne Théron a présenté au TNS en 2015 Ne me touchez pas dont elle est l’autrice et, en 2018, À la trace d’Alexandra Badea. En 2019, dans le cadre du programme Éducation & Proximité, elle a créé À la carabine de Pauline Peyrade.

Au TNS du 13 au 23 Octobre

"i-Glu": côté cour, côté jardin. Graines et jeunes pousses à cultiver! A s 'emouvoir de plaisir.....



Carole Vergne et Hugo Dayot
Collectif A.A.O France 2 danseurs + 1 musicien

i-Glu est un spectacle de danse pas comme les autres, un écrin de fantaisie qui se visite en famille. Ce récit poétique entre dôme et jardin, corps, nature et mondes visuels invite au voyage à travers une expérience des sens ludique et foisonnante d’images.


 

Dans un jardin assoupi se promènent un épouvantail vacillant, un hérisson-buisson et un danseur-cueilleur. Mais que font-ils ? Entre projection d’images, intégrant paysages naturels et changeants, film d’animation et ambiances sonores et musicales, se déploie un drôle de récit qui conjugue les aventures des protagonistes et les expériences du vivant. C’est tout un monde fascinant qui apparaît au croisement de la danse contemporaine et des arts visuels.
i-Glu, avec son jardin et son dôme qui ressemble à une planète que l’on pourrait contempler de tout près – la nôtre peut-être ? – est un spectacle imaginé par Carole Vergne et Hugo Dayot. Les deux chorégraphes de la compagnie A.A.O installée à Bordeaux, se sont fait une spécialité de ces alliages surprenants qui mêlent la danse, la performance et les installations plastiques. Ainsi les deux artistes créent des objets spectaculaires à découvrir et expérimenter entre perception et illusion. Une façon d’interroger notre compréhension du monde et du mouvement

Beaucoup de jeunes pousses en herbe par ce bel après midi automnal à Pole Sud!Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivraie!Après un accueil chaleureux et bienveillant, de petits groupes d'enfants sont invités à pénétrer un "jardin extraordinaire" où ils pourront planter et semer de "petites graines" symboliques, petits cubes magiques sous le dôme central, sorte de iourte toilée réfléchissant de belles couleurs lumineuses et vagabondes..Prenez-en de la graine!.Un "épou-éventail" se dresse, immobile sur le plateau du studio: un homme casqué, botté, immobile les pieds scellés au sol dans un carré de terre battue.Telle une boule de neige énorme, se dresse un habitat étrange: des images de fleurs en éclosion, en mutation et métamorphose donnent le ton poétique, féerique et fabuleux à cet "endroit" singulier.Sur fond de musique cosmique...Orchidées ou fleurs de pommiers qui dansent, un œillet même en tutu de pétales!Un être étrange entre mannequin et épouvantail se dresse, ondule, vacille, oscille sous l'effet du vent.Sons de grillons et gamelons à l'appui.Il vole, entravé malgré tout par des semelles de plomb..Suspendu, aimanté, se déployant avec des jeux de doigts habiles, volubiles.Mime dansé, très onctueux, ondulant, happé, attiré par l'espace, malgré sa fixation au sol.A l'inverse des bottes de sept lieues, ses chaussures lourdes et encombrantes entravent ses déambulations, mais pas sa gestuelle fluide et délicieuse.Une fois ces pieds libérés, l'homme tout blanc entame une danse en duo résonnant, alors que les images changent, projetées sur la peau lisse et tendue, ronde et douce,du dôme. Souplesse, agilité de cette mouvance partagée, contagieuse, en écho et résonance avec celle de l'autre homme en blanc, déraciné de son sol appesanti.Assoupi dans ses rêves.Ambiance calme et reposée, fort délectable.Au ralenti, les gestes sont hypnotiques, en ondes contagieuses qui se répercutent dans les corps.Dialogue en glissages, frôlement, esquives et esquisses de formes vivantes.Pour une unisson complice de ses explorateurs d'espace communs, intimes.Partagés.Des appuis fugaces, des portés volages, des arrêts sur image magnétiques.Mimétisme des couleurs sur le corps-écran total du danseur qui s'identifie à son milieu!Une danse circassienne qui se fond et se répand dans des ondes lumineuses plasticiennes, dignes d'un Nikolais! Les enfants , réjouis et très calmes comme public captif idéal: enchanté et émerveillés!On se quitte sur des images de pluie de papillons dans une nuit étoilée!

Sur le plateau, un dôme géodésique — l’i.glu Lieu d’habitat dans le lieu habité — le Jardin.Le tout recouvert d’une toile de ciel.Le Jardin comme «espace de prolifération euphorique de la nature», comme prétexte de surgissement de formes et de matières colorées, dessinées…Le dôme comme surface de projection et d’apparition de paysages.i.glu, projet chorégraphique et sensoriel où évoluent quatre protagonistes : un épouvantail, un danseur-cueilleur, un dôme et un musicien sous le regard bienveillant d'un hérisson-buis.i.glu comme un lieu existentiel qui ouvre et engendre d’autres formes d’apprentissage par le déploiement et le foisonnement du motif végétal comme expérience visuelle.

 

A Pole Sud le 13 OCTOBRE

mardi 12 octobre 2021

"Hilda": une marchandise à tout prix! Technicienne d'une surface de réparation irrévocable !

 


Madame Lemarchand, bourgeoise d’une ville de province, convoque Frank Meyer, ouvrier précaire travaillant au noir. Elle veut recruter sa jeune épouse, prénommée Hilda, pour faire le ménage, s’occuper de ses enfants, et lui tenir compagnie. Marie NDiaye compose un drame effroyable de la domination à la mécanique vampirique implacable, dans laquelle Madame Lemarchand, insatiable, est poussée à demander toujours plus à Hilda. Quelles seront les armes de résistance ? Élisabeth Chailloux met en scène la pièce avec l’actrice et cantatrice Natalie Dessay : une langue concrète, musicale et envoûtante, œuvrant au décalage étrange avec le réel.

Décor sobre, intérieur sur fond de panneaux mobiles opaques: un fauteuil club, une femme assise en robe rouge sur le plateau...Et tout démarre à fond de cale: cette femme c'est la future"patronne" d'une femme de service embauchée par "une maitresse de gauche", à tout prix! Etrange transaction humaine sur fond d'humanisme bourgeois caricatural à souhait. Patronne et "matrone", Natalie Dessay excellence dans ce phrasé loquace, volubile, tranchant d'autoritarisme, de tyrannie féroce et perverse.Hilda sera ce fantôme, Arlésienne du propos qu'on ne verra jamais et qui hante les fantasmes d'une femme aux abois, quasi hystérique tant son pouvoir sur l'autre fait des ravages, soumet et asservit ses partenaires.Frank, Gauthier Baillot, en sera la proie,la victime soumise et débordée devant l'autorité malsaine et calculée de cet être redoutable et arriviste.Six séquences pour cette odyssée qui trahit et révèle l'hypocrisie autant que la haine de l'autre.Coup de cloche pour chaque chapitre et l'on tourne la page, le décor où vivent les deux protagonistes mute. L'argent est aussi le moteur de toutes ces transactions humaines où l'on ne peut racheter sa femme car on a éclusé le salaire avant le travail payé d'avance: les pièges se tendent devant Frank, ligoté, acculé à un triste sort de vaincu. Hilda est une chose, un objet de désir, "une petite danseuse de chair au fond du flacon" qu'on atteint en le brisant.Vampire insatiable, Natalie Dessay emballe et subjugue, agace et déçoit parfois tant le débit de sa voix et ses intonations demeurent linéaires et sans surprise ni contraste ou modulations...La mise en scène poussant à bout ce duo fébrile sur le qui vive et l'aridité d'un texte où la perversion se déploie au fur et à mesure crescendo, submergeante...Au final c'est la "patronne" qui se métamorphose en Hilda, celle qu'elle aurait voulu transformer à sa guise en femme de service domptée, éduquée, reniant ainsi son identité pour en faire l'objet de ces ambitions!

Marie NDiaye, autrice associée au TNS depuis 2015, a écrit une quinzaine de romans, dont La Vengeance m’appartient (Gallimard, 2021). Écrivant également pour le théâtre, elle a fait paraître récemment Royan. La professeure de français (Gallimard, 2020) et Berlin mon garçon suite à une commande de Stanislas Nordey (Gallimard, 2019). Élisabeth Chailloux, directrice artistique de la compagnie La Balance, a co-dirigé le Théâtre des Quartiers d’Ivry avec Adel Hakim de 1992 à 2019. Elle a notamment mis en scène des textes de Bernard-Marie Koltès, Philippe Minyana et Normand Chaurette.

7 oct au 17 oct 2021  au TNS

dimanche 10 octobre 2021

"3 works for 12": Alban Richard, Treize à la douzaine pour un "cirque"magnétique, une arène dangereuse!

 

photo agathe poupeney

Dans ce spectacle chorégraphique pour 12 danseur·se·s, Alban Richard se penche sur la musique minimaliste du milieu des années 1970, alors qu’elle influence de jeunes artistes qui choisissent d’en emprunter les architectures tout en s’attachant à d’autres modes de pensée et d’autres énergies. Là où Louis Andriessen substitue le chromatisme à la tonalité des premiers minimalistes, David Tudor établit un lien entre l’écriture répétitive et l’électronique musicale naissante en laissant libre cours à l’instabilité des processus. Quant à Brian Eno, il retient l’idée d’une écoute fusionnée avec son environnement et initie le courant ambient qui marquera durablement la pop et l’électro. 

centre chorégraphique national de Caen en Normandie

Programme musical
Louis Andriessen Hoketus (1976): c'est de façon frontale que nous abordons la grappe, la meute: en alternance les 12 danseurs alignés, de face, en canon et alternance, jouent à qui perd gagne en hauteur, décalage mécanique, avancées, reculés savamment calculés! Alban Richard nous fait son "Dance" à la Lucinda Childs, rigoureuse partition chorégraphique comptée aux entrées et sorties directionnelles, aux croisements impeccables, millimétrés au cordeau!C'est à couper le souffle et hypnotisant: les costumes, sport sophistiqué et très design-mode chamarrés. Des emboitements, puzzles acrobatiques dans la construction architectonique des ensembles, des échappées belles aussi pour libérer les corps, les projeter dans l'espace. Comme une horde, meute lâchée, maitrisée, vol d'oiseaux en bande d'étourneaux, nuées ou murmurations. Des marches communes, courses et voltes se tracent peu à peu, des solos se détachent, sauts et tours, hochements de têtes dans un rythme infernal tenu, incessant. Des tours à l'inverse des aiguilles d'une montre....Une performance qui se s'épuise jamais! Une petite pause aux vestiaires, à vue comme lors d'un match sportif pour respirer!



Brian Eno Fullness of Wind (Discreet Music, 1975)
: un beau quatuor de femmes, délicieuses créatures aux gestes fluides pour contraster avec la première pièce du programme.Très douce, dans une grande liberté apparente sur une musique détendue, lascive, quasi classique!


  David Tudor Pulsers (1976)

 Après une seconde pause, changement de costumes à vue pour métamorphoser les danseurs en athlètes performeurs "sportifs"! Costumes fluo, plein de couleurs, très seyants, évocateurs de compétition sportive, tous distincts et personnalisés.Déflagrations de solos en salves projetées, torsions des corps, spasmes de possédés, danse hystérique, ravageuse, très efficace! Comme autant de molécules, d’électrons libres, en profusions de propositions d'écriture gestuelle organisée et sur mesure.Quelques "poses-décors" pour figer des instants si précieux d'accalmie dans ce furieux groupe compacté par l'enthousiasme, galvanisé par la musique.Mécanique infernale des temps modernes, galops, tours de derviches, voltes, spirales à l'envi! On n'achève pas les danseurs, en chutes, rebonds, suspension, soulèvement constants.Une performance aérobique et athlétique remarquable tant la musicalité efface les travers de la "performance" pour la performance... Ces olympiades désorientent, déboussolent, les directions se fracassent sans se bousculer dans des couleurs vives, musicales autant que plastiques: des tableaux mouvants qui déconcertent, décalent dans une polychromie totale de sons et de mouvements vibratoires. Alban Richard, peintre d'une échappée belle irrésistible, tendue, volatile, futile, interprétée à la perfection minutée d'un ensemble hétérogène où l'identité demeure, l'altérité fait des uns et des autres des "soyez vous même" dans les touches et masses chorégraphiques denses et vertigineuses. Sur la piste, au chœur du stade ou dans l'arène rien ne s'épuise sur la surface de "réparation"!

conception, chorégraphie, lumière Alban Richard
assistants chorégraphiques Max Fossati, Daphné Mauger
interprètes Anthony Barreri, Constance Diard, Elsa Dumontel, Mélanie Giffard, Célia Gondol, Romual Kabore, Alice Lada, Zoé Lecorgne, Jérémy Martinez, Adrien Martins, Clémentine Maubon, Sakiko Oishi

régie son Denis Dupuis
son Vanessa Court
lumière Jérôme Houlès
costumes Fanny Brouste
réalisation costumes Yolène Guais
régie plateau Olivier Ingouf
conseillère en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé Nathalie Schulmann


samedi 9 octobre 2021 — 19h00
La Filature, Mulhouse

 

"Pink noise" Suzanne Ciani : une fresque sonore digitale, connectée! Des entrelacs synthétiques pour un tissu musical inoui!

 


Dès le début des années 1970, Suzanne Ciani préfigure l’avenir des musiques électroniques. En tant que compositrice et performeuse, l’Américaine explore les ressources des premiers synthétiseurs, en particulier les synthétiseurs modulaires Buchla dont elle deviendra une spécialiste. Mais c’est tout d’abord comme designer sonore qu’elle se fera connaître, produisant des sons iconiques du xxe siècle, tel l’emblème sonore de Coca Cola et sa cannette décapsulée. À l’instar de Pauline Oliveiros, Wendy Carlos et Éliane Radigue, elle fait partie d’une génération d’héroïnes de l’électro que l’on redécouvre peu à peu aujourd’hui, alors que l’histoire de la musique se décline au féminin. 

C'est dans une atmosphère aquatique de remous colorés, de marée, de flux et reflux que l'on baigne en préambule du concert dans la nef des Dominicains. Sur un écran frontal seront projetées durant toute la performance, les images capturées en direct de cette pilote hors pair aux commandes des consoles, circuits connectés, synthétiseur, Suzanne Ciani en personne! Les câbles, fils, connections, prises comme autant de personnages à adopter, faire vivre et se brancher en inter-connection: un vivre ensemble digne d'un plat de spaghettis animés sur le "piano" de la cheffe cuisinière très inspirée, concentrée, vigilante et précise: des recettes pour faire surgir des univers sonores insoupçonnés: sons de marée haute se fracassant sur la falaise en pulsations éparses pendant qu'elle danse devant son établi "artisanal", créant des leitmotiv en boucles, agrémentés de sonorités synthétiques inouïes! Des sons qui tournoient dans l'espace en nappes et couches superposées: fusées, oiseaux pour créer un univers étrange et magnétique, cavernicole plein de zébrures tranchantes sur fond massif persistant. Couleurs, matières et densité à l'appui. Elle pianote, digitaline, en frange, lisière, bordures ou frises, en percussions, frappes, feux d’artifice ou salves dévastatrices!Du souffle aussi, des battements pour créer vie et mouvements, déplacements, frottements des sons volubiles de gamelons...Des éraflures aussi à l'oreille, du toucher.Sac et ressac, déferlement de vagues, mouettes rasant les falaises: autant de paysages sonores qui prennent corps et graphie dans l'espace grandiose des dominicains! Tumultes et turbulences au menu de ce concert unique en son genre où la rencontre avec l'artiste sur le plateau est rendue possible par la curiosité du public expert et la générosité en partage de l'artiste!

performance Suzanne Ciani

Le rendez-vous agrémentés par les installations "fait maison" par le centre de recherches audiovisuel des Dominicains: bain de jouvence en immersion ou recherche spatiale sous la coupole, de toute beauté et inventivité!

Ce rendez-vous s’inscrit dans le cadre des Nuits de la pleine lune au Couvent des Dominicains de Haute-Alsace. 

vendredi 8 octobre 2021 — 20h30
Les Dominicains de Haute-Alsace

 

"Illusions" Hampus Lindwall / Clément Édouard: des voix "organiques" dans un espace sacré.

 


Pour clore sa 39e édition, le festival joue les prolongations à Mulhouse et Guebwiller.
Trois concerts et un spectacle chorégraphique tracent un panorama de la musique répétitive, de son explosion dans l’Amérique des années 1970 à sa réinvention par les jeunes générations aujourd’hui.

Météo et Musica s’associent pour la première fois de leur histoire pour incarner les perspectives de l’expérimentation musicale. Avec l’indiscipline qu’on lui connaît, Hampus Lindwall projette l’orgue vers de nouveaux territoires en interprétant les oeuvres d’artistes inclassables, Cory Arcangel et Hanne Lippard, capables d’oeuvrer dans des domaines aussi divers que la musique, la poésie sonore, les arts plastiques ou numériques. Ellen Arkbro poursuit quant à elle sa recherche d’une nouvelle consonance avec Chordalities, suivie en cela par Clément Édouard et son projet Dix Ailes où les voix et l’électronique fusionnent en des espaces vibratoires inouïs.

Cory Arcangel, Chord Memory AKA Amen (2021) création mondiale

Voix et orgue se mêlent en écho et réverbération dans le vaste espace de l'église en sorte de préambule au morceau suivant: cela touche et immerge dans l'ambiance froide et distante d'un instrument "organique" qui prend des couleurs tintées de pâleurs pastel.

 
Ellen Arkbro, Chordalities (2019) création française

L'orgue reprend le flambeau, répétitif, en résonance tenue, en ornement et couches sonores successives, en reprises du leitmotiv en basse sous-couches immersives.Des piqués et staccatos très aigus comme des moulinets rotatifs en alternance, contrastés, des coucous suisses joyeux en résonance! De longues tenues d'aigus agrémentées d'un rythme de ritournelles, phrase qui revient identique, qui avance ou recule: de belles répétitions en rhétorique, en syntaxe qui s'estompe et disparait comme la muse Echo.


Hampus Lindwall, Brace for Impact (2020) création mondiale

A la guitare électrique de prendre le relais en présence de l'orgue, en traines, en élongations, étirements ascendants, en crescendo: ça s’amplifie, se répand, submerge; des sons et bruits de formule 1, salves ou courses de voitures qui se doublent, se chamaillent se font concurrence!Des vibrations et fréquences, des tirs de roquettes pendant la course poursuite!


Hanne Lippard, Neinternet (2019) création française: une frise, enluminure, fresque sonore de toute beauté qui fait voyager dans un espace sonore riche de contrastes, de hauteurs, de matière et de densité musicale.
orgue Hampus Lindwall

Dix Ailes (2017-2021): Deux voix de femmes à capella pour une ode à la voix aiguë, tenue, dans ses plus beaux atours sonores.Batterie et console pour soutient, support sonore à l'appui.Les cymbales en harmonie, des vrombissements amplifiés pour créer une impression très sensible de raz de marée, d'éclaboussures, de jaillissements. De beaux effets de voix de tête, des sifflements pour couronner le tout, des raclements pour que rien ne soit lisse ou des plaintes lointaines égarées.Des avalanches de sons aussi ou les deux voix persistantes se renforcent comme des appels ou des cris!


composition et électronique Clément Édouard
voix Linda Olah et Isabel Sörling
percussions Julien Chamla

jeudi 7 octobre 2021 — 20h00
Eglise Sainte Marie à Mulhouse

 

mercredi 6 octobre 2021

"Larsen C": une danse fondue à l'outre-noir, scintillante volute de matière lumineuse.

 



Christos Papadopoulos
Grèce7 interprètes création 2021 Larsen C

Si la vie est un songe, qu’en est-il de nos perceptions ? C’est en posant cette question que Christos Papadopoulos s’est engagé dans Larsen C. Une pièce énigmatique rythmée par le mouvement des corps. L’écriture souple et structurée du chorégraphe grec se joue nos habitudes et cultive la déroute des sens.

Elvedon (2015), Opus (2016), Ion (2018). En trois pièces Christos Papadopoulos s’est fait une réputation. Interrogeant le rapport de l’individu au groupe, le chorégraphe grec développe une esthétique fondée sur des séries ininterrompues d’ondulations du corps et de micros-mouvements opérant par glissements successifs. Une écriture rigoureuse et hypnotique qui combine géométrie et minimalisme aux phénomènes optiques. Sa nouvelle création interroge la façon dont on voit les choses : ce que le regard nous cache, comment la vitesse ou d’autres éléments peuvent affecter nos perceptions. Ces questions mènent la danse vers d’autres aventures sensibles. Christos Papadopoulos orchestre avec maestria cette déroute des sens à la fois ludique et structurée. Trajectoires déviées, mouvements décalés, répétitifs ou saccadés, ralentis ou accélérés, tout concourt à troubler les repères. Démarche où l’on retrouve l’un des objectifs du chorégraphe : « Je veux que mon travail reflète le mouvement intérieur de la condition humaine, que ce soit dans un élan abstrait ou un simple geste. Un mouvement qui part de l’humain et y revient. »  

La danse y sera fluide, onctueuse, délimitant des contours lumineux aux corps se fondant dans des sculptures façonnées,mouvantes, obsédantes, hypnotiques. C'est d'un fondu au noir que semble naitre ce geste récurent de lenteur et d'onctuosité, habité par des créatures vêtues de noir luisant, satin de soie ou cuir souple scintillant. Glissant sur le sol en saccades légères impalpables, discrètes, faisant naitre des formes étranges et monstrueuses de corps tronqués, fauchés par la lumière. Danse solo ou danse chorale fascinante, ondulations sismiques , petites déambulations de dos ou regards de face sidérants d'étrangeté figée. Chaque segment du corps voyage dans la lumière, entrelacs incessants de directions infimes, en décalages tectonique.Bestiaire fantastique ou sacré ondoyant en torsion, volutes ou vrilles, aspiré, attiré par des forces aimantées. Mains et doigts, poignets volubiles ciselés dans la lumière noire, suspendus, en apesanteur.Vagues, ressacs de mouvements ondulatoires générant une dynamique fluide et apaisante.Des unissons nivelées ponctuent cette architecture mouvante, opaque qui prend de plus en plus d'amplitude au cour du déroulement sempiternel de la pièce. Pieuvre à bras tentaculaires qui se meut comme une meute docile d’extra-terrestres dans un monde plongé de mystères hiératiques.Sur fond et dans un bain d'univers sonore, tissu de bruitages discrets, puissance ascendante de tension musicale . La persistance des regard fixes défiant les rayons d'un phare lumineux dans des nuées de brumes sur fond d'orgue puissant.Tels des derviches possédés, les danseurs se fondent dans une atmosphère aquatique où au final, un corps , tel une huitre qui baille, entrevoit une issue dans l'obscurité retrouvée. 


A Pole Sud les 5 et 6 Octobre avec le Maillon

mardi 5 octobre 2021

"Nous entrerons dans la carrière" et dans la postérité! Bleu, blanc, noir! Une évocation bien "constituée" de la révolution-désastre!

 

NOUS ENTRERONS DANS LA CARRIERE

du Vendredi 1 Octobre 2021 au Samedi 9 Octobre 2021
Durée 04:00
SALLE GIGNOUX au TNS STRASBOURG
 

Avec Saïd Ghanem, Pauline Haudepin, ,Neil-Adam Mohammedi, Mélody Pini,
Souleymane Sylla, Claire Toubin.....
 
La nouvelle création de Blandine Savetier interroge le désir de révolution dans un monde en crise. Comment vivons-nous des transitions historiques qui nous dépassent, la tension entre le temps de l’histoire et celui de l’individu? En s’appuyant sur de jeunes acteurs et actrices de toutes origines, le roman Le Siècle des Lumières d’Alejo Carpentier, et la vie de Jean-Baptiste Belley, premier député noir à la Convention, elle confronte les aspirations à la liberté et l’égalité héritées de la Révolution française, avec les désillusions sur le monde d’aujourd’hui. Pour elle,
le théâtre est le lieu où une communauté institue sa confrontation avec l’Histoire. Face au risque d’effondrement, que faisons-nous de notre désir d’un monde différent ?
 
La scène est architecture de cartons cubiques empilés savamment, étagères, praticables et autres structures amovibles comme un terrain de jeu architectonique en devenir.C'est un cortège chantant qui fait irruption, descendant des gradins, hallebardes et trophées révolutionnaires au poing: une tête décapitée, une cocarde tricolore: on est déjà dans "le bain de sang" de ce qui sera révolution, terreur."Je décrète" la mort du père,  la soumission et autres entraves à la liberté d'expression sera un joli leitmotiv pour introduire ce cahier de doléances aux flux et reflux incessants de revendications, de certitudes, d'engagement. Époque troublée et troublante restituée ici avec jovialité, entrain, allant, sans cesse réactivés par l'enthousiasme et la verve des neuf comédiens, galvanisés par leur jeunesse, leur sincérité.Les trois coups inauguraux pour fonder aussi l’existence du théâtre, l'endroit déjà désigné pour attester des situations sociales et économiques.La Convention et tous les régimes éphémères qui se relayeront font office de cible et "la constitution", fer de lance de la politique menée de bras de fer par un-une émule de Robespierre, Victor, le futur commissaire de la République!"Aux armes citoyens" sera le lieu de chants métissés rap, slam ou canon et unisson remixés pour l'occasion en chants toniques, encourageants ce petit cénacle pour vaincre et combattre l'esclavage! Bleu, blanc, rouge et noir pour cette fresque signée Blandine Savetier dont les contours avancent à grands pas dans un soulèvement, un "élevez-vous" à la Didi Huberman..Très convaincant: danse du vin fraternelle et enjouée, costumes chamarrés ou à l'occasion campant des personnages typés, historiques pour habiller et vêtir discours et prises de paroles.Danton, St Just, Robespierre, les Pieds Nickelés de l'Histoire sérieuse, frondeuse, peuplée de scélérats, de tricheurs, conspirateurs zélés.Saint Domingue comme plaque tournante du récit, des rebondissements, de l'action qui ne cesse d'avancer dans des décors qui se déstructurent à l'envi: tribune, bateau et figures de proues emballées dans le tissus des drapeaux français, de la nation, du slogan "liberté, égalité, fraternité qui prend ici tout son sens. L'enthousiasme et la jeunesse des comédiens pour engagement suprême, innocent, naïf parfois, hormis ce Victor -excellente Claire Toubin- autoritaire et ambitieux...Des duos filmés aussi pour prendre un peu de recul dans cette actualité brulante de révolution des astres qui fait trois petits tours et puis revient, éternel retour!Des pics épiques comme salves ou hallebardes, un rythme soutenu quatre heurs durant pour aligner des performances d'acteurs déjà bien rodés au plateau.Fraternelle icône de la camaraderie ou de la trahison; le duo entre Esteban le cubain et son complice "espagnol" franc maçon est touchant, les monologues très convaincants de tyrans, de patriotes....Belle rhétorique, pour ce "united colors of révolution" qui donne à réfléchir sans infléchir ni fléchir, tête haute, coupée certes par l'invention de la guillotine!Un chant de l'abolition de l'esclavage comme apogée, au zénith de cette confession sans concession sur la révolution "française" hors les murs....Scandée, balancée, swinguant comme une mélodie de gospel song!  Le décor signé du scénographe Simon Restino gronde sous les salves des batailles alors qu'une sirène ampoulée de vert luisant s'agite et séduit la mer des Caraïbes...La danse de réjouissance ponctue judicieusement le spectacle, chorégraphies sautillantes, rebondissantes où chacun va de son inspiration. Les comédiens, tous arborant enthousiasme, spontanéité et profondeur, touchant à une thématique trop souvent occultée: la révolte, le soulèvement dans la dureté implacable du politique, incorruptible bible des mouvements sociaux: un bel hommage à des "inconnus" JB Balley et autres acteurs virulents et philosophes de cette époque troublée...Albert Soboul ne renierait pas cette fresque , ni Mathiez !
 

samedi 2 octobre 2021

"Talking Music": ouvroir de musique potentielle! Conte à rebours des temps modernes!

 


Philip Venables / lovemusic

vendredi 1 octobre 2021 — 20h30
Cité de la musique et de la danse

Une parole libérée : c’est dans le registre du storytelling que Philip Venables s’illustre sur les scènes de la création musicale. Entre intimité et vie publique, enjeux identitaires et engagements politiques, le compositeur nous démontre que tout peut être dit en musique.

L’entretien intime est le motif de ce concert d’un nouveau genre, à mi-chemin entre la séance psychanalytique et le talk-show dramatique. Projetés à l’écran, incarnés sur scène et modérés par un maître de cérémonie, les récits à la première personne sont omniprésents. Ils font le lien entre les oeuvres, mais pénètrent aussi en profondeur la matière musicale, lui servant de modèle et de contrepoint.

Judicieuse idée que de faire un concert agrémenté de commentaires anecdotiques et fort intéressants sur la genèse des œuvres et des rencontres entre le compositeur fétiche du groupe Love Music , le public et les artistes convoqués sur le plateau, au creux d'un divan cosy, à exprimer leurs passions et motivations C'est vivant et conduit de main de maitre par un monsieur Loyal vêtu d'un pantalon vert et chaussé de talons hauts blancs du plus bel effet.Il sera le lien du spectacle, tissant les entrelacs distingués d'une oeuvre métissée, riche, foisonnante comme ces quasi trois heures de délectation.Raconter des histoires, faire en sorte que les textes empruntés à différents auteurs soient parlés, écrits, chantés est un chalenge musical, rythmique.C'est Philip Venables en personne qui se prête au jeu du dialogue et de l'échange!Cadeau que cette poésie théâtrale qui chante le genre, la voix parlée, le politique, le "personnel" de la vie du compositeur qui se livre pudiquement aux regards et à l’ouïe des spectateurs.

Philip Venables
Klaviertrio im Geiste (2011): quatre mouvements en hommage à la musique de Beethoven, l'"esprit" de son oeuvre, sonate de chambre pour trio-piano-violon-violoncelle- en adagio langoureux, discret, scherzo vibratile; rondo ténu, suspendu, aérien, féérique.

 
My Favourite Piece is the Goldberg Variations (2021) création française

C'est l'accordéon de Andréas Barregard qui opère à présent sur le mode confidence narrative, bordée du texte en sur titrage.Le tout ponctué de sonorités, tel un troubadour, colporteur de chapitres espacés pour conter une histoire très personnelle de famille "dégenrée", autobiographie haletante et très prenante. Le charme du conteur opère, touchant, vibrant de sincérité pudique mais bien affichée!


Numbers 81–85 (2021) création mondiale
Numbers 91–95 (2011)
Numbers 96–100 (2021) création mondiale
Illusions (2015) création française

Une oeuvre historique et inouïe fait suite dans le parcours du compositeur qui se plait à raconter, prolixe,  en compagnie de Romain Pageard Pygmalion de cette soirée de maïeutique musicologique, les sources et inspirations de son processus de création."Autochirurgie" "Dehors"....Autant de chapitres brefs pour un recueil de pièces courtes, de "nouvelles" incongrues où le texte nous guide constamment, affiché dans des polices de caractères, une calligraphie changeante, tel l'Oulipo ou autres figures de style littéraire...On l’entend dans la poésie révolutionnaire et fantasmagorique des Numbers de Simon Howard, auquel le compositeur consacre un cycle, comme dans la lettre du militant américain Sam Melville, en écho aux émeutes de la prison d’Attica où il laissa sa vie, sublimée par la musique de Frederic Rzewski.Musique lente, douce, profonde soulignée par des mélodies chantées, psalmodies : ce "courage émotionnel" de l'interprète Grace Durham faisant merveille! Et l'on file pour le clou du spectacle "illusions" introduit par Adam Starkie: un déferlement de paroles nues et crues de David Hoyle, clown démoniaque au franc parlé époustouflant de vérité , portrait vidéo aux couleurs criantes, burlesque ou satanique, selon!Dans Illusions, œuvre initiée lors des élections britanniques de 2015 et finalisée en 2017 à l’occasion des cinquante ans de la dépénalisation de l’homosexualité en Angleterre et au Pays de Galles, l’égérie LGBTQIA+ David Hoyle affirme dans ses divagations prophétiques que l’art peut bouleverser les mentalités : « Ce soir, la vie qui est en vous sera réfléchie dans l’art dont vous êtes les témoins. » On en prend plein la face et cette tonitruante conclusion en épilogue de cette soirée, fait mouche, questionne, flanque la pêche et ne se masque pas la face!Génération qui gifle, surprend, remue et replace les choses à l' "endroit", à l'envers où il faut être au bon moment.

Une soirée exceptionnelle autour d'un compositeur, conçue et façonnée par le collectif Lovemusic dans la cour des Grands de la musique d’aujourd’hui. Un conte à rebours de toute pertinence, insolence qui gifle et frappe juste.

Frederic Rzewski
Coming Together (1974):dix musiciens réunis, un récitant magistral en la personne de Emiliano Gavito à la voix stoïque, grave toujours en équilibre imperturbable durant toute la pièce.Litanies où voix-texte et musique se rejoignent, se rencontrent en leitmotivs qui se répètent, viennent et reviennent éclairer le champ musical pour border le texte en flots continus.Les mots infléchissent la musique qui s'y plie et replie à l'envi en tension continue et ascendante. Ce récitatif est de toute beauté, retenue puis éclatant dans une apogée tonique surprenante.Très rythmée, la pièce tient en haleine comme un rituel, une cérémonie solennelle où chacun tient le ton et ne cède pas.

Collectif lovemusic
voix | Grace Durham
flûte et récitant | Emiliano Gavito
clarinette et récitant | Adam Starkie
violon | Jacobo Hernández Enriquez
violoncelle | Lola Malique
alto | Léa Legros Pontal
contrebasse | Charlotte Testu
trompette | Valentin François
trombone | Adrian King
piano | Lise Baudouin
percussion | Rémi Schwartz

accordéon | Andreas Borregaard
comédien | Romain Pageard
mise en scène | Oscar Lozano Perez

A la Cuité de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival MUSICA

"Devenir imperceptible" : le chant de la terre.

 


Devenir imperceptible est une pièce paysagère où le sonore se joue de notre perception. Seule au plateau, l’interprète-danseuse évolue dans un environnement composé de mille-cinq cents litres d’écorce de pin, d’appeaux et de tuyaux d’orgue, mais aussi d’un étrange instrument inventé pour l’occasion : l’engoulevent, du nom d’un petit oiseau nocturne dont le plumage est un camouflage parmi les écorces ou les feuilles mortes. La scénographie se transforme en paysage sonore – géographie fantasmée. Les récits sont multiples, purement sensibles : essayer de parler oiseau, chercher à se fondre dans l’environnement, y disparaître, hésiter entre la vue et l’ouïe, danser.

Des sifflets dans l'obscurité tenace, des oiseaux comme des appeaux lointains, un cor-tube qui résonne suspendu..Le tableau sonore est éclairé par une lune timide rougeoyante.Dans cette pénombre persistante, inquiétante, se dessine une silhouette gracile qui oscille avec les sons qui s'accumulent en couche sonore, peu à peu.Une forma humaine se distingue au coeur d'un rond noir, flaque, lac opaque sur le plateau.La musique se fait obsessionnelle, répétitive et sourd d'instruments bizarres: tuyaux d'orgues reliés par des câbles emplis d'air.Une danse aérienne fait trace dans l'espace, silhouette noire, découpée sur fonds de craquements sonores: ceux de débris de pommes de pin jonchant le sol; insecte ou araignée, le corps se pose, s'arc-queboute sur des sons de gants de plastique broyés.Le cercle sacré de chamane inquiète et la créature en fait le tour, troublée, hésitante.Le son de ses pas dans les écorces de pins brunes.Crissements, avalanches feutrée, tonnerre , éboulement minéral qui gronde et menace.Lac ou plate bande, ce rond de sorcière intrigue tel du land art à la Richard Long ou Serra. Le corps en déséquilibre, oscillant ou semblant s'effondrer...Des mouvements brefs, anguleux l'animent comme des secousses sismiques, soubresauts, sautillements toujours dans un déferlement sonore diffus. Ça dégringole, se fendille, baille à l'envi offrant failles et brèches comme des claquettes contemporaines sur le sol hérissé.Le tapis d'écorces de récupération comme piste de dance-floor!Un filet délivre cette pêche miraculeuse en un rouleau d'automne; la créature étrange s'y vautre, échoue sur cette surface accueillante, lit de feuilles mortes, mi ensevelie dans la terre; elle trace ses marques, formes reposoir au sol pour sa tête.Scarabée sur le dos, ses pattes s’agitent sur un son d'alerte: pause-statue immobile, l'animal-femme au cou bleuté d'oiseau de nuit Vision onirique d'un paradis, symphonie de sons, polyphonie acoustique irréelle.Recroquevillée au sein de cette terre fertile, ce compost végétal d'arbre caduc, la bestiole avance, progresse, vit et nous regarde!Esthétique, sonorités incongrues pour un spectacle hors du commun, émouvant, attachant.Pauline Simon en hybride dégenré pour révéler les sculptures de Bastien Mignot sur des terres inconnues...

mise en scène et musique Clément Vercelletto
interprète Pauline Simon
scénographie Bastien Mignot

lumière | Florian Leduc
lutherie | Léo Maurel
conseil costume | Valentine Solé
regard extérieur | Madeleine Fournier

création mondiale

Au TJP le 1 OCTOBRE dans le cadre du festival MUSICA