"Sentinelles silencieuses et invisibles dans le gris du ciel, les anges veillent sur la vie des habitants de Berlin, à l’ombre d’un mur qui sépare encore le monde en deux. Ils sont là depuis la nuit des temps, omniscients et bienveillants, à l’écoute des tracas quotidiens et des angoisses existentielles de l’humanité. Aucune pensée ne leur échappe. Seuls les enfants et quelques êtres d’exception – des anges déchus ayant renoncé à leur éternité pour endosser la condition humaine – peuvent sentir leur présence éthérée."
Cette tentation du « grand saut » gagne l’ange Damiel, fasciné par les aspirations et la grâce d’une jeune trapéziste contrainte d’abandonner son cirque itinérant. Par amour pour elle, il décide de se couper les ailes et d’accomplir sa chute pour enfin goûter à l’existence humaine et s’éveiller au plaisir des sens. Pour sa première grande forme chorégraphique, Bruno Bouché reprend la trame narrative et les motifs emblématiques du film-culte de Wim Wenders avant d’explorer le mystère de l’incarnation en seconde partie – développement du « à suivre... » qui clôt le film. Cette grande fresque, réunissant l’ensemble des danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin, balance ainsi entre évocation poétique et exaltation du corps en apesanteur.
Vol au dessus d'un nid berlinois
C'est l'évocation du film de Wenders qui fera la matière de ce premier volet: la "grande ville" , vue du ciel par les anges et par l'émerveillement , l'état cotonneux de Bruno Bouché, provoqué par cette œuvre kiné-matographique qui conte "la beauté simple de la vie quotidienne". Qui mieux que la danse pour faire gouter les sens, rendre palpable la conscience du vécu, des saveurs du désir. Une danse poétique, abstraite qui traverse la dramaturgie de l'histoire européenne à travers la ville de Berlin, personnage à part entière: pulsion de vie, incarnation des corps dansants, théâtralité au cœur de l'émotion. Dans cet instinct de "fabrication" chorégraphique qu'est l'improvisation, nait l'inspiration, l'audace pour ne pas fixer les choses dès le départ. Le texte de Peter Handke est évacué au profit de son "esprit",son flux, son obscurité.On sent l'émerveillement de Bruno Bouché, sculpteur des corps,la trame bouleversante de la pièce où l'on perd ses appuis mais où l'on retrouve aussi la vie en noir et blanc, grisâtre, l'imaginaire des anges...La spiritualité de la musique rejoint le tout, y adhère,contribue à semer la présence de ce "spectre" de la danse et lui "donne des ailes"!C'est en prologue, la grande ville "au ralenti" où les corps s'étirent, tous en longues gabardines grises, parmi des cubes parsemés sur la scène...Une belle unisson qui se façonne, se défait à l'envi.Et plonge dans l'atmosphère du film qui inspire ici les pensées de Bruno Bouché.Un déferlement d'hommes et de femmes tous en "couleurs"en diagonale tranche dans le vif et fait contraste, modulation, surprise. Musique répétitive à l'appui pour rendre cette course folle contre le temps et la montre, encore plus crédible, "dramatique". Des personnages se profilent, chacun évoquant une "figure" du récit des "ailes du désir" sans pour autant que la trame soit respectée point par point. Se glisser entre les mailles du filet pour métisser les styles et les genres de chaque interprète ciblé.La "trame"et la chaine pour instaurer un climat, des états de corps, peut-être proches de ceux ressentis par le chorégraphe lors de la première vision du film, rencontre avec l’œuvre cinématographique...La narration avance, la dramaturgie signée Christian Longchamp, respectant une montée en tension: une scène emblématique très "sexy"à la "Boléro de Ravel" façon Béjart nous plonge dans l'ambiance berlinoise.Ambiance nocturne de boite de nuit où les corps tanguent, se lâchent, se donnent sur fondu de lumières rougeoyantes....
" Il ne m’est pas aisé de traduire en mots mon désir de mettre en scène et en mouvement Les Ailes du Désir. Je ressens que la danse offre une énergie, une vibration particulière à toutes ces sensations, ce goût, cette force de vie, cet étonnement quotidien que vit l’humain. Le souffle, la suspension, l’élan, la chute, la chair, le toucher, le saut, la terre… Je souhaiterais que la danse rende hommage à ce film précieux, donne corps à sa puissance poétique." Bruno Bouché
"Der Himmel über Berlin": les lumières de la ville où les anges ne brûlent pas leurs ailes!
Icare s'effondre et renait de ses cendres durant la seconde partie où c'est l'univers céleste qui prime: lâché d'anges en chemises blanches, suspendus aux cintres, duos célestes, manèges énergiques et fougueux où la foule se soulève sur fond géographique du plan mouvant de la ville de Berlin.Scénographie très inspirée qui place le corps au sein de la cité, géopolitique d'une chorégraphie tracée au cordeau et très orchestrée.Des anges bondissent, se libèrent, se portent en duo, comme des électrons libres lâchés sur la piste du grand cirque de la vie!De très belles lumières inondent les corps mouvants et confèrent au récit des couleurs chaudes et comme autant de corps-écran réfractant la lumière.Des courses folles attestent de la virtuosité des interprètes, souvent occupant le plateau en grappes, en masses compactes de danse chorale: des performances aussi de solistes qui s'égrènent tout au long de cette création originale où la"griffe"et l'empreinte de l'imaginaire de Bruno Bouché laisse libre cour à la poésie! Donner des ailes au récit sans lui couper les ailes, ses envergures singulières, parures mythiques des rêves iconiques païens ou spirituels...Amours ou Belzébuth en "congrès" de chérubins aussi, rassemblés en ode céleste pour fêter les sens et l'essence de la vie: goûter au charme d'être au monde !
A Strasbourg à l'Opéra du Rhin jusqu'au 4 Novembre
"les l du désir" de benjamin kiffel pour l'industrie magnifique 2021 |