mardi 30 novembre 2021

"Yellel": Hamid Ben Mahi-Hors-série- Les couleurs chavirent , la palette est tableau-piège et ce qui re-lie, relit l'Histoire.

 


Yellel

Il a fait des questions d’identité l’un des thèmes majeurs de ses spectacles. Dans Yellel, le nom du village de son père en Algérie, Hamid Ben Mahi chorégraphie un voyage poétique. Une façon de témoigner, à travers la danse, des horizons multiples que les cultures métissées ouvrent à notre temps.   
«  C’est bizarre d’être issu à la fois de deux endroits et de se sentir étranger dans les deux. Comme beaucoup, malgré les années, c’est toujours quelque chose qui me tiraille.  » Figure singulière du hip-hop français, Hamid Ben Mahi a fêté en 2020 les vingt ans de sa compagnie Hors Série. Nombre de ses spectacles sont portés par cette quête identitaire. Tourné vers la beauté du monde arabe, sa musique, sa culture, Yellel s’en fait une nouvelle fois l’écho. C’est en s’appuyant sur un livre d’Amin Maalouf, Les identités meurtrières, que l’artiste bordelais a chorégraphié cette pièce qu’il interprète avec cinq danseurs d’origines et de pratiques du mouvement différentes. Son intention  : réunir une communauté pour faire ensemble le chemin de Yellel. Une traversée en deux temps où les corps résistent avant le lâcher prise, l’ivresse de la danse, la transe, la fête. Pour le chorégraphe, il s’agit de mettre en valeur cette richesse multiculturelle d’aujourd’hui. Une histoire commune portée par les corps, leurs gestes, les musiques et les mots. Une histoire qui se détache des conflits en mêlant danses orientales et urbaines, musiques traditionnelles et contemporaines aux rythmes percussifs, aux tonalités sensibles. 

Ce qui les "relie" ce sont les maillons de leur chaine fraternelle, les liens qui tissent leur danse collective, cette main qui frôle et caresse la blancheur d'un mur en projection, prologue à cette cérémonie rituelle de la passation de l'encens en relais, fumées sorties d'un petit pot de terre du pays...Relais, flambeau, solidarité surement! Mais collectif ne renie pas l'altérité de chacun et les six danseurs signent délibérément leur danse, en solo singulier et unique.Le cromalin est passé par là pour confirmer que les couleurs portées par chacun sont bonnes à être imprimées sut un "bon à titré" chorégraphique !La composition est simple et très organisée; chacun s'en détache, seul, à deux, à trois, en bande de mailles qui se tricotent comme des pas de danse traditionnels, quasi "folkloriques". Les sons des souffles, de l'air que chacun expire en cadence et halètements donnent de l'ampleur, de l'espace qui respire.Frappes des mains, rythmes au diapason d'une unisson qui va et vient, se perd en individualités. C'est toute une histoire qui se raconte, un récit autant parlé, qu'écrit sur le mur ou dans le corps de chacun. Maillages de mots, de gestes imbriqués en architecture mouvante avec interstices pour s'y glisser...ICI tout s'en-chaîne, se relie, élastique et souple tricotage, trame et chaine de mouvements simples, inspirés du hip-hop très "revisité" à l’orientale sur fond de dentelles de moucharabiés. Un magnifique solo à la Polichinelle ou Pétrouchka s'en détache, virtuose interprétation d'une quête d'identité; une autre, femme au bord de la crise de nerf se fait singulière et se détache de la tribu.Sur fond d’icône de patriarche!Essoufflée, mais comblée par ce jeu libératoire et salvateur.Un dernier voyage à Yellel peut-être pour ceux qui se cherchent entre deux continents d'origine? La roue tourne pour eux, au coeur d'une empreinte digitale, un recueillement oblige en grappe serrée, soudée, en ronde pour mieux se concentrer. Danse-contact, appuis, surface, poids sont les fondamentaux de leurs relations corporelles , échappée belle de l'abandon, du don de soi à l'autre.Comme un phare, un flambeau le chorégraphe se laisse aller aux regard des autres, repère, balise : on s'encourage, on s'entraide, on se respecte: la danse profonde surgit qui tangue et s'enroule dans les corps..Encore un très beau solo d'une femme cheveux défaits qui tournoient sur l'axe de son corps mouvant, stimulée par ses pairs.Danse des voiles sur fond d'images pulsatiles en dentelle noire qui oscille en bonne "compagnie" en osmose avec cette communauté qui se questionne joyeusement sur ses origines. Danser l'arc en ciel des couleurs, de la fratrie culturelle, en cercle chromatique sans compas dans l'oeil, avec un fil d'aplomb et un niveau équilibré, stable autant que mouvant. Contempler la mer, de dos, dans le flux et reflux silencieux des vagues qui se dessinent sur l'écran sera leur épilogue, leur final. Encore un rebond en match de poufs, jetés comme des balles, relais de leur union indéfectible à l'unisson de leur pas déterminés.Hymne, ode à l'oubli ou à l'abandon -s'oublier aussi-dans des transports joyeux et collectifs, entre unité et singularité.Électrons libres qui se déchainent, galvanisés par la musique, les applaudissements des spectateurs face aux derniers battles qui soudent cet ensemble chorégraphique, très humain, chaleureux, authentique fresque, trace et signe d'altérité! 


A Pole Sud du 30  Novembre au 2 Décembre

dimanche 28 novembre 2021

"Silences" est d'or ! Concert éclairant sur la notion mystérieuse de silence dans la musique, mené par "mains de maitres" !

 


Et si le silence n'était pas l'absence de son ? Et si le silence était lui aussi musique ?

Dans un parcours du baroque à nos jours, Clément Lebrun nous guide sur le chemin de ces musiques à demi-mots, susurrées, chuchotées, en laissant flâner nos oreilles, toujours à l'affût du moindre son. Un concert tout en surprises, en nuances, en... Chut ! Écoutons !

Et tout démarre de façon classique: l'orchestre entame son premier morceau quand tout à coup surgit un perturbateur qui demande à faire cesser la musique: "silence, on ne s'entend plus"! C'est perturbant et inquiétant; est-ce une répétition, une "générale" que l'on peut interrompre à tout instant? Et bien, non! Ce sera notre maitre de cérémonie, notre Monsieur Loyal qui va tisser du lien et "inter-ligere" les morceaux choisis du programme concocté sur la thématique du silence...Rien que pour son talent d'"animateur" on assiste à cette lec-dem (lecture-démonstration à la Alwin Nikolais) avec délectation, se laissant guider par sa pertinence, son humour, son âme d'enfant émerceillée par toute les facettes de cette "notion" de silence dans le domaine musical! Alors en avant la musique pour notre plus grand plaisir...

Introduction avec Brahms et sa "Symphonie n°1 en do mineur, 1er mouvement" (extrait):Très douce mélodie pour mettre dans l'ambiance du recueillement.Et se mettre en état d'écoute pour mieux saisir la complexité des différents "silences" que l'on peut envisager: celui de Haydn par exemple avec
"Symphonie n°64 en la majeur, 2ème mouvement".Il y a des "trous", des respirations salutaires pour retarder les phrases musicales, pour les suspendre, en apnée, en levée comme sur des oeufs: le silence impose l'écoute: les pauses précieuses nous initient à des changements dans notre comportement d'écoute...Et si les applaudissements étaient aussi silencieux comme dans la sphère des personnes malentendantes? Chose enregistrée car le public se prête au jeu et secoue les mains....En silence!
Va suivre Webern avec "Cinq Pièces pour orchestre, Sehr ruhig und zart": harpe et glockenspiel pour ornement de discrétion pour créer du son posé dans le silence, regardé, observé à l'envi pour créer un univers bien à la Webern, calme et tendre: des chuchotements dans un silence assourdissant comme on "parle en silence"...Au tour de Kaija Saariaho avec "Nymphéa reflection" de 2001: les instruments y chuchotent dans un joyeux désordre doublé d'un texte susurré à peine perceptible, ténu et aérien, volatile...Infime texture sonore pour une sorte d'endormissement, rêve poétique ou peur indicible pour une écoute exacerbée.A Rameau avec "Dardanus, Acte 4 – Scène 2 : Sommeil", de nous émouvoir avec une berceuse, genre universel qui crée des moments de silence, passages obligés comme des "airs de sommeil" en contraste avec son génie de l'orchestre magistral! Il y suggère le silence sans en faire, sur demi-pointes de maitre à danser du roi, : élévation, retenue, sobriété de cette basse-danse générée par l'encombrement, l’empêchement de se déplacer avec aisance tant les costumes d'apparat sont entravants. Et lourds! Grâce et distinction de ces retenues infimes qui semblent flotter, paisibles...
Ravel vient ensuite avec "Ma Mère l'Oye, Pavane de la Belle au Bois Dormant":pavane, danse de l'endormissement, glissades des pieds sur le sol, révérence, réserve des attitudes, postures de dentelles en notes posées comme des couleurs. Flûtes et petits pas mesurés: un régal de retenues, de petits silences suspendus à une gestuelle de danse baroque fertile en surprises, tours et détours savants de niveaux. C'est Schulhoff avec "In Futurum" qui succède à ce ballet, cette valse de conceptions de "silences", imagés et vécus par Clément Lebrun, autant acteur, conteur que musicologue éclairé, chanteur de surcroit et animateur idéal pour un public tout jeune, néophyte ou éclairé! Musique du futur pour orchestre, de vrais silences dadaistes en diable pour ce "tais-toi" fait de signes, de soupirs en suspens qui respirent librement: ponctuation, pondération au menu: sons du sang qui coule dans nos veines, battements de coeur et vibrations à l'envi.Les "soupirs" comme notation de composition silencieuse !
Avec Haydn et sa "Symphonie n°45 en fa dièse mineur « Les Adieux », Finale", ce rythme de coeur qui bat régulier se retrouve, moteur de ce final, tonique avec pulsations, pouls effervescent, totale musique avec vents et cordes: mais, oh surprise, les musiciens s'en vont un par un, pupitre par pupitre pour laisser place à l'essentiel: le silence devant une cheffe d'orchestre étonnée qui continue à battre la mesure en silence devant un parterre vide! C'est drôle et inattendu, le clou du programme peut-être; des adieux pour nous quitter: mais pas encore! car Cage nous offre "Sculptures musicales", une expérience du silence, posé comme une sculpture en rond de bosse, en pertes ou absences de sons à "écouter" comme calme et volupté de la musique absente! Aussi longtemps que l'on peut exécuter du silence perceptible, perturbé toujours par les bruits du quotidien qu'il se plaisait à discerner. Rappelons nous de son 4′33″, un morceau composé par John Cage, souvent décrit comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence »1,2 mais qui est en fait constitué de sons de l'environnement que les auditeurs entendent ou créent lorsque le morceau est interprété3. Le morceau a été écrit en principe pour le piano et est structuré de trois mouvements principaux. Sur la partition, chaque mouvement est présenté au moyen de chiffres romains (I, II & III) et est annoté TACET (« il se tait » en latin), qui est le terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu'il doit rester silencieux pendant toute la durée du mouvement.

Et Nina Šenk avec "Extraits de Shadows of Stillness", de nous embarquer pour une danse sur une corde raide entre bruit et silence pour créer des ombres spectrales d'immobilité, fil ténu de l'écoute avec les cors discrets qui murmurent.Strates, "lasagnes" de sons d'instruments entre bruit et silences: des ombres de l'immobilité s'y profilent, comme une pâte à modeler le son, matériau à transformer: ça plane en envolées linéaires sur l'horizon, ample, savoureux, gouleyante dégustation de musique, comme des nuées, nuages ou brumes matinales qui se répandent, s'étirent, s'étalent dans l'espace! Entendre et écrire dans le silence, c'est la gageure, le pari de la  compositrice, intelligence spirituelle du processus de création.Imaginer la musique sans la produire d'emblée. Et si Beethoven avec sa "Symphonie n°7 en la majeur, 3ème mouvement", était le chantre de cette magnifique séance de sensibilisation sur le silence? Sourd et handicapé par cet obstacle à l'écoute le voici galvanisé par des sons puissants, monumentaux qui défient justement le silence; des coups d'éclats, des surprises, des montagnes russes d’émotion pour créer un tsunami de musique contrastée, elle aussi suspendue aux surprises et chuchotements en contradiction avec des vagues tonitruantes de musique symphonique...

Lucie LEGUAY direction, Clément LEBRUN conception et présentation  


Au PMC par l'OPS LE 27 NOVEMBRE

Silence(s)

Jeune public

samedi 27 novembre 2021

"Vingt Ans": vint le temps d'une valse à vingt-temps, enivrante et exubérante! TAPS bien vivants !

 


Pour fêter ses vingt ans, le TAPS a choisi de vous proposer un spectacle dans la lignée de ce qui compose ses saisons : la mise en scène d’un texte d’auteur vivant. Pour ce faire, il a passé commande à Thierry Simon. La thématique des vingt ans s’est bien évidemment imposée, sans qu’elle soit axée sur l’anniversaire d’un théâtre mais plutôt sur l’inspiration libre de l’auteur à cette évocation. Sur scène, les huit personnages seront joués par des artistes associés, présents ou passés, du TAPS.

Un groupe d’anciens activistes altermondialistes se retrouve vingt ans après sa dernière action, dans la vieille maison de montagne qui lui servait de base arrière. Depuis lors, chacun a suivi son chemin en s’éloignant plus ou moins de ce qui avait fait le ciment de leur union. Certains d’entre eux ont continué à se voir, d’autres ont perdu tout contact. La vie a suivi son cours. Que reste-il de ce passé, de ces liens tissés, de ces idéaux qui donnaient foi et espérance en un monde meilleur ?

La vie  d'avant, la vie d'après....

Un décor de bois, de lambris, l'intérieur d'une chaleureuse cahute avec mezzanine d'un confort rustre mais accueillant: l'antre d'une "clique" qui va s'y retrouver, vingt ans après...On y franchit le seuil avec émotion, curiosité, inquiétude mais aussi désir et impatience: celle d'un rendez-vous inventé pour se rejoindre, se regarder, s'observer, mais aussi se souvenir, se remémorer, se réinventer aussi le temps d'échanges, de retrouvailles...Le "bon temps"? Sans doute mais "pas que" !Celui des scènes que l'on se repasse comme un bon film ou un nanar: était-on sincère, amoureux, attiré, détestable ou hypocrite, soudés ou polémiques...Chacun s'y confie, en solo très réussi alors qu'une mélodie de piano ponctue les états d'âme et de corps, tandis que le groupe se ressoude ou se désaccorde à l'envi, se chamaille ou s'étripe, se contredit, se contrarie jusqu'au rire ou aux larmes. C'est le gâteau de Zélie qui sera le morceau de bravoure, la part d'amour, d'affection, de joie et de partage, la tranche de vie et cerise sur le même gâteau, la réjouissance d'avouer qu'il était bon ou infect avec trop de beurre! Mais comme tout le reste on ne s'est pas tout dit à l'époque du militantisme, du 11 Septembre 2001, du G8 et de tous les combats écologistes avant l'heure. Branle bas de combat où les intrigues vont s'insaller, se disputer la vedette ou le souvenir.Chaque personnage a son caractère, sa couleur, sa texture, ses convictions qu'il défend à corps et à cri ou avec discrétion: mais un vent de tempête souffle toujours même si la lassitude est évoquée, comme fatalité. On oscille de 2001 à 2021 avec aisance, franchissant la ligne d'arrivée tous ensemble autour d'une bonne table où l'on attend le dernier; celui qui ne viendra pas, que le destin a écarté de ses retrouvailles...Ou perdus dans la forêt dans le noir, braquant deux lampes de poche pour mieux se remémorer un amour caché. Entonnant à capella la fin d'une chanson enregistrée sur une vieille K7...C'est tendre et virulent, jamais nostalgique ou lénifiant, brut et joyeux, jovial et cru, toujours très humain et sans fausse note de gout ni de couleurs! Le texte va son chemin, dialogues et monologues vifs et sensibles: chacun y a sa place, sa sensibilité et ce microcosme, tribu d'affinité électives est séduisant et touche. En empathie avec chacun à des instants différents, laissant poindre la finesse d'une écriture efficace, ciblée, musicale et très rythmée, appuyée par une mise en scène judicieuse: le décor aidant à se rapprocher d'eux parmi la modestie et frugalité des ambitions: festoyer en impliquant le public sans s'approprier la paternité du projet TAPS. Toute une famille éclatée, impliquée, partageuse comme leur idéal politique d'agora, de civisme, de soulèvement, d'implication! Entre théâtre et réalité tout se confond et bascule aisément de sorte que l'on fête avec tous ces protagonistes la jubilation de ses retrouvailles que l'on souhaite vivre encore bien des lustres! Longue vie au TAPS et à tous ses inventeurs et fabricants de rêves accessibles et bien vivants.

"Thierry Simon nous fait remonter le temps en leur compagnie et de leurs histoires mêlées naît la peinture forte et drôle d’une humanité en quête de sens."

 

Mise en scène Olivier Chapelet

Avec Cécile Gheerbrant, Pascale Jaeggy, Catherine Javaloyès, Aude Koegler, Pascale Lequesne, Pauline Leurent, Raphaël Scheer, Yann Siptrott

Scénographie Emmanuelle Bischoff

 

"L'étang" sont durs ! Que vienne Gisèle , vilain petit canard des temps, signe-cygne- de beauté étouffée par le joug familial....

 


C’est l’histoire d’un jeune garçon qui se sent mal aimé par sa mère et, au comble du désespoir, simule un suicide pour vérifier l’amour qu’elle lui porte.

S’ensuit un dialogue avec celle-ci, si intime que les limites entre réel et fiction semblent s’estomper. Famille et voisins paraissent bien présents autour d’eux, mais ils pourraient tout autant être le fruit d’un imaginaire agité.

La metteuse en scène Gisèle Vienne déploie subtilement un jeu de perceptions incertaines. Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez interprètent les deux personnages tout en prêtant leurs voix à une galerie d’autres figures qui surgissent du récit onirique. Acclamée par la critique, cette adaptation d’un court texte de l’auteur suisse Robert Walser interroge les strates de la narration. Que faut-il lire et entendre entre les lignes ? Quand notre lecture est-elle de l’ordre de l’intuition, quand relève-t-elle de notre interprétation ? Mouvement et immobilisme, voix incarnées et silences sont ici les éléments d’une composition scénique sensible où se superposent différentes réalités.

Les emblématiques mannequins de Gisèle Vienne sont déjà sur le plateau: figures de jeunes adolescents oisifs en tenue de sport, allongés sur un lit de fer ou à terre parmi un fouillis d'objets non identifiables...Un par un, un manipulateur vient nous les dérober du regard: en restera-t-il un, vivant ? Non, la scène se dénude pour laisser place à deux personnages, pénétrant les lieux à pas de loup, au ralenti dans une énergie douce,pondérée, aux appuis teintés de prudence, d'hésitation. Dans quel univers allons-nous intervenir, nous, public agressé par une musique d'enfer aux décibels augmentés signée Stephen O Malley? Deux femmes sans doute au premier abord, puis s'avère au gré du texte, femme, mères de deux adolescents et un jeune androgyne dégenré, garçon manqué incarné par Adèle Haenel en personne.La démarche lente et pesante laissant libre cours à une gestuelle très alanguie, sensuelle, libertaire exposition d'un corps de blanc vêtu, virginal, éthéré..Il-elle-avoue être délaissé, incompris par sa famille, ses proches, frustré et mal aimé, abandonné, non reconnu.Des souffles et lentes respirations off accompagnent la diction vivante, urgente de cet être paumé, rehaussé par les répliques de l'autre: femme en jean moulant et longue chevelure, gracieuse créature qui fait face ou ombrage à ce pantin mal dans sa peau.Dans ce white cube scénique, vidé de tout décor, les lumière se font froides: bleu, vert ou parfois rose, couleurs fondantes et fluorescente enrobant, enveloppant cet univers étrange et peu "familier" Car il s'agit ici des membres présents et absents d'une famille peuplée d'idiots à la Dostoïevski, entourage non choisi par notre anti héros qui souffre et blasphème poliment. Incarnant plus d'une dizaine de personnages, membre ou proche de cette famille toxique, notre jeune révolté ne mâche pas ses mots et joue avec virtuosité sur plusieurs registres vocaux impressionnants. En écho et réverbération sonore puisant dans des timbres, tonalités, durées variant selon les caractères incarnés.Adèle Haenel se révèle dans un langage corporel engagé, sensuel, maitrisé dans une énergie ponctuée de surprises et modulations très travaillées.Univers bleu, univers jaune, les lumières changent et enrobent le plateau.Elle se vautre languissante sur sa couche métallique sur fondu suave d'éclairages chaleureux.Des bruits et sons de cataclysme opérant pour une ambiance d'inconfort, de vertige, de déséquilibre. Et le texte de sourde de leurs lèvres ou d'une bande son off, étranges personnages virtuels peuplant cette jungle familiale si peu accueillante!Adolescent, garçon manqué à la gestuelle très maitrisée, Haenel fait mouche et surprend, sa voix nous est familière et son talent d'actrice pour le théâtre s'y pose différemment qu'au cinéma.Des pleurs, des chants de sirènes comme ambiance démoniaque, intranquille. L'étang sera ce personnage absent qui semble vouloir engloutir, absorber le malaise et l'incompréhension du monde vis à vis de ce "vilain petit canard" cygne des temps, signe d'étang qui passe et engloutit rêves et cauchemars au profit d'une réalité sombre et implacable: famille, je vous hais, mères je vous déteste, vampires et dresseuses d'animaux obéissants et dociles...

Au Maillon jusqu'au 28 Novembre

vendredi 26 novembre 2021

"Chère chambre": le festin de l'araignée...A la table de parents toxiques.

 


Chimène Chimère est une jeune femme de vingt ans dont on pourrait dire qu’elle a tout pour être heureuse : elle est née dans une famille aimante, a une compagne dont elle est amoureuse et aimée. Pourquoi décide-t-elle un soir de quitter sa chambre et d’offrir son corps à un inconnu sans abri, atteint d’un mal contagieux et incurable ? Comment ses proches vont-ils réagir en apprenant ce geste gratuit, incompréhensible, et sa mort inévitable ? 


Écrite et mise en scène par Pauline Haudepin, la pièce s’ouvre sur un drame familial pour atteindre des dimensions oniriques. La maladie vient secouer les hypocrisies sociales, réveiller les énergies vitales et la soif d’absolu. La douceur peut-elle être plus subversive que la violence ?

Faire chambre à part...

Virginia Wollf écrivait "Une chambre à soi" refuge pour elle en quête d'émancipation..Pauline Haudepin nous livre sa "chère chambre" celle d'une jeune femme condamnée, sacrifiée à ses propres lois inexplicables pour ces deux parents envahis d'un sentiment de dénis insupportable à nos yeux."Hors de question" d'assumer selon eux cette faille béante, cet incident farouche qui ravage leur réputation plus que leur coeur... Nous plongeons dans ce mystère dès la première image sur le plateau: celle d'une araignée rampante, noire, indistincte: le mal, le destin, l'homme infecté qui se répand et rôde...Dans un décor de tapisserie à fleurs roses, la mère , Rose" clame "rose c'est la vie" et l'absurdité de la situation nous renverrait à ce "Rrose Sélavy" de Marcel Duchamp: surréalisme des actes, personnage oeuvre en soi qui produit d'autres oeuvres: sa fille dont elle est fière..Chimère Chimère, double prénom qu'elle porte comme un fardeau prédestiné.Sa compagne Domino renie cette famille vampiriste, dévorante et avoue avec verve et rudesse sa haine de ces liens artificiels et convenus qu'elle refuse.Un personnage étrange fait irruption dans ce contexte, silhouette androgyne, v^tue d'un costume violet, torse nu sous sa veste, rehaussée de talons hauts: exercice d'équilibriste savant, danse étrange, déplacements hésitants La créature fait irruption et intrigue, personnage maléfique, diabolique..Très belle interprétation gestuelle de Jean Gabriel Manolis, danseur, performeur buto en diable!Rose, à fleur de pot, tient la scène, Sabine Haudepin excellente figure caricaturale de la mère abusive, étrangère aux maux de sa  fille, le père, Jean Louis Coulloc'h, lui aussi indifférent ou coupable, se repentit et cherche le pourquoi de ce lent suicide inexplicable.Et encore une apparition de Théraphosa Blondi, pantin affublé d'un robe verte à la Ménines, pantin ou marionnette désarticulée à la gestuelle saccadée. Fantôme errant dans ce décor glamour qui d'une chambre cosy se transforme peu à peu en arène du mal, du déni, du désaveux...Des cadres peints, des tentures rappellent que Chimène peint et se révèle dans cette pratique exutoire face à ses parents toxiques.Libératoire, la danse s'empare de Chimène et de son bourreau, complice dans la mort future inéluctable, mêlée de corps en duo, portés triomphants ou simplement humains, danse-contact de toucher, poids et appuis. Une force entre eux au delà des conventions des attitudes socialement correctes des parents et de l'amante.Danse de chevelure déployées, tournantes, transes pour expurger ce poison parental qui mine et détruit plus que la maladie... Chambre noire ou claire comme il vous plaira, le lieu transpire le rose glamour alors qu'un drame s'y déploie, cynique destin d'un corps qui se brise et s'abime.Le papier peint, tableau , toile des péripéties enrobe, enveloppe l'action, emprisonne ces héros de rien.Une biche empaillée, un poupon sur petit chaise rehausseur, une poubelle comme objet signifiants du sort de Chimène.Le Cid de Corneille en clin d'oeil où le soufflet, est une gifle pour nous, adressée aux bien pensants...Le "sacrifice" fait l'objet d'un très beau monologue que distille Domino, Dea Liane, être et devenir sacrée, victime ou adulée pour ses actes héroïques...Musique douce de piano pour apaiser l'atmosphère tendue et vorace, comme pause, respiration, détente corporelle pour le spectateur transi, sidéré, outré par tant d'inhumanité...Claire Toubin au final, en robe de lumière dans ce vaste parcours terrifiant, belle et radieuse Chimène, au sommet d'un art: celui de comédienne, sobre et magistrale fragilité face à sa mère dévorante, férue de principe, habile manipulatrice.Tout se recouvre de draps blancs, masquants le mobilier témoin de ces actes barbares, linceul recouvrant le silence et la perte proche, la disparition de Chimène. La danse buto de Manolis, divines apparitions démentes, expressionnistes et fabuleuse gestuelle habitée Dominique Dupuy, son "maitre à danser" le silence, ne renierait pas ce Kazuo Ono, plein de mystère, de grâce, spectre dégageant anxiété et douceur, morbidité et résurrection salvatrice. Il semble survivre à ce désastre comme ectoplasme errant dans l'éther, gardien d'une étrange beauté qui séduit la mère: celle qui ose louer "la chambre" à ce jeune homme si attirant...Un acte réparateur égotiste, affront et maladresse de fausse rémission. Une pièce spirituelle et pleine de fondamentaux existentiels!  Ça remue et trouble, monde d'onirisme et de rêves cauchemardesques....

Diplômée de l’École du TNS en 2017, en section Jeu, Pauline Haudepin écrit et met en scène ses textes : Bobby Unborn en 2014, Les Terrains vagues, spectacle présenté au TNS en 2018 et Roman-Photo, créé en 2019. Elle a co-écrit avec la metteure en scène Mathilde Delahaye Nickel. En tant qu’interprète, les spectateur·rice·s du TNS ont pu la voir dans des spectacles de Maëlle Dequiedt et Julien Gosselin. Elle joue cette saison dans Nous entrerons dans la carrière, mis en scène par Blandine Savetier.

 

Au TNS du 25 nov au 5 déc 2021 

mercredi 24 novembre 2021

"Deux amis": homo- sapiens sens dessus-dessous, guerre et paix dans le couple-triolet Nordey-Berling-Rambert !

 


Charles et Stan, deux artistes de théâtre, remontent le légendaire spectacle d’Antoine Vitez de 1978, Les 4 Molière. Ils s’aiment et vivent ensemble depuis trente ans. Un SMS, lu malencontreusement durant les répétitions par Charles alors qu’il est adressé à Stan, va semer la discorde. Ce texte, écrit pour Charles Berling et Stanislas Nordey, est une pièce d’amour et de guerre. Rambert élabore une dramaturgie de l’intime mêlant réflexion sur l’art, déclaration sentimentale, collage de citations, péripétie, scène de ménage, art performatif, humour et lyrisme. Il ne cède pas, à juste titre, sur la nécessité intérieure de livrer « le coeur humain presque à nu » (Stendhal).

Quand deux "géants" de la scène se rencontrent c'est pour mieux rester humbles et perspicaces, à l'écoute de ce qui se passe entre eux, entre eux et le metteur en scène, auteur d'un texte virulent, tendre ou abject!Sur "la société du spectacle" qu'il fustige à travers les mots des deux protagonistes entre autre. Mais revenons à ce qui les unit: l'amour l'un pour l'autre, celui qui les rapproche ou distancie tel une chorégraphie qui les anime, les unit ou désunit dans l'espace, alors que les voix et les propos hurlent ou chuchotent. Entrée radicale sur le plateau où va se joue avec humour un match virulent et sympathique sur les accessoires utiles à leur dialogue: tables et chaises à trouver dans un bric à brac de fond de scène. C'est décoiffant et donne le ton désopilant de la pièce. Rambert y décortique les mécanismes de la communication, de ce qui agace chez l'un, pour l'autre, de ce qui outrepasse parfois le bon sens ou la mauvaise fois. Les voix sont celles de deux athlètes de la diction fébrile, à fleur de peau qui laissent entendre leurs désaccords ou leur complicité amoureuse. La scène judicieusement feinte de pénétration sous la table pourrait être du mauvais vaudeville ou du burlesque. C'est autrement désopilant et ravageur presque à la Molière tant le nu et cru de la situation est renversé par le verbe.La pensée dans le corps, la respiration comme fer de lance dans ce duo-duel à corps ouvert, ils se jettent dans la bataille.Un portable qui trahit son propriétaire et devient l'objet de discorde, de jalousie, d'envie de posséder l'autre de façon exclusive...Un rock destructeur pour expurger les différences...Aller de l'avant, "avancer" comme disait Jerome Andrews aux danseurs sans cesser de se libérer du carcan des acquis et autres obstacles à la connaissance de soi et de l'autre.De la carcasse à l'extase, ce duo fonctionne à plein moteur et Stanislas Nordey dans son petit costume noir très seyant donne la réplique avec malice et fermeté à Charles Berling, le doyen plus posé et serein, capable cependant de s'enflammer, alerte et beau prince. Deux acolytes unis dans l'amour du jeu théâtral, dans la connivence et la résonance du dialogue très bondissant de Pascal Rambert: du taillé sur mesure, haute couture pour des corps débordant d'énergie. Une scène les porte aux nues, Berling gisant sur une table de morgue, Nordey lui prodiguant les derniers soins de toilette des morts..Tendre et féroce comme la dernière scène très clinique où affublés de tenues hospitalières protectrices, bleu clair et légères parures chirurgicales, piéta et autre images christiques saisissantes jaillissent au bord de scène. Faites l'amour et la guerre au lance pierre des mots, des gestes et des postures physiques si engagées que l'on songe à un duo signé Jean Claude Gallotta, le chorégraphe du désir et des passions intimes.

Pascal Rambert met en scène ses propres textes depuis 1980. Auteur d’une œuvre publiée aux Solitaires Intempestifs, dont Clôture de l’amour présenté au TNS en 2015 et Actrice en 2018, il a écrit notamment pour Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Marie-Sophie Ferdane, Marina Hands, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber. Architecture créé au Festival d’Avignon 2019, a été présenté au TNS la même année.


 

 

Au TNS du 24 nov au 4 déc 2021 

"We wear our wheels with pride AND SLAP YOUR STREETS WITH COLOR… WE SAID “BONJOUR” TO SATAN IN 1820" : quand les zoulous font la roue avec fierté !

 


We wear our wheels with pride AND SLAP YOUR STREETS WITH COLOR… WE SAID “BONJOUR” TO SATAN IN 1820

Aussi exubérantes que mordantes, les pièces de Robyn Orlin allient la jubilation à la violence sociale dont elle tient à témoigner. Cette nouvelle création virevoltante est fondée sur un souvenir d’enfance en Afrique du Sud. La chorégraphe y rend hommage aux conducteurs de taxis-vélos, les rickshaws zoulous. 


« Nous portons nos roues avec fierté et nous colorons vos rues… nous avons dit “bonjour” à Satan en 1820. » Tout est dit dans le titre à rallonge qui donne le ton aux pièces de Robyn Orlin. C’est ainsi que la chorégraphe, en synergie avec plusieurs remarquables danseurs sud-africains de la compagnie Moving Into Dance, est entrée en création. L’image des rickshaws zoulous aux temps de l’apartheid conduit le spectacle. Rivalisant de souplesse et de rapidité, redoublant d’inventivité pour personnaliser leur véhicule et leur tenue vestimentaire, les conducteurs de ces taxis-vélos lui « semblaient danser, le corps suspendu dans les airs. » Avec en mémoire ces flamboyants acrobates de la rue, la chorégraphe s’attache aussi à l’envers du décor, creusant la question du colonialisme et de ses suites, donnant au spectacle une puissante résonance politique. Fantasque et iconoclaste, l’artiste sud-africaine a fait de son sens de l’humour une arme décapante pour aborder ces territoires du réel. Portée par cette forme d’activisme artistique, elle réalise ici une fresque chorégraphique qui irradie de ses convictions : « Je n’ai pas le souvenir d’une période où l’art n’aurait pas été en interaction avec le monde… La poésie, la folie et la douleur de nos vies quotidiennes rendent difficile la séparation entre les deux… » 

Décoiffant!

Tel un montage, collage style univers des arts plastiques donc est issue Robyn Orlin, la pièce est unique, façonnée durant la période douloureuse du Covid; un travail "pas comme d'habitude", presque "conservateur", une célébration, un vrai défi fabriqué en quatre semaines de part et d'autres des continents!Très beau visuellement, très abstrait où le public est invité à regarder, plus qu'à participer en interactivité comme à l'accoutumé chez Robyn Orlin!Rien ne semble ici comme il apparait et elle déconstruit les clichés à l'envi. Les costumes y sont pièces montées de toutes pièces, récupérés, chaussures en pneu découpé avec des sons percutants qui "chantent" sur le sol, les tissus sont ceux des clans, les casques, ceux de vélos....Beauté du recyclage, de la reconfiguration pour les danseurs-performeurs habitant ces secondes peaux, ces accessoires, face aux images vidéo.La diversité des sujets abordés serait résumée dans le titre, longue histoire déjà en soi, récit, voyage et anti "fiche de salle" où tout nous serait dévoilé à l'avance...C'est en imaginant ces corps de zoulous tirant les rickshaw, tels des corps suspendus dans les airs ou des anges  qui volent que la chorégraphe fouille la notion de beauté.Une attraction comme un concentré d'apartheid, véhicule de sensations fortes, tels apparaissent les danseurs, bêtes de somme magnifiés par le port de coiffes frangées de plumes, de graines...A la démarche de corps dansants affublés de cornes de vaches, esclaves, conducteurs , héros méconnus d'une époque complexe: leur redonner leur dignité en se reconnectant aujourd'hui aux ancêtres comme un remède thérapeutique C'est décoiffant et audacieux, hors norme, atypique, fantaisiste, transgressif, à l'image de la chorégraphe pétrie d'humour et d'ironie: un mécanisme de survie face à l'absurdité des situations. C'est malgré tout, submergée de tristesse qu'elle crée cette pièce, chevauchée critique des us et coutumes des colons blancs contre les populations esclaves. Les rickshaws comme emblèmes de ce pouvoir....Pas de retraite pour Robyn Orlin, créatrice hors norme de rick-shows room ébouriffants en colors' friday!


Ils nous accueillent sur le plateau, bouquet de couleurs bigarrées, accompagnés d'un chant rocailleux, timbré, profond; émanant d'un personnage généreux et enjoué: une femme débordant d'énergie et de joie, de gravité, communiquant son enthousiasme et créant d'emblée une forte empathie avec le public nombreux rassemblé ce premier soir de représentation à Pôle Sud.Un cercle chamanique se forme, dansant à l'inverse des aiguilles d'une montre, cordon reliant les uns aux autres cette tribu joyeuse aux accents débonnaires: au centre chacun y fait son battle, danse rituelle, gestes saccadés...Une once de hip-hop, de cascade, de virtuosité non feinte, toujours habitée, vécue au fond des muscles, de la chair.Sur fond d'écran vidéo, en plongée on peut apprécier les péripéties gestuelles des uns et des autres, en écho, en images comme une mise en abime sur un miroir réfléchissant. Vertige d'une perspective audacieuse sur l'écho visuel, toujours ourlé d'un cadre moiré de touches colorées comme un ourlet, une lisière de tissu. Car ce tissu, ces costumes chamarrés sont de toute "beauté" comme sur un étal de marché où les matières, les couleurs frappent l'oeil, les sens en alerte pour tisser et métisser, trame et chaine d'une histoire contée rien que par les déplacements, les mimiques, les tours de passe-passe sur des agrès où sont suspendus cannettes de coca et bouteilles , témoins des temps modernes mais aussi objets de récupération sonore judicieux.On est au coeur d'un cirque, d'une arène où les enjeux poétiques se révèlent politiques: scansions des pieds nus, spirales enrobées, transe et puissance de la danse, ancrée, terrienne, terrestre. Aérienne aussi , flamboyante sur fond de lignes colorées, parallèles en image vidéo qui reprennent le motif du tissu comme une composition picturale de Gerhard Richter.



Éric Perroys créateur des images en cascade
 Démultiplication d'images sur l'écran comme effet de profondeur et de strates, chronophotographiques, compilation d'icônes, surenchère de perspectives rythmiques à l'appui.Beaucoup de monde, foule bigarrée sur l'écran qui nous fait des clins d'oeil.Une cheffe de choeur pour animer le public qui joue le jeu de l'empathie et répète à l'unisson son et gestes balancés Ça balance chez Robyn Orlin: tel un joug de boeuf, une tringle abrite les danseurs suspendus, masques de bovins, cornes de boeuf ou de bêtes de somme: comme ces rickshaw man, esclaves, le corps courbé par le poids de la tache.Beaucoup de malice et d'humour décalé autant dans la danse, les costumes ou les images animées  pour brosser un contexte grave, tendu où l'archéologie se révèle en palimpseste de gestes archaïques, de sons, de chants profonds venus du corps-instrument de la divine chanteuse, ramassée, concentrée et si généreuse!En conteur, bateleur, harangueur notre Monsieur Loyal de la soirée fait passer le message: pas de morosité mais une diabolique narration débonnaire par cet alpagueur de foule, sur fond de parade de cirque, de batterie live Tel un jeu de baby-foot aux rangées alignées, les images se chevauchent, s'animent, s'articulent et les effets vidéos sont omniprésents et de toute beauté et inventivité.Des séquences animales, chevauchées hénissantes imitent ces rickshaw-men lâchés dans le flux de la course: la dompteuse natte au vent comme une queue de cheval, comme un fouet circulaire les dirige et les conduit au delà de leur sort à se dresser, se soulever sans heurt face au pouvoir dominant des blancs 
 

Car la fable est simplet claire: dénoncer l'apartheid, le racisme se tisse en toile de fond comme tous ces costumes chatoyants qui militent pour une cause grave et puissante. L'art comme arme et lame de fond d'un courant de soulèvement des corps dans des transports enthousiasmes et contagieux: que la danse est belle à nous conter l'Histoire en icônes débridées sur un marché de couleurs tapantes et joviales !


A Pole Sud jusqu'au 25 NOVEMBRE

samedi 20 novembre 2021

Biréli Lagrène, Lionel Loueke" création": jazzdor au zénith ! Croiser les cordes pas les pouces!

 


Considéré depuis sa prime jeunesse comme le guitariste le plus doué de sa génération à perpétuer l’héritage de Django, Biréli Lagrène n’aura cessé d’ouvrir grand les portes de sa tradition aux musiques 
du monde entier. Revisitant la guitare jazz au prisme des musiques africaines, le Béninois Lionel Loueke s’affirme de son côté comme 
l’un des plus grands réformateurs de l’instrument apparu ces dernières années. Leur dialogue inespéré s’annonce comme la matrice de beautés hybrides inédites.

Quand deux géants se rencontrent grâce à l'initiative osée de Philippe Ochem, directeur du festival JAZZDOR, c'est à un petit miracle rarissime que l'on assiste: solos, duos rien que pour nous, pour eux, complices de ces instants magiques devant une salle comble à Schiltigheim, la Briqueterie!

Un concert de clôture de toute beauté artistique, mêlant inventivité, audace, résonances inédites sous les doigts agiles et véloces de chacun des protagonistes de cette soirée unique.Les harmonies se fondent, les timbres s’emmêlent joyeusement, se répondent, les guitares à l'affût d'un effet discordant, ou au contraire en réponse, symbiose Chasseurs de sons, aventuriers de la cadence, des hauteurs qui s'entrechoquent et puisent dans des métissages sonores incongrus, surprenants, désaxant notre écoute ou nous berçant dans des rythmes accomplis de grande maitrise tonique, dynamique. On se plait à songer à la chance qu'on a d'écouter deux "stars" du jazz, pas vraiment modestes mais pleines de générosité et pétries d'un talent sans jamais "croiser les pouces" mais "les cordes" pour s'accorder, corps à corps, corps raccords puissants de musique: pour le meilleur d'une soirée partagée, concluant la programmation de la 36 ème édition de Jazzdor! Une belle équipe soudée autour d'un projet musical audacieux, une ligne éditoriale faite pour éclairer notre perception du jazz d'aujourd'hui! 

Croisons les doigts pour de futures et prolixes éditions!

 ven. 19 nov. 2021 20H30 à la Briqueterie à Schiltigheim

vendredi 19 novembre 2021

"With a smile" ....is beautyful ! par l'OPS. Chaplin, homme orchestre kinéma-tographique en diable....Filmphilarmonie oblige!


 Indissociable de ses films, la musique a toujours fait partie de la vie de Chaplin : dès son plus jeune âge depuis les coulisses en observant ses parents sur scène, puis en travaillant dans les théâtres tout en apprenant le violon et le violoncelle. Autodidacte, il composera des partitions symphoniques (notamment pour Les Lumières de la ville et Les Temps modernes qui seront jouées lors du concert). C’est d’ailleurs pour sa musique dans Les Feux de la rampe qu’il recevra son premier Oscar en 1973. Ce ciné-concert pose un autre regard sur l’un des plus grands artistes du XXe siècle, sur scène et sur grand écran, à travers des arrangements inédits, des interprétations de ses plus grands chefs d’oeuvres (Le Dictateur, La Ruée vers l'or, Le Kid...) et des séquences iconiques et exclusives, issues notamment d’archives privées.

Jamais l’appellation "ciné-concert" n'aura pris autant de sens que lors de ce concert exceptionnel devant un public enthousiaste et réceptif, de tout age, de tout bord! Chaplin musicien, compositeur, acteur-danseur, clown et pantin de nos cœurs: un génie, démiurge de la mise en scène, méticuleux fabricant de gestes, de rythmes, de musique et de danse: le spectacle "total" ce soir là dans la grande salle du PMC crève l'écran. Chaplin en noir et blanc tout d'abord pour ses débutes en première partie d'un programme soigné, riche en documentation et références rares et délicieuses évocation d'une carrière entièrement vouée au spectacle, au divertissement cinématographique de haute voltige.Vagabond affamé, plein de malices et d'agilité, de ruse et de manigancerie, doublé par une musique pleine de suspens et de rebondissement, bâtisseur habile plein de dextérité, d'habileté, rapide comme l'éclair...Autant de scènes cultes ou inédites où Chaplin construit son personnage légendaire; pas encore de haut de forme, de canne ou de démarche, les pieds en ouverture, mais un corps musicien trempé de rythme, de saccades, de cadences folles à vous couper le souffle! La musique épouse, borde les péripéties, rehausse l'anecdote ou le gag, la narration, l'histoire de ce personnage unique et multiforme, si charmant, attachant, désopilant. La grâce l'habite, le hante,la rigueur l'obsède, maniaque exécutant de ses fantasmes, de sa fantaisie, de son côté androgyne, grimé par la délicatesse d'un maquillage cerné, appuyé, expressionniste , surligné, opérant pour exprimer toutes les facettes des sentiments et des sensations. Kinéma-tographique à l'envie, ce corps se démène, explorez l'espace du cadre, repousse les limites de la virtuosité; clown, équilibriste, circassien, grimpeur de corde ou de rideau...Un artiste rarement aussi complet, auteur de ses films, de la chorégraphie et bien sur de nombreuses musiques."Les temps modernes" comme film phare, emblématique de son génie du rythme, du mouvement, de la glissade autant que de la science fiction anticipant sur le modernisme, la machinerie, les engrenages.."Le Kid" pour nous rappeler la détresse de la vie, l'amour paternel et surtout la dramaturgie omniprésente du contexte. La musique arrive à bon point et ne cesse d'accompagner la partition visuelle pour ne faire q'une avec danse et expression du corps animé.Il faudrait tout citer tant la ligne éditoriale de ce concert est intelligente, construite et rebondissante dans les choix: Charlot barbier sur la musique des danses hongroises de Brahms est un morceau de choix, tant sons, rythme et sens sont voisins, complice en osmose totale sans fausse note de ton, de cadence, de  virtuosité visuelle. Après un entracte, suit une partie plus consacrée au personnage, musicien, acteur, conteur, acrobate. Une facette moins connue et d'autant plus pertinente qu'on n'en saura jamais assez sur ce démiurge des temps modernes.Les lumières de la ville, la danse des petits pains, le cabaret dansé de "Titine ho ma titine" galvanise l'acteur et le public rendu complice des actes farfelus, dangereux, tendres de cet aventurier en diable. Du coin de l’œil -caméra- ,près des bons et levées corporelles musicales, des silences qui parlent, des retenues ou des emballements frénétiques des gestes, postures et attitudes, on se réjouit, on se surprend à le découvrir dans cet inventaire-compilation savante et recherchée de livre d'image, de flip book, pop-up,pêle-mêle ou léporello cinématographique et musical!La danse libre d'Isadora Duncan pour "une idylle aux champs"ou Nijinsky comme source d'inspiration, la danse classique pour mieux faire corps et sens avec la mise en scène, les sentiments, les hésitations de tous ces personnages qui peuplent l'écran et l'orchestre. 


Et le "moon walk" en sus !


Un régal qui n'en finit pas d'enchanter, d'émouvoir, de déplacer notre perception sensorielle pour animer nos âmes d'enfant, notre maturité d'adultes capables de se glisser dans ces univers multiples, autant poétiques que politiques, malins ou dérisoires, désenchantés autant que porteur d'espoir "smile is beautyful" et les rêves dansant de nous habiter encore longtemps en ce début de soirée de pleine lune...de miel: l'image finale de ce couple amoureux allant de l'avant sans jamais se retourner!

Fernando Carmena est l'instigateur, bâtisseur de ce programme gigantesque et dantesque: "Charlot et le chronomètre" comme lien subtil entre cinéma, danse et musique, lumières et rythme, les fondamentaux du cinématographe: l'écriture et la partition-composition de toute bonne compagnie tout au long de sa carrière. Et l'Orchestre Philharmonique de "jubiler" et se s'enthousiasmer pour cette musique, glamour, divertissante, haute couture entre image et sons, "sur mesure" d'un art pluridisciplinaire très inspiré par l’inouï et le jamais vu!

Frank STROBEL direction  Fernando Carmena, directeur de création au Europaische Filmphilarmonie

Palais de la Musique et des Congrès LE 18 Novembre

mercredi 17 novembre 2021

"L"avenir" de Magrit Coulon, c'le chantier ! Au 104 une mise à nu du processus de création!

 


Comment les histoires et les rituels nous aident-ils à survivre et à trouver l’apaisement dans l’incertitude ? Telle est la question à laquelle Magrit Coulon se confronte avec L’Avenir en convoquant la malice des Congrès de Banalyse, rendez-vous expérimentaux au cours desquels les participant·e·s se retrouvaient pour faire récit de l’insignifiant et mettre en scène le vide. Rendez-vous est pris dans une gare au milieu des montagnes, où l’on rencontre aussi des artistes solitaires et d’étranges figures costumées, à la recherche de cet endroit de possible, sur la crête entre fiction et réalité. 

Un bon moment de partage entre les protagonistes d'un spectacle à venir, un chantier léger et très bien articulé en mots et paroles pour éclaircir les intentions des créateurs, prolixes en verbe et en rêves de création.

Un temps d'échanges, d'expérimentation sur l'espace à vivre en live pour un public curieux et désireux d'aborder une œuvre en amont. Que deviendront ces projections, ces envies, ces positionnements sur la mise en scène d'une pièce encore incertaine....On mise sur un bel avenir de production, de réflexions pour un "produit" à découvrier avec quelques clefs de lecture suplémentaires...

Au 104 le 10 NOVEMBRE 19H....

"J'aime": Laure Werckmann et Nane Beauregard : le bel amour , le don de soi.


 « J’aime sa liberté que ses yeux se plissent quand il me sourit son recul son assurance ses yeux verts la rondeur absolument parfaite de ses pupilles la façon dont elles se détachent sur le blanc de son œil sa désinvolture ses certitudes même quand je pense qu’il se trompe… »

J’aime à la scène c’est l’histoire d’une femme qui cherche à révéler ce qu’elle aime pour apprivoiser ce qu’elle est, sa multiplicité, et y trouver sa force. Pour cela, elle entre dans un espace où la parole peut se déployer. Un cabinet, une pièce à l’écart, là où le dire n’est pas contraint mais attendu et espéré, là où le dire travaille l’être. Au plateau, peu d’éléments pour une infinité de combinaisons : ampoules soufflées, guindes, poulies, sol apparemment tangible alors qu’il n’est que de farine…

J’aime est un spectacle qui tient dans nos paumes, il croit en la capacité du simple à bouleverser les cœurs.

Laure Werckmann : « J’aime est ma première mise en scène, après avoir passionnément arpenté les plateaux comme interprète.C’est une mise en scène d’actrice, pensée depuis la scène vers le public, et à partir de J’aime, le premier roman de Nane Beauregard édité chez POL en 2006, unique phrase sans ponctuation d’une femme qui dit ce qu’elle aime chez l’homme qu’elle aime. »

Et si l'Amour ne se contait qu'à travers les mots, au filtre des lèvres d'une comédienne douée d'une rare présence, et si le jeu d'une actrice parvenait à transcender un texte, une écriture, et si le plaisir qu'on y prend était incommensurable...Alors, on se ferait un immense câlin, un remarquable pouvoir de dresser le festin jouissif du théâtre tel qu'on souhaiterait le rencontrer. Car il s'agit bien ici de rencontres, d'affinités, de complicité entre autrice et metteuse en scène, entre écrivaine et actrice qui ne font qu'une bouchée délicieuse d'un repas délectable du verbe, du geste, du corps. Dans un espace restreint à celui d'un fauteuil, planté dans une diagonale de lignes tracées à la craie ou la farine, sous les lumières intimes d'abat-jour suspendus, ampoules chaleureuses rayonnant de douceur.Elle arrive du haut des tribunes et s'installe prudemment, pudiquement sur ce réceptacle douillet: timidement, hésitante, prude, discrète et démarre un monologue, soliloque tendre et susurré du bout des lèvres à l'attention de celui qu'elle aime et peu à peu parvient à créer une fusion, une empathie avec cet "absent" tant chéri.Métamorphose lente des attitudes en regard au contenu du texte, osmose entre ce sujet irréel, virtuel qui occupe sans cesse ses pensées. Proche de nous autant que lointaine évocation d'un amour respectueux, sincère qui peu à peu se transforme en dévoration, passion, rage. Le corps, les poses, les attitudes de cette femme sont aiguisés par une faim de loup dévorante d'amour tendre puis farouche. La mutation de son jeu, de ses gestes et intentions dramatiques questionnent l'identité, l'altérité de celui, de celle qui aime sans limite, sans borne, débordant de tumultes, de revirement, approfondissant les mécanismes de ce qui meut l'âme et le corps de l'amoureuse, proie de ce destin univoque voué à aimer. C'est beau et touchant, allant directement à nos sens et émotions pour satisfaire le poids des mots, le choc des images, la beauté de ce corps qui se dénude, se dévoile à l'envi, à loisir. Et l'on se fait voyeur obscène de cette transformation, de ses changements à vue qui passe d'un état à l'autre, subtilement incarnés par une femme qui joue, qui se joue de cette fatalité: aimer !Les lumières signées Philippe Berthomé créant une ambiance, une atmosphère chaleureuse, épanouie de désir discret, intime. La scénographie alliant secret et révélations, infimes touches de sensualité, d'érotisme à fleur de peau.La musique signée Olivier Mellano , compagne de route de cette destination amoureuse incertaine.

Le jeu de Laure Werckmann alliant pudeur et offrande, don de soi et virtuosité de l'incarnation des mots de Nane Beauregard dans le corps, du bout des lèvres et de la mémoire: une performance délicate et sincère, osée et impudique d'une femme qui se glisse dans les plis des aveux au fil du texte qui ne cesse de révéler des mystères: ceux de l'âme et de la chair éprises de sentiments au delà de la raison pure! Quelques traces de pas comme empreintes esquissées au sol, légères, témoins d'un passage furtifs, dansant dans la poussière blanche des étoiles du désir.

Du 16 au 20 novembre 2021 aux TAPS Laiterie

Compagnie Lucie Warrant

 

mardi 16 novembre 2021

"Le bruit des loups": forêts, je vous aime !Etienne Saglio colporteur d'images fabuleuses.

 


« Quand tout est impossible, le travail du magicien commence. »

Jongleur et magicien, Étienne Saglio revient fêter l’invraisemblable avec de nouvelles créatures irréelles. L’artiste stupéfiant, associé au Rond-Point, offre une excursion dans une folle rêverie, entre clair de lune et lever de soleil sur un monde inconnu. Il invite à un voyage inouï, une balade dans une forêt envoûtée, envoûtante. Un rat se fait messager, des plantes se rebellent, un drôle de renard joue le narrateur du conte… Un damier gigantesque se transforme en forêt, peuplée de loups et de géants. C’est tout un univers qui s’élève, se révèle autour d’un gosse au pays des merveilles. La nature passe à l’acte, tendre ou cruelle, lui rapporte son enfance et ses peurs enfouies sous les feuilles mortes, pourtant mouvantes. Création virtuose d’une utopie tangible : on voit prendre vie sur scène les plus anciens rêves d’enfant.

Il est des feuilles pugnaces qui jonchent le sol quadrillé noir et blanc d'échec qui ne cessent de réapparaitre sous le coup de balais d'un homme irréprochable qui tente de nettoyer l'espace. Un petit arbre ne cesse d'esquisser une petite danse de feuilles et de branches stabiles qui enchantent l'atmosphère: un univers décalé où les souris se font dévorer avant de disparaitre, où on loup traverse la le plateau derrière une forêt majestueuse de troncs d'arbres, futaie ou fond de taillis... Une bestiole fabuleuse introduit le tout, sorte de renard ou de lémurien sympathique qui suggère de suite l'empathie. L'univers d'Etienne Saglio est fantastique, discret monde enchanté qui trouble et sème le désordre, la surprise, l'incongru. Il est aussi magique tendrement sans tambour ni trompette, sans effet, gags ou machinerie de sensations fortes incroyables. La poésie de cette forêt qui recueille ses souvenirs en "flash back" est tendre et charmante. Un enfant s'y colle autour d'un feu de camps sorte de diorama magique qui fait une lumière chaude orangée. C'est le refuge des rêves et d'une utopie salutaire. Les arbres sont de véritables sculptures contemporaine à la Pénone, debout cependant. Atmosphère de songe, de conte où rien n'est dit que le bonheur et la joie d'être "auprès de mon arbre" à la Brassens...Et si tout ceci était vrai, cet amour sylvestre peuplé de souffles de résurrection de verdure, d'animaux qui passent et engendrent douceur et respect. Ce spectacle pour petits et grands se fait radieux et bienfaisant, apaisant, loin des fureurs de temps agités et pas toujours écologiquement corrects.Magie sans fausse réalité copiée ou caricaturée, cette pièce est magnétique, envoutante et hypnotique pour calmer les esprits et faire gouter la beauté d'Ëtre au monde.

Au théâtre du Rond Point jusqu'au 20 Novembre

 

lundi 15 novembre 2021

"Mal" y pense ! Marlene Monteiro Freitas à la tribune d'un jeu de massacre automatisé!

 


Marlene Monteiro Freitas "Mal" – Embriaguez Divina

Généreux et minimal, baroque et contemporain, mythologique et pop, l’univers contrasté de l’artiste cap-verdienne Marlene Monteiro Freitas se prête ici à l’exploration des diverses manifestations du mal. Douleur, tourment, méchanceté, peine, maladie : déplaçant ces formes dans son propre spectre référentiel, elle signe encore une œuvre totale.

Mal – Ivresse divine. Ce titre s’accorde à souhait avec l’audace de Marlene Monteiro Freitas, qui n’hésite pas à mêler les figures grotesques des carnavals de son enfance à ses mises en scène novatrices pour développer des œuvres d’une facture unique, dont l’hybridité fait l’étrange grâce. S’attachant ici aux différentes facettes du mal, elle les débusque dans toutes leurs dimensions : morale, religieuse, politique. Neuf danseurs, dont elle organise la composition graphique ou géographique avec une inventivité aussi exaltée qu’exaltante, sont à l’œuvre pour les introduire ou les incarner. Pas question de Satan ou de Lucifer, de la sorcière ou du mutant ; ici, c’est un groupe aux visages multiples et grimaçant, tantôt tribune, tantôt chœur, qui donne corps et voix, sur un rythme endiablé, à ses hallucinations funestes, témoignages toxiques ou impressions bactériennes, dévoilant la fascination humaine pour le mal, quel que soit son souffle.

Le décor est planté durant l'installation du public: des joueurs de volley s'adonnent aux passes pour se relayer: en collants blancs, gants blancs et tenues bleues à travers un immense filet de ping-pong, plein feux en fond de plateau....Un vigile armé fait irruption, des cris de suppliciés pour l'envelopper, de velours bleu vêtu.Des robots émergent, fonctionnaires à la démarche mécanique, une cascade de fumée bleue pour les dissimuler, un trio sur fond de percussions dans une danse tribale, scandée à la cadence militaire.Un roitelet sur son trône parade, fantoche de pacotille, ubuesque en diable, absurde figure du pouvoir décadent.Beckett ou Ionesco en parallèle...Niché dans une architecture sur trois niveaux, tribune fatale, jeu de massacre ou parade de foire. Des expressions figées de manipulés, sidération à la clef, vassaux ou petit roi dans une cour de pions, brandissant un oriflamme blanc aristocratique...Défilé, marche de dictature enjouée et caricaturale en poupe...En képis blancs, strictes et policés: honnis soit qui mal y danse: danse de pantins masqués de mouchoirs blanc pour mieux bâillonner le verbe et la parole.Théâtre de guignol de l'info pour arène ou aire de jeu.On assiste à la construction d'une cité fragile de papier blanc découpé, à travers un grillage rouge, filet à papillons pris au piège, château de cartes à jouer sans joker, maquette fragile d'un processus de déconstruction permanente.Tout s'effondre sur fond de sirènes et les mimiques de ses neuf apôtres de la décadence se figent en tétanie stroboscopique.Des législateurs, notables en gants violets, bureaucrates tremblotants, fiévreux, inquiets, désuets. Pathétiques à souhait.Bestiaire sonore de chimères animées par la dérision, le mal, le fil à retordre la loi.C'est grotesque et monstrueux, tribal, gouvernance désuète, danse de troncs voués au jeu de massacre, corps tronqués, sciés, manipulés, obéissants à l'envi.Soumis et domestiqués en habits de cérémonie, de velours.Des borborygmes aux lèvres, comme empêchés, muselés: on assiste à une mascarade, parade sonore de carnaval, "polis petits chiens" grondant, politiciens engoncés, dans un rituel de mort, d'arracheurs de dents : on y vocalise en gargarisme du Grieg (Leise flehen), du Strauss viennois: on y applaudit la dérision de cette mascarade politique totalitaire très dignement. La musique du "Lac des cygnes" comme mort prochaine, emphatique tsunami dictatorial sur les corps et les pensées bourgeoises qui se voilent la face! C'est drôle et terrorisant à la fois.Décalé et jouissif, marche funèbre dans une volière d'oiseaux prisonniers coincés dans leur carcan , dans un cataclysme du pouvoir sidérant: le choeur des cygnes qui claquettent, avec leurs gants mauves comme becs: on y met à mal le ballet classique et son public de diplomates, pastiche d'un règne révolu.Automates fébriles et menacés, despote maitre de ballet d'opéra dresseur d'oisillons immatures: lac des signes sur fond de ola de stade pour polichinelles asservis: un bouquet final joyeux secondé par une fin un peu trop "allongée" dans le propos redondant clôt cette vision de cour des miracles . Sur de petits lits blancs bordés, en perspective raccourcie, les corps bavardent encore sous la pression du politiquement incorrect signé par Marlene Monteiro Freitas qui offense et perturbe le plateau à loisir: la danse comme vecteur de dénonciation du pouvoir abusif sur les corps et les pensées.

Au Nouveau Théâtre de Montreuil le 13 NOVEMBRE

Dans le cadre du festival d'Automne 2021

dimanche 7 novembre 2021

"Ce qu'il faut dire": noir ou blanc pour des femmes de couleur: surtout ne plus rien taire!

 

CE QU’IL FAUT DIRE


du Samedi 6 Novembre 2021 au Samedi 20 Novembre 2021 au TNS

 
Avec Gaël Baron, Océane Caïraty, Ysanis Padonou, Mélody Pini et la percussioniste Lucie Delmas

Que signifie se déclarer « blanc » et désigner d’autres personnes comme étant « noires » ? Qui a décidé que « l’Afrique » se nommerait ainsi ? Loin de se satisfaire des formules et pensées toutes faites, l’écrivaine Léonora Miano vient bousculer les mots et les récits forgés par une Europe conquérante, détisser le langage de la colonisation et du capitalisme, pour retrouver le fil de l’humain − son désir de spiritualité et de beauté. Dans la mise en scène de Stanislas Nordey, trois actrices afropéennes interprètent les trois chants poétiques et politiques qui composent Ce qu’il faut dire. Quelle mémoire veut-on garder vivante ?
Peut-on se libérer des assignations et être soi ?
 
Elle s'avance sur le plateau pour s'y figer, devant un micro, face à une caméra en direct qui projette son visage sur grand écran: surdimensionné, en couleurs, il apparait calme, lisse, accueillant...  Assise, longue silhouette noire découpée, elle chuchote, murmure aux creux de nos oreilles des aveux tendres et confidences très proches sur "ce noir de peau" qui faisait dire à Nougaro que nos os, eux n'auraient plus de couleurs une fois la camarde passée par là....Belle et attentive à ses paroles pesées qui sourdent de ses lèvres sensuelles, la comédienne Ysanis Panodou, la femme incarnée est tel un archétype de tout ce qui serait "beau" dans la "différence". Suit une autre femme de rouge habillée Mélody Pini qui casse cette ambiance rassurante et enveloppante: être noire, venir d'"Afrique" ce continent peuplé de gens de "couleurs", n'est pas simple ni aisé. L'assimilation, la "question blanche" qui fait de la peau noire une question de valeur se transforme en ""Le fond des choses" à dire, à ne plus se voiler la face: elle s'adresse au public pleine de verve et de conviction, ferme et décidée à faire de cette cause quelque chose dont on "cause" sans violence mais avec détermination, conviction, foi et engagement.Tambourin, caisse claire au poing, une percussionniste Lucie Delmas l'accompagne, petit soldat apprivoisé qui martèle le sol de face militaire.Des images filmées en noir et blanc de toute beauté, au grain scintillant rappelle que le noir et blanc coexiste pour le meilleur dans cette montée technologique de la pellicule qui imprime le monde, ces visages de "black"....en "noir" et blanc. Black is back (le titre d'une très belle exposition à la Galerie Stimultania sur le noir et blanc en photographie) est de retour et n'a jamais disparu dans les écrits de Léonora Miano, auteure, écrivaine noire dont les textes sont ici enchevêtrés et mis en scène par Stanislas Nordey, battant artisan de toutes les causes virulentes ou aiguës dans notre monde. Dédié à la scène, tous ces propos résonnent justes aussi sur les lèvres de Océane Cairaty et aiguisent notre "curiosité" sur le sujet: comment traiter la question noire sans heurter mais en soulevant mémoire, présent, histoire et actualité pour mieux réfléchir ce monde.Le choix des jeunes comédiennes de couleur noire issues de l'école du TNS n'est donc pas fortuit et elles se révèlent audacieuses ambassadrices de la question à travers attitudes et propos sensés, féroces, judicieux, jamais ne frisant la caricature ou la tentation de convaincre Plutôt enseigner, sensibiliser par le verbe un peu fou, la question non pas du racisme mais de la responsabilité individuelle que chacun porte sur la question. Surtout ne pas broyer du noir mais le rendre "outre-noir" comme Soulages ou noir Vénus d'ébène de Baudelaire...La scénographie de Emmanuel Clolus intrigue: au sol un marquage de piste de jeu de ballon, gymnase ou salle de sport: un sport où les noirs excellent, un sport où l'on applaudit l'autre, différent, du moment où il remporte des médailles nationales, de bon ton "français", blanc de peau?....Ou simple aire de jeu théâtral où les buts sont comptés pour vaincre ou résister, se passer le relais pour gagner du territoire, de la place à la légitimité de l'individu quel qu'il soit...Et les costumes "united colors of...." de Raoul Fernandez révèlent les couleurs fondamentales comme seconde peau, masquant notre pigmentation...Identité, résilience, altérité font de cette pièce hybride et très relevée, une ode au "même pas peur" de s'affirmer, de se laisser reconnaitre et apprécier hors critères externes abusifs. La souche comme emblème de cette fausse légitimité à être supérieur, du cru, depuis des générations qui autorise à l'autorité et à l'incompréhension, au rejet ou à l'exploitation de l'un par l'autre.CQFD marqué en grand en fond de scène....On ressort "touché", impacté par une bonne gifle méritée qui pointe notre "responsabilité individuelle et collective" sur la question noire, ces "pointes noires"que vise aussi Sophie Noel dans son roman sur le "rose et blanc" du monde de la danse...Mysti Copeland ou Joséphine Baker en figure de proue....Sur "l'écran noir de nos nuits blanches", "noir ou blanc de peau", et si tout pouvait se dire et non se taire, s'écrire et se voir: chose faite et assumée !La gentrification cesserait?

samedi 6 novembre 2021

"Solo" de Sophia Domancich et "Prévert Parade" de Papanosh et André Minvieille: le bonheur est dans le pré! "Paroles, paroles...."

 


Cité de la musique et de la danse , STRASBOURG le 5 Novembre
 

Ouverture du festival JAZZDOR qui cette année a bien "lieu", ce lieu, cet endroit où se crée, se produit, se façonne le jazz d'aujourd'hui bien en amont de la diffusion et programmation annuelle de concert!

SOPHIA DOMANCICH SOLO — ""LE GRAND JOUR"

FR  Sophia Domancich est une des musiciennes les plus précieuses 
et secrètes de la scène jazz européenne. Passant du piano au Fender Rhodes avec une science instinctive de la dramaturgie, elle offre 
dans ce nouveau solo le versant à la fois le plus intimiste et expérimental de son univers. Avec cette musique du clair-obscur, toute en reflets fauves, fluide, lyrique et intensément mélodique, 
elle affirme avec une douce autorité sa fondamentale différence 
et son indéniable maturité artistique.

Alors la voici sur le plateau embrassant l'espace de sa silhouette frêle: elle va s'atteler à faire vivre du bout de ses doigts ses univers si personnels qui jouent entre acoustique et électronique, allant d'un "pupitre" à l'autre avec aisance et nonchalance...Va et vient entre deux claviers après de longues phrases thématiques, enrobée de sa chevelure dorée cendrée: thèmes et variations quelle développe à l'envi avec dextérité, fluidité: le piano tantôt serein, tantôt volumineux corps résonnant de percussions tactiles sur touches endiablées...Des mélodies naissantes se dessinent, se distinguent parfois aux accents furieux, toniques , nerveux, fébriles ou frappés virulents sur le clavier.Des répétitions rythmiques pour enivrer les sens qui peu à peu se glissent aisément dans un bain musical salvateur. Une interprète "discrète" et humble au service d'une inventivité et d'une générosité partagée.

 


+ PAPANOSH & ANDRÉ MINVIELLE — "PRÉVERT PARADE"

FR  C’est au chanteur, scatteur, slameur et rappeur occitan, 
André Minvielle, que le groupe rouennais Papanosh a confié la tâche enthousiasmante de “faire entendre” l’accent inimitable de Prévert ! Mettant en scène les multiples niveaux de lecture de sa poésie à travers une musique organique, théâtrale, lyrique, pleine de surprises et de sautes d’humeur, ce projet mêlant audaces formalistes, tendresse et légèreté iconoclaste, fait de Prévert notre contemporain.

Les voici en "bande" des six pour un concert aux accents du poète Prévert que l'on va redécouvrir sous des aspects inédits: des textes mis en "musique" par les compositeurs du cru issus du groupe et c'est un vrai bonheur que de partager cet "esprit" Prévert en leur chaleureuse et joyeuse compagnie. Air de fête, air de nostalgie ou de douleur comme c'est le cas pour le morceaux d'ouverture "Citroen" au quai de Javel dur à avaler!Hommage à Paris-chérie du poète, la ville lumière ou la ville de l'exil avec des instruments d'arte povera très émouvants Vagabond ou clochard des temps passés, Minvielle excelle dans l'évocation des époques reculées en les rendant très actuelles. Sensible et touchant interprète à la voix frisant Nougaro ou Aznavour pour ne pas les citer en référence de leur côté "jazz". Les petits plats dans les grands pour évoquer la société qui se fout du pauvre, la forêt qu'on déboise aussi faute de respect et de considération de l'Arbre..."Amiral", "Quartier libre"comme compositions "fait maison" du plus bel effet sonore et sémantique. Les "paroles", le "fatras" et autres "inventaires" pour ne pas taire la réalité par le biais de la poésie. Prévert rencontre Papanosh et André Minvielle" et le bonheur est dans le pré vert....En chorale aussi, en inter-action avec le public qui joue le jeu et s'adonne à fredonner les numéros des rois de France: c'est festif, drôle, plein d'humour, les instruments se transformant en fanfare, en cirque de fortune bien relevé, au gout de partage et de lucidité. Souffle, frottements de mains, le tableau est riche en images ludiques sur le plateau qui s'anime par ces timbres vocaux ou instrumentaux qui se rient des conventions.Étranges étrangers, rues de Paris, Pantruche ou Paname en fête ou en désarroi, ainsi se brosse des portraits, des ambiances uniques et volubiles. Ca sent le parfum de la créativité, de la ré-création, du simple bonheur de se retrouver sur les planches et sur le pavé! Et les musiciens de rivaliser avec les mots, le virelangue et calembours de Jacques: citons au piano, Sébastien Palis plein de musicalité, Quentin Ghomari trompette et trombone au poing,Thibaud Cellier à la contrebasse, Raphael Quenehen au saxophone et Jérémie Piazza à la batterie!Que de belles "paroles" pour un "inventaire"plein de bonnes attentions!

 

 

vendredi 5 novembre 2021

"Traversée de l'Atlantique": convergences, concor-danses et autre connivences !L'OPS fait son embarquement immédiat pour des contrées lointaines....

 


Le son lumineux d’Arabella Steinbacher – qui joue le Stradivarius Booth de 1716 – convient particulièrement bien au Concerto de Brahms. Cette page d’un romantisme luxuriant a été imaginée sur les rives du Wörthersee où « les mélodies naissent en tel nombre qu’il faut prendre garde en se promenant de ne point les écraser », selon son auteur. Elle dialogue avec la Symphonie n°9 « du Nouveau Monde » de Dvořák composée aux États-Unis. Si des influences américaines y sont effectivement perceptibles (le poème The Song of Hiawatha de Longfellow irrigue, par exemple, le deuxième mouvement), l’œuvre est également zébrée d’une nostalgie venue de Mitteleuropa. Certains la considérèrent ainsi comme une « symphonie du monde entier ».

 

CONFERENCE D'AVANT-CONCERT

JEUDI 4 NOVEMBRE 19H - SALLE MARIE JAËLL, ENTREE ERASME 
LE CONCERTO POUR VIOLON EN RÉ MAJEUR DE BRAHMS
DANIEL PAYOT


Embarquement immédiat sur le paquebot avec Daniel Payot, philosophe et pédagogue de charme pour naviguer "contre le violon", tout contre en cabotage "non tropo"mais vivace et allegro comme les trois mouvements de cette "pièce unique" à l'image de celle de Beethoven: un concerto pour violon et orchestre!


La question posée sera quelle intention, quelle direction prendra ce chef d’œuvre entre classicisme et romantique, vers quelle "confusion" s'orientera le choix et du chef et de la violoniste soliste.Car il y a une certaine "liberté" qui plane sur l'interprétation: qui l'emportera du socle , de l'ordre, de la stabilité, de l'équilibre entre tectonique architecturale et "esprit de variation" de l'écriture dynamique chez Brahms. Après avoir situé l’œuvre dans le contexte historique et biographique du compositeur, Daniel Payot nous convie à l'écoute fragmentée des trois mouvements, histoire de sensibiliser à la place du violon face à l'orchestre.La tension demeure, l'ampleur de ce "ré" mineur omniprésent dans cette "copie bondissante" du maitre Beethoven.Dans l'allegro, l'idée d'une symphonie pointe à l'aube du morceau, introduction orchestrale pour la présentation des thèmes.L'entrée du violon, tsigane en diable, discrète, tisse les premiers liens entre l'instrument et l'ensemble des pupitres.Accords des "voix", domination ou liberté du violon...Et cette "cadence", figure de style et de rhétorique pour ce solo avec moultes variations, au cœur de l’œuvre.L'adagio comme une longue phrase, une articulation possible entre le violon soliste et la masse de l'orchestre.Pour instaurer un climat nostalgique, serein, en avancée sonore et dramatique, en dialogue avec les bois, pour que le violon roi se détache sans se séparer des cordes et autres instruments.Quant au troisième mouvement, très différent, le violon s'y impose dans le ton, le rythme, les thèmes en reprise pour le bonheur enjoué très touche hongroise de l'orchestre. Empressement, galop, rythme dansant.Entre élan et liberté et architecture plus stricte, on y souligne les intensités, le moteur demeurant l'esprit de variations du thème, comme une base, un socle qui "bouge", voyage.Contrastes et liaisons en poupe, soutenus, syntaxe des phrasés musicaux comme une plaidoirie éloquente et rigoureuse à la rhétorique implacable d'une écriture criblée de nuances, de ponctuations, de modulations surprenantes!Comme une conversation vivante qui ne tait pas les singularités des autres instruments: une œuvre "hérisson rouge" stimulante et bigarrée, libératoire et couronnée de toute beauté. On quitte le conférencier, l'eau à la bouche avec des clefs d'écoute et de lecture qui vont fonctionner à merveille sans pour autant déflorer l'oeuvre de sa parure unique et merveilleuse... 

Weber Ouverture d’Obéron

Le concert  débute par cette pièce, lente et douce introduction à cette embarquée musicale où vents et cordes se lient dans une vivacité, une allégresse, un galop pur, plein de contrastes, quasi valse qui en sourd, élégante, princière. Précipitation des tempi, emphase, intensité et volume pour un emportement dans des flux ascendants, ou de légères modulations. La pièce est courte, tonique et introduit la soirée avec brio et bonheur. Les retrouvailles avec le chef Marko Letonja y étant pour beaucoup!

 
Brahms
Concerto pour violon en ré majeur

Cette œuvre est remarquable par les articulations qu’elle propose entre construction de longues phrases continues et multiplicité de détails, contrastes ou divergences que ces phrases contiennent. Refusant à la fois la fusion dans un tout indifférencié et la désagrégation, elle maintient une constante tension, que le dialogue du violon solo et de l’orchestre relance sans cesse et finit par résoudre dans une dynamique festive. Alors vint cet instant si désiré, l'écoute "savante et éclairé" de ce concerto!L'entrée est magistrale, envolées du violon sur le soutien inébranlable de l'orchestre, imperturbable compagnon de toute la pièce.Symbiose très délicate et raffinée, l'ensemble des cordes soutenu et magnifié par la soliste Arabella Steinbacher qui jamais n'écrase ni prend le dessus dans toutes les brèches ouvertes, les interstices tissés par la composition stricte du morceau.Le solo incisif, virtuose dans des modulations infimes et distribuées avec parcimonie et précision incroyables...Telle une voix céleste diffuse, très raffinée, imperceptible filet de sons soutenus se fondant à nouveau dans l'orchestre, retenant de ses mailles, les sons divins de l'instrument!En lévitation puis de nouveau ancré au final de ce premier mouvement.Après une "promenade dans les bois" en osmose avec violon et orchestre, les deuxième et troisième mouvements s'alignent dans cette harmonie tectonique autant que fluide, l'orchestre toujours comme écrin pour le violon qui se déchaine dans le flux sonore, dans les reprises rehaussées, puissantes dans une osmose conjuguée, construite, préméditée. Le chef "plongeant" littéralement dans cet univers, ce climat si singulier: oui, "on aime Brahms"galvanisé par son écriture galopante, entre délicatesse recherchée et architectonique invasive si bien rendue par cet orchestre tenu de main de maitre par un chef inspiré et respectueux, inventif et intuitif.


Dvořák
Symphonie n°9 en mi mineur « du Nouveau Monde »

On ne se refusera pas l'écoute d'un chef d’œuvre dont le premier mouvement impose ce flux submergeant, envahissant à la puissance "territoriale" d'espaces , tornade magistrale, maelstrom, tsunami virtuose de musique fort connue. Solennel et quasi funèbre second mouvement, lent déploiement des thèmes, paysages, étendues changeants, très calme pour rendre et restituer à l’œuvre l'émerveillement qu'elle mérite Les gestes musicaux où chacun trouve sa place sans nuire ni porter ombrage à l'autre instrument. Œuvre "archi connue" dont on suit ou précède les accents, initiant une écoute qui anticipe et reforme les contours de notre mémoire sensitive, sensuelle et sonore.On demeure aux aguets, à l'affut d'une surprise.Le troisième mouvement plein de suspens, d'attente en atteste, comme des éclaircies dans le ciel, une clairière qui s'ouvre au détour du chemin.La majesté des chevauchées "fantastiques" en faisant une ode, une narration débordante de satisfaction face au nouveau monde dévorant, évoqué.Envahissement, invasion péremptoire des thèmes redondants et récurants en masses sonores tectoniques des plaques, ou touches infimes de sonorités des vents qui se glissent dans cet amas de scories volcaniques éruptives! Le quatrième mouvement, volcan au cratère bien en activité, galvanisant l'orchestre en galop, course folle à la conquête de l'Ouest dans une éloquence sonore imposante.Du solide, du stable imposant, implanté, ancré sur un socle magnifiant les forces autoritaires d'un nouveau continent qui s'ouvre, se découvre et se protège dans sa rhétorique sonore implacable!Tell un paquebot qui arrime au port et soulève les adhésions et l'empathie des acteurs de la fondation des USA.Gros calibre américain, création du monde ou naissance d'une nation, paysages très filmiques et cinématographiques au montage et découpage savant et emblématique d'une architecture sans faille.Cors, trombones et vents à tout vent, chasse à courre irrévocable en blocs sonores incontournables , grisants, émulation politique et musicale de poids et de mesures! Euphorisante interprétation, ravageuse lecture de cette œuvre phrase de la construction d'un nouveau monde inébranlable...La reprise du thème en envolée finale, histoire de rassurer en épilogue "happy end" très attendue.

Marko LETONJA direction, Arabella STEINBACHER violon

Lieu
Palais de la Musique et des Congrès le 4 Novembre