Mêlant enquête documentaire, rituels de soin et fiction, Vielleicht
− « peut-être » en allemand − explore les questions d’identité, de
mémoire et de réparation. À Berlin, dans le « Quartier africain », des
associations africaines et afro-allemandes luttent pour débaptiser trois
rues honorant des colonisateurs allemands et pour les renommer en
l’honneur de figures de la résistance africaine. L’acteur Cédric Djedje,
concepteur du projet, et l’actrice Safi Martin Yé, deux artistes
afro-descendants, évoquent la découverte de ce quartier portant les
traces d’une histoire peu connue et les engagements des militants.
Comment Histoire, vécu intime et quotidien dialoguent-ils dans la ville
et les espaces publics ?
Baptême l'air de rien: baptiser une rue n'est pas une mince affaire: débaptiser ou rebaptiser non plus!C 'est à une odyssée foret inintéressante que l'on assiste: celle de péripéties politiques, raciales, historiques concernant un sujet apparemment anodin: donner un nom, nommer une rue dans un quartier chargé d'histoire, retranché dans Berlin. On connait les quartiers marginaux, artistiques Prenzlauer Berg et autres territoires "marqués" stigmatisés de la capitale allemande. mais pas celui ci. Ni l'histoire des conquêtes coloniales de l'Allemagne. Alors en route pour une "conférence" déglinguée, une lec-dem insolite, un cours d'histoire tel que l'on en rêve au gymnasium...Ou à Science-Po. Deux lecteurs-conteurs-animateurs vont se partager la tache d'encre noire pour remplir cette page blanche. Et nous renvoyer à une partie d’échecs où qui perd gagne en authenticité, véracité des faits. On y apprend plein de détails sur les personnages, porte drapeaux de la résistance africaine au pouvoir allemand colonisateur. Des noms, des actes, des interviews tout le long de ce périple, divagation réaliste sur le court de l'histoire contemporaine.
Elle, maline et habile conteuse, animatrice futée et charmante, usant de sa verve, de sa grâce pour construire le récit. Lui, impliqué à fond pour creuser là où il faut et mettre en exergue tout ce qui cloche et fait défaut à la réalité. Se battre et dévoiler l'importance de l'évocation du passé. Ces colons allemands qui passent du bon temps sur les plaques des rues, honorant leurs faits et gestes dans une totale ignorance de leurs identités, faits et gestes. Dénoncer l'oubli, faire surgir d'un tas de terre les secrets enfouis, construire une table d'orientation juste et désacralisée. C'est le but de cette entreprise légitime de retour aux sources pour mieux enrayer le mal qui coule encore. Belle et généreuse initiative théâtrale de la part de ses protagonistes, qui sur le plateau exposent, jouent, dansent leurs avancées dans cette quête pour la vérité mise à nue par les concernés même. Forêt noire pour touche ironique et caustique de ce miroir reflétant autant la condition noire que celle des blancs. Manichéisme évident certes, mais pas obscurantiste. Juste ce qu'il faut pour éclairer nos lanternes, non décaler de nos petits coussins Kanga affublés de textes croustillants sur cette épopée. Cousus par Eva Michel comme des témoins parlant et illustrés des portraits des militants noirs. Joli façon de s'asseoir sur les questions....Et enrichir ces "assises" du colonialisme .Comme le décor, un fond-écran de papiers froissés faisant office de tableau noir. Et la craie blanche de s'effacer au fur et à mesure au profit des noms futurs de rue évoquant cette tranche historique et géopolitique. La chorégraphie fine et discrète s'empare des corps, les bras ondulants de Safi Martin Yé en cygne noir. Cédric Djedje en officiant laïc très convaincant et plein de nuances, et Safi Martin Yé, femme militante gardienne de mémoire, comme assistante, motrice de cette diatribe cinglante sur le colonialisme.
Une façon pertinente et inédite de poser les faits, de dévoiler les méandres de la configuration de la narration historique. Si tous les cours d'histoire-géo pouvaient en être ainsi: conter par des vivants, témoins et acteurs, réfléchissant de façon intelligente aux conséquences des actes discrets du pouvoir. Vous ne regarderez plus jamais le nom d'une rue sans vous interroger sur son sens, sa géolocalisation, sa raison d'être au panthéon des plaques urbaines. Et si la rue "des jardins" ne faisait plus références aux lotissements, si le quartier des "quinze" n'était plus celui des nantis, si la rue "des orfèvres" n'était pas celle des artisans??... La "petite France" pas la nation chérie? Cherchez bien et vous serez surpris. C'est bien une des facettes de cette pièce, piège à baptême non consenti par la population ici d'un quartier qui n'est pas "noir" mais issu de la colonisation. La différence éclate au grand jour. Le combat n'est pas fini. Bravo les artistes pour cette réappropriation des noms "volés": une légitime défense d'éléphant pour amnésique volontaire. Où va se nicher le pouvoir: jusque dans vos tranchées... Un manifeste manifestement indispensable. Pas "peut-être" mais assurément.
Cédric Djedje est acteur et metteur en scène, diplômé en 2010 de La
Manufacture − Haute école des arts de la scène à Lausanne. Artiste en
résidence au Théâtre Saint-Gervais à Genève de 2013 à 2016, il a été
chef de projet de la création collective Un après -midi au zoo. Il a initié et joué Nouveau monde,
mis en scène par Claire Deutsch en 2016. Co-fondateur du Collectif Sur
Un Malentendu, il a participé à la création de quatre spectacles de 2014
à 2022. En 2020, il a fondé la compagnie Absent·e pour le moment, dont Vielleicht est le premier projet.
Au TNS jusqu'au 19 Avril
A Marseille: Les rues marseillaises ne sont pas épargnées par ce vent de changement,
comme la rue Colbert, ou encore la rue Alexis Carell. Dernièrement, la
rue Bugeaud, a également suscité les critiques en raison du passé
colonisateur du maréchal de France. Cette remise en cause historique s’inscrit dans la même lignée que le
déboulonnage des statues né avec le mouvement antiraciste Black Lives
Matter en 2020. Un révisionnisme historique qui fait craindre à certains
l’effacement d’une partie de l’Histoire.