« Au point de rencontre entre musique et danse, le geste importe autant que le son produit. »
Avec Timelessness, Thierry De Mey se livre à l’exercice de l’autoportrait en réunissant des pièces anciennes et nouvelles au sein d’un même spectacle. Ce projet muri de longue date avec Les Percussions de Strasbourg, il en parle comme d’un « manifeste artistique et politique ». S’il y a un engagement du compositeur, c’est avant tout à l’endroit du corps et de sa mise en valeur dans la pratique musicale. Là où un tabou marque en profondeur notre histoire, notamment par la neutralisation de la présence des musiciens avec des habits noirs, Thierry De Mey accorde une « visibilité » à ses interprètes et intègre à son écriture l’exposition de leurs gestes et de leurs postures.
Des retrouvailles très attendues avec celui qui résida au Conservatoire durant deux ans à Strasbourg et y développa enseignement, création et passation d'enthousiasme créateur!
Un catalogue raisonné, un florilège, sorte de compilation de citations de son oeuvre est le pivot de ce "spectacle", ni concert, ni performance, mais véritable construction dramaturgique à partir de "collages" subtilement reliés et vitalisés par des interprètes que l'on découvre dans toute leur virtuosité de musicien-danseur.
C'est d'ailleurs un duo dansé "Affordance"qui en "entrée" de ce festin à venir, préfigure et augure de ce lien intime et si cher à Thierry de Mey: le temps, le rythme et l'espace, ingrédients communs à la musique et la danse...Ainsi qu'au cinéma, la lumière en sus, la réalisation d'images en mouvement, montage, découpage et cadrage, autre domaine d'excellence du compositeur.
Voir bouger ces deux musiciens, démunis de leurs instrument, avec pour seul médium, leur corps est éclairante: il s'agit bien de regarder la musique se fabriquer à travers les corps et leur "présence".
Les "Pièce de gestes" qui font office d'entremets impliquent corps et sculpture de lumière: "Hans" en est la plus belle illustration: des mains éclairées d'où l'on ne sait, sont autant de lucioles mouvantes dans de strictes écritures spatiales, découpées, scandées au cordeau: l'effet de rémanence visuelle est saisissant , l'unisson, troublante, les décalage, métronimiques! Et toute la poésie chorégraphique de cet ensemble dans le silence et le noir ambiant surgit en diable. Encore vêtus de noir et invisibles, les musiciens reprennent plus tard cette exposition lumineuse, variable et médusante de complicité rythmique , de beauté plastique animée par le rythme.
"Timelessness"retrouve et réinvente le plateau et la version frontale de ce banquet musical, comme la "cène": les huit musiciens sabrent l'espace, donnent des coups de baguettes magiques, de mailloches sur l'instrumentarium très varié et éclectique, sur les caisses claires.Mouvements de machines en marche, accélérés, mécanique de machines à la Tinguely,fanfare ou défilé populaire...Une force de frappe extraordinaire anime les corps des interprètes, un métronome infernal produit du son industriel et la pièce va bon train; Le son circule, se propage ou insiste en de fiers sur-place.
Par la suite des sonorités perlées de xylophones et vibraphones, animent l'espace, en collier de perles fines, scintillantes, en tintement cristallin. Boite à musique, ludique et joyeuse, le son rayonne, en clochettes aigues.
Puis les huit musiciens sillonnent la scène, animés de souffle, de crachins, et leurs courses folles, pieds nus, transforment le plateau en arène bruissante, le son des talons martelant en percussion le sol. Tout est pré-texte à l'écriture, à la composition sonore et "dansante" dans ces pièces qui se succèdent, s'accordent à merveille dans un timing , un "rythme" de mise en espace résolument musical.
Les interprètes s'y révèlent performeurs, danseurs, surtout dans la version de "Musique de table" où celle qui est au pupitre se joue des formes, gestes et rythmes avec malice, jeu et musicalité époustouflante; à ses pieds, deux danseurs aguéris à la gestuelles périlleuse de Wim Vandekeybus, font office de résonateurs, de partenaires, victimes et complices de sa direction musicale, de ses sons percussifs. Ce qu'elle leur suggère les fait réagir au quart de tour: ils se renversent, se retournent, esquissent des acrobaties chorégraphiques surprenantes, n'obéissant à aucun code, aucune grammaire préexistante.
L’économie de moyens qui en découle n’a rien de simpliste : pour preuve, l' interprète n'est munie que d'une table. Les mains, les doigts, les ongles, les paumes ou encore les phalanges sont les instruments de ce théâtre corporel.potentiel scénique et musical.
Et que dire de "Silence must be" ou François Papirer incarne les postures, attitudes d'un chef d'orchestre, face au public, dans le silence absolu, dessinant sa partition dans l'éther avec une grâce et une fragilité gestuelle médusante.
Un "chut" esquissée sur le bout des lèvres avec son doigt pout nous rappeler que rien n'est simple et que le mimétisme n'est pas de ce concert là!
Tous animés par cette écriture galvanisante parce qu'écrite en fonction des infinies possibilités musicales des corps-artistes. Pas toujours confort-table! Ins-table.....
Au final, une boutique fantasque d'objets résonnants, tubes, coquillage, instruments à vent, fait de cet ensemble qui va bon train, un joyau de cadence où l'on franchit les passages à niveau, les gares et les stations avec esprit frondeur, iconoclaste démarche respectueuse au coeur de la musique-danse d'aujourd'hui: transpor-table, ins-table, tablature d'un script à inventer sempiternellement.
Au Point d'Eau le 29 Septembre dans le cadre du festival Musica.
coproduction Les Percussions de Strasbourg, Musica
commande des Percussions de Strasbourg
avec le soutien de la Fondation Francis et Mica Salabert et de la Fondation Aquatique Show
en coréalisation avec Le Point d’Eau, Ostwald
avec le soutien de la SACD