Un soir, au retour de l’école, Valentina découvre un mot sur la table.
Il a été écrit en français par le médecin, pour sa maman, qui ne parle
pas la langue. Il faut traduire. Valentina se tient là, face à sa mère,
la vérité imprononçable en bouche : une nouvelle qui pourrait abîmer le
cœur et provoquer un incendie dans leurs vies. La vérité, on l’ordonne
ou on la retire, on l'espère ou on l'étouffe. Elle est la flamme autour
de laquelle gravite la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen,
écrite comme un conte, au plus près du métier d'interprète professionnel
franco-roumain.
Un conte de fée contemporain, une histoire qui se tisse par delà le miroir du décor, par delà les frontières des pays européens, une pièce de théâtre tout simplement: voilà ce que pourrait être "Valentina" cette enfant qui a inspiré le fil de la narration de destins communs d'une famille dont la "maman" est frappée d'une maladie cardiaque. Mais comment communiquer cette situation quand on est roumain, qu'on ne maitrise pas la langue du pays d'exil, la France en l'occurrence? Ce sera à coup de "mensonges", de quiproquos que se défile l'enfant qui aura la charge de porter le secret de sa mère. Au médecin dont elle devient l'interprète malgré elle pour que sa mère soit entendue, écoutée, respectée dans un monde médical pressé, hautain, désincarné et déshumanisé.Critique ouverte de la part de l'autrice sur ces violences psychologiques faites ainsi aux malades qui souffrent autant de leur handicap que du mépris et de l'incompréhension de l'autre. Inaccessible. Heureusement dans l'univers de Valentine il y a le cuisinier-interprète de l'école,Paul Guta, la directrice qui n'ont que de bonnes intentions à son égard. Celle de comprendre, concilier, harmoniser les choses en toute empathie et sympathie. Chloé Catrin endosse brillamment deux rôles, le passage à peine perceptible de l'un à l'autre: la directrice affable et bienveillante et l'odieuse médecin impatiente et débordée.Le père, Marius Stoian qui est resté en Roumanie, musicien violoniste reste présent malgré les distances.Les mensonges et autres cachotteries l'affectent et l'intriguent...Et la "maman", Lorédana Iancu, actrice dite amateure rayonne dans ce rôle, autant que sa fille Angelina Iancu qui jubile dans cette prestation hors pair. Une enfant d'une grande maturité, d'une grande fraicheur affronte un rôle majeur et des situations difficiles, cruelles mais hélas réelles.Mère et fille y développent une singulière expérience de sororité inédite!
Alice Duchange met toute la religiosité de la pièce dans une scénographie évoquant ce coeur sacré, icône vénérée dans une niche d'église orthodoxe sans aucun doute, alors qu'un caméraman suit en direct toutes les évolutions des personnages reproduites sur un petit écran: fenêtre ouverte sur des gros plans de visages joyeux ou défaits en toute fausse proximité.La pièce touche, les battements de coeur ne vont pas cesser , de "battre mon coeur s'est arrêté" n'aura pas lieu pour autant, à "120 battements par minutes" la maladie va reculer, disparaitre comme par enchantement ou par miracle. Car si l'enfant absorbe les maux de sa mère, s'en charge jusqu' à mimétiser et tomber malade c'est pour mieux ressusciter par le mensonge. Celui de tous y compris du médecin et d'autres complices. La figure de "La Reine de la nuit" comme rédemptrice figure de prou du don, de l'abnégation est forte et conclut l'opus par du brillant, de la joie, de la danse. Ce costume endossé par la fillette si responsabilisée, comme seconde peau, la sauve de toute toxicité familiale. Car la fusion mère-fille est condamnable et dangereuse même si non voulue ni préméditée. L'inconscient du conte de fée ici présent expliquerait bien des pistes à la Bettelheim (psychanalyse des contes de fée). Non expurgés de leurs significations. Loin d'être une simple fable, "Valentina" va droit au but sans détour; poser et dénoncer des réalités sociales, culturelles ignorées qui sapent une partie de la population étrangère d'un pays: la langue comme clef unique de communication et d’accès à bien choses.La langue comme passe-muraille, passeport assermenté de nos relations institutionnelles.
Au coeur de la vie, au pays de l'enfance, petit pois ou gros nounours le mensonge A est roi!
Au TNS jusqu'au 30 AVRIL dans le cadre des Galas