mercredi 23 avril 2025

"Valentina" de Caroline Guiela Nguyen : aout, coeur.

 


Un soir, au retour de l’école, Valentina découvre un mot sur la table. Il a été écrit en français par le médecin, pour sa maman, qui ne parle pas la langue. Il faut traduire. Valentina se tient là, face à sa mère, la vérité imprononçable en bouche : une nouvelle qui pourrait abîmer le cœur et provoquer un incendie dans leurs vies. La vérité, on l’ordonne ou on la retire, on l'espère ou on l'étouffe. Elle est la flamme autour de laquelle gravite la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen, écrite comme un conte, au plus près du métier d'interprète professionnel franco-roumain.

Un conte de fée contemporain, une histoire qui se tisse par delà le miroir du décor, par delà les frontières des pays européens, une pièce de théâtre tout simplement: voilà ce que pourrait être "Valentina" cette enfant qui a inspiré le fil de la narration de destins communs d'une famille dont la "maman" est frappée d'une maladie cardiaque. Mais comment communiquer cette situation quand on est roumain, qu'on ne maitrise pas la langue du pays d'exil, la France en l'occurrence? Ce sera à coup de "mensonges", de quiproquos que se défile l'enfant qui aura la charge de porter le secret de sa mère. Au médecin dont elle devient l'interprète malgré elle pour  que sa mère soit entendue, écoutée, respectée dans un monde médical pressé, hautain, désincarné et déshumanisé.Critique ouverte de la part de l'autrice sur ces violences psychologiques faites ainsi aux malades qui souffrent autant de leur handicap que du mépris et de l'incompréhension de l'autre. Inaccessible. Heureusement dans l'univers de Valentine il y a le cuisinier-interprète de l'école,Paul Guta, la directrice qui n'ont que de bonnes intentions à son égard. Celle de comprendre, concilier, harmoniser les choses en toute empathie et sympathie. Chloé Catrin endosse brillamment deux rôles, le passage à peine perceptible de l'un à l'autre: la directrice affable et bienveillante et l'odieuse médecin impatiente et débordée.Le père, Marius Stoian qui est resté en Roumanie, musicien violoniste reste présent malgré les distances.Les mensonges et autres cachotteries l'affectent et l'intriguent...Et la "maman", Lorédana Iancu, actrice dite amateure rayonne dans ce rôle, autant que sa fille Angelina Iancu qui jubile dans cette prestation hors pair. Une enfant d'une grande maturité, d'une grande fraicheur affronte un rôle majeur et des situations difficiles, cruelles mais hélas réelles.Mère et fille y développent une singulière expérience de sororité inédite!


Alice Duchange met toute la religiosité de la pièce dans une scénographie évoquant ce coeur sacré, icône vénérée dans une niche d'église orthodoxe sans aucun doute, alors qu'un caméraman suit en direct toutes les évolutions des personnages reproduites sur un petit écran: fenêtre ouverte sur des gros plans de visages joyeux ou défaits en toute fausse proximité.La pièce touche, les battements de coeur ne vont pas cesser , de "battre mon coeur s'est arrêté" n'aura pas lieu pour autant, à "120 battements par minutes" la maladie va reculer, disparaitre comme par enchantement ou par miracle. Car si l'enfant absorbe les maux de sa mère, s'en charge jusqu' à mimétiser et tomber malade c'est pour mieux ressusciter par le mensonge. Celui de tous y compris du médecin et d'autres complices. La figure de "La Reine de la nuit" comme rédemptrice figure de prou du don, de l'abnégation est forte et conclut l'opus par du brillant, de la joie, de la danse. Ce costume endossé par la fillette si responsabilisée, comme seconde peau, la sauve de toute toxicité familiale. Car la fusion mère-fille est condamnable et dangereuse même si non voulue ni préméditée. L'inconscient du conte de fée ici présent expliquerait bien des pistes à la Bettelheim (psychanalyse des contes de fée). Non expurgés de leurs significations. Loin d'être une simple fable, "Valentina" va droit au but sans détour; poser et dénoncer des réalités sociales, culturelles ignorées qui sapent une partie de la population étrangère d'un pays: la langue comme clef unique de communication et d’accès à bien choses.La langue comme passe-muraille, passeport assermenté de nos relations institutionnelles.

 Au coeur de la vie, au pays de l'enfance, petit pois ou gros nounours le mensonge A est roi!

Au TNS jusqu'au 30 AVRIL dans le cadre des Galas

vendredi 18 avril 2025

Stefano Di Battista se fait la vie douce ! « La Dolce Vita » et tutti quanti !

 


Après Morricone Stories dédié à Ennio Morricone, le saxophoniste italien Stefano Di Battista est de retour avec La Dolce Vita, un projet ancré dans la culture populaire de son pays.
En quintet, il fait résonner sous un nouveau jour les chansons italiennes emblématiques de l’âge d’or de l’Italie en naviguant entre ferveur et nostalgie. Pour cette soirée à la Briqueterie, Stefano Di Battista fait résonner les thèmes rendus célèbres par Paolo Conte, Andrea Bocelli ou Lucio Dalla et met à l’honneur des compositeurs comme Renato Carosone ou Nino Rota. 


 La vie est belle

Quand le "bon", la brute" et le "truand" rencontrent le "parisien" et le sicilien, c'est à un effet de bombe musicale , joyeuse, virtuose et inventive que l'on assiste. Ou plutôt participe car le don de Stefano Di Battista c'est aussi l"animation, le contact avec le public, la verve et simplicité du contact. C'est dire si ce soir là au sein de La Briqueterie à Schiltigheim, l'ambiance était décontractée et bon enfant en compagnie de cet artiste virtuose du saxophone, hors pair.Les morceaux de choix du dernier album du groupe constitué autour du Maestro, La Dolce Vita" se succèdent avec délice, malice et inventivité. Reprendre des "tubes" de référence de la musique italienne, est un pari audacieux: Nino Rota, Lucio Dalla, Paolo Conte et Ennio Morricone se rencontrent et se catapultent sur le plateau en bonne compagnie. Les mélodies se reconnaissent certes, bordées d'ornements musicaux incongrus, adaptés à, chacun des virtuoses en leur genre. Le tout jeune trompettiste Matteo Cutello comme une égérie du groupe ce soir là, porté aux nues par Di Battista comme un fils légitime de son esthétique sonore. C"st drôle, réjouissant et convivial et l'ambiance dans la salle se fait chaleureuse en boomerang.Le concert bat son plein avec pour chacun quelque instants de grâce: le pianiste excelle dans une dextérité volubile magistrale, le percussionniste s'éclate en mille et une vibrations éclatantes et éclaboussantes, le contrebassiste fait la douceur et saveur sensuelle des morceaux qui s’égrènent. Une soirée d'exception où l'atmosphère loin d'être nostalgique s'est révélée festive et ludique baignée d'une musique revisitée de haute volée. Les virtuoses au diapason d'un répertoire vivant, animé et empreint d'une sympathie contagieuse. Quand le talent rejoint la convivialité tout semble simple et de toute évidence! Stefano Di Battista sur une jambe qui tangue, s'ancre au sol, concentré autant qu'à l'écoute de ses partenaires de choix. De Naples à la Sicile, ce voyage-expédition territoriale conduit vers des îles, archipels musicaux très chers et parfois encore inconnus de nos oreilles captées par autant de légendes de la Grande Musique populaire.Revisitée avec respect et audaces, virtuosité olympique et performances remarquables.

  • Stefano di Battista : saxophone
  • Matteo Cutello : trompette
  • Fred Nardin : piano
  • Daniele Sorrentino : contrebasse
  • André Ceccarelli remplacé par Luigi Del Prete
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  • Briqueterie le 17 Avril Programmation Jazz par Schiltigheim Culture

dimanche 13 avril 2025

"Grenz-Thérapie": à bon port, salut: les Clandestines et Abril Padilla passe-murailles!

 


Abril Padilla & Les Clandestines vous invitent à découvrir :
GRENZ-Thérapie #2, performance musicale
Au cœur du quartier des Deux Rives, GRENZ-Thérapie s'installe au CRIC, un lieu transfrontalier en pleine effervescence où travaillent et se rencontrent des artisan.e.s et artistes.
Cette performance musicale et poétique explore le thème des frontières, questionne les notions de distance physique et émotionnelle à travers le son et le jeu. Frontières politiques, artistiques, linguistiques ou personnelles... Les frontières craquent, grincent, séparent et réunissent, nous traversent.
Les ateliers du CRIC, nichés dans le Grand Garage, offrent un espace partagé où s'entremêlent des ateliers en bois à géométrie variable. Cette architecture invite à la déambulation et propose une réflexion ludique et musicale sur les frontières. Une performance basée sur la parole et le passage d'une langue à l'autre, créant une véritable "forêt de langues" où se côtoient le français, l'allemand, l'alsacien...

Le CRIC résonnera de divers langages musicaux – musique actuelle, électro, répertoire traditionnel – orchestrés par les musiciens nomades Abril Padilla, Mathieu Goust et Christophe Rieger. Le public sera invité à composer sa propre trame sonore en se déplaçant à travers ce labyrinthe de ruelles, à adapter son point de vue et à vivre, le temps de la performance, sa propre expérience des limites et des frontières.
 
 

La déambulation est leur credo, le leitmotiv de ces nomades sans frontières, arpenteuses de territoires, femmes de terrain et de terroir...Passeuses et passagères , passe-murailles, elles franchisent les limites, les défenses, escaladent les murs et poussent les portes des convenances. Alors, le grand "garage" du CRIC sera ce port sans attache, ce non lieu, ce troisième lieu, endroit de tous les possibles. Elles apparaissent au lointain, ces 7 doigts de la main, haut-parleurs brandis, rouges  chatoyants. Emblème et mascotte du groupe avec leur entonnoir, volubilis ouverts offerts à l'écho de leurs voix: porte-paroles poétiques, compagnons de route. Elles nous invitent à entrer ou sortir par de multiples portes: celles de jeux de mots, de virelangues, calembours et autres expressions faisant appel au sens des mots: "entrée en matière" ou "sortie de secours" et autres fantaisies...Le ton est donné, incongru, jovial, décalé, glissant, mouvant.Comme à un jeu de scrabble, perchées, elles déplacent et collent des lettres pour en faire de nouvelles adaptations sur les vitres du garage. Les mots, les langues vont ici se croiser sans cesse: de l'Allemand fort bien maitrisé, de l'Alsacien truculent et bien remodelé pour ses sonorités, du français pour faire sonner le reste. Le brouhaha ambiant cesse, bruits de machines fracassant pour laisser place à un instrumentarium singulier: objets du quotidien détournés, moules à kouglof et autres trouvailles hétéroclites ustensiles de cuisine. Ça percute et ça résonne sous les mains agiles de deux musiciens fidèles compagnons du collectif et d'Abril Padilla, maitresse du jeu musical.Et le public nombreux de passer douanes et frontières par un passage étroit où il est passé au scanner de vigiles de sécurité fantoches. On se prend au jeu du passager clandestin dissimulant quelques marchandises illicites. Dans le grand hall, la suite va bon train, pour quelques petits groupes happés par les comédiennes contant les litanies de Vaduz, l'oeuvre fleuve de Bernard Heidsieck! Un régal de sonorités en échos multiples résonne à l'envi. Elles sont tout de noir vêtues jusqu'à revêtir leur bleu de travail, tabliers uniformes. Et l'on navigue dans cet espace à la rencontre de chacune avec sa voix, son accent, sa carrure. Des physiques bien plantés, solides et réjouissants, engagés dans la lutte et le combat de la performance.Sororité inévitable et joyeuse, complicité de mise et espièglerie fantaisiste au poing.E la nave va  bon train. Les langues se catapultent, la lecture de magnifiques leporello se transforme en ribambelles d'origami ou éventail tout blancs, devenus plus tard frontières terrestres au sol qui entravent la circulation des corps. Un jeu de questions avec le public amené à réagir à sa guise sans contrainte ni obligation rythme la prestation. La ronde s'impose comme forme de danse collective en cercle où les corps tricotent des mouvements de bras, reliant les unes aux autres. Sourires complices et joie contagieuse à la clef. Encore une séquence étrange et absurde de prise de mensuration par des couturières-infirmières en blouse blanche qui se solde par un tableau géant de post-it reliés par les fils de laine. Joli et tendre esquisse d'une carte du tendre des trajets, frontières du monde.
 

Une vision plastique et sonore de toute beauté s'invite lors de leur escalade d'un escarbeau géant sur roulettes. Les porte-voix comme des sortes de liserons incandescents, bouches rouges ou lèvres ouvertes aux sons des voix. Sur ce phare ou mirador sonore, vivant de toutes les vasques des haut-parleurs rouges, évasés comme des bouches ou lèvres béantes.Perchées, les interprètes semblent jubiler discrètement. Et au loin derrière les grilles du couloir on les retrouve chantant quelque chant engagé, au loin déjà. Les au-revoir pour le grand hall où elles affichent leurs étendards de couleurs comme des drapeaux de territoires à défendre, se les nouant sur la tête comme des coiffes exotiques de femmes laborieuses. C'est fort et touchant, digne image légitime des postures et attitudes des comédiennes se jetant dans la bataille de la performance de proximité. C'est ainsi que sereines, nos sept reines d'un jour quittent les lieux esquissant pas de danse, entonnant à nouveau quelque chant révolutionnaire engagé. Au loin, la mer se retire. 
Le spectacle des Clandestines, accompagnées de trois musiciens fantaisistes dans ce lieu de choix est un pari audacieux gagné et cet après-midi en leur compagnie charmeuse est une expérience hors pair. Saute-frontières et passagères uniques d'un univers créatif sans limite.On sort de sa zone de confort pour aborder une réalité transfrontalière incontournable. La poésie fait le reste de port en port.
 
 Projet soutenu par le Festival Lire notre monde
Strasbourg Capitale mondiale du livre - Unesco 2024
 
Au CRIC le 13 Avril

samedi 12 avril 2025

"Quelque chose rouge" : faut pas que ça saigne...Eleonore Barrault et le groupe 49 accouchent d'un heureux événement!

 


Soyez les premier·es à découvrir l’univers des deux élèves metteur·ses en scène du Groupe 49 : Éléonore Barrault et Juan Bescós. Pour leur première création collective en demi-groupe, iels ont choisi leurs équipes artistiques, conçu et suivi toutes les étapes de leur projet qui s’ouvrira au public en avril 2025 dans les salles de l’École du TnS.
  Ce spectacle ne cherchera pas à représenter une bonne fois pour toute ce que des millions de femmes ont déjà vécu. Et d’ailleurs, disons-le tout de suite, personne ici n’a accouché.

C’est une histoire qui vient des grottes. Histoire de douleurs, histoire des femmes, histoire de l’art. 


Lorsqu’on s’y intéresse, les récits et les représentations d’accouchement se révèlent souvent tronqués, impossibles à dire, occultant les questions de violence et d’appropriation. L’accouchement est surtout l’occasion d’un discours sur la joie d’une transformation, d’une nouvelle vie, etc. Mais de quelle joie s’agit-il ? On a caché le rouge, on a caché la douleur. On a sorti du cadre le corps des femmes en train d’accoucher. Les peintures qui nous restent sont celles des naissances. Vierges à l’enfant. Décevantes.

Alors, qu’adviendrait-il si nous racontions l’histoire du point de vue de ce corps disparu ? Avec quelles couleurs pourrait-on peindre cette expérience singulière ?

Le spectacle cherchera à dessiner ce quelque chose rouge au bout de la grotte, sans détourner le regard.


L'école du TNS: une mine d'or, de talents, d'expérimentations: cinq spectacles à la clef de ce mini festival riche de découvertes. Au sein de l'établissement dans la salle de travail des comédiens, c'est à un autre "travail" que l'on va consacrer notre temps: celui des sages femmes, ces mater dolorosa qui calment et délivrent les corps des parturientes. Beau sujet jamais abordé excepté sous forme de métaphore ou de suggestion: sortir de la cuisse de Jupiter ou des côtes d'Adam: qu'est ce qu'on nous cache, qu'est-ce qu'on ignore, quel est le déni sur cette expérience humaine à priori si naturelle, si évidente? Les tabous sociaux, ceux de la religion, du pouvoir, du machisme sans doute. C'est à toutes ces histoires, ces récits de vie que l'on va assister en bonne compagnie: celle de quatre comédiennes et un jeune homme, sage-femme qui se livrent à l’exécution de leur métier devant nous, devant ou derrière de longs pendrions opaques, comme ceux d'un hôpital. Une table de travail, des blouses bleues de travail, des chaussons en caoutchouc et le tour est joué Verve et enthousiasme à la clef pour cette communauté, cette tribu joyeuse qui s'interroge sur les origines de la vie, les traces quelles gardent sur les parois de nos grottes rupestres: le sang des empreintes des doigts des accoucheuses.. 
 

Beau travail de recherches, d'iconographies sur le sujet des femmes et de leur ventre rond, de leur sexe à découvert sur la table d'accouchement. Sans pudeur ni omission, l'origine du monde se délivre, cette "délivrance" salvatrice, secret de famille ou simple acte chirurgical en cas de panique...Les textes virevoltent dans une cadence, un rythme effréné, habités par les interprètes, longues litanies précipitées sur le travail ou ronde folle comme un inventaire des fantasme sur le trou, la béance chez Rabelais avec son banquet de héros sortis de partout sauf de l'utérus, de son col qui se dilate! Col à franchir, voie de passage qui se déchire ou pas: tout est évoqué cliniquement sans heurt, avec tact et doigté dans une mise en scène factuelle: tentures rougeoyantes pour évoquer le sang, les menstrues, l'expulsion du nourrisson. La douleur avec ses cris et chuchotements, la fascination ses corps donnant la vie. Les artistes sur le plateau s'en donnent à coeur joie, dévorent sans cesse fruits et autres grappillages pour  nourrir  leurs angoisses, calmer la faim et la soif de survie. Le rythme est incessant, les femmes galvanisées par ce sujet si rarement évoqué. On chasse le détail, l'anecdote ou l'aveu sur le sujet dissimulé par des siècles de silence et de contraintes. Ici on délivre le vrai et l'authentique sans fausse couche ni embryon de pudeur. Le plasma, les eaux sont chose rouges ou transparentes, évoquées crument, organiquement, sobrement. Jusqu'à devenir décor en vidéo aqueuse sur le mur de fond de scène. Pas de pleurs ici mais une réalité animée, joyeuse face au destin incontournable des femmes enceintes. 
 

Eléonore Barrault se joue des obstacles et tissus et corps s'enveloppent jusqu'à devenir toiles de maitre peintes, ou voiles plissés de Vierge Marie et son déni de grossesse! La dramaturgie de Beaudoin Woehl joue le jeu de la montée en puissance des textes choisis et jetés sur le plateau avec force et engagement. 
 

La scénographie de Inga Adeline Eshuis répond en écho aux allées et venues de ces femmes au travail, pressées, enjouées, toniques. Et les costumes de Nais Theriot s'adaptent au sujet dans les plis et replis de drames ou de réjouissances: les tissus se font robes, tabliers, voiles ou vêtements de sacrifice sur l'autel de la gynécologie d'urgence! C'est beau et vivant, rouge comme le sang de la vie, ou pastel comme la toile évoquée de Paula Modersohn-Becker qui comme une toile de Rutault ne dévoilera jamais sa face cachée...Tout ici est "féminin" pluriel, bien genré, tempétueux et généreux. Les comédiennes Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova y jouissent du plaisir du jeu et dévorent ce festin de fruits et grignotages défendus, The-vinh Tran fait un numéro d'inventaire des Dieux des monstres nouveaux nés de légende et odyssée de toute beauté!
 

La ronde finale sur du Sclavis, musique à danser, clôture l'opus sur des notes d'espoir et de fraternité, de sororité et autres liens en phase avec le cordon ombilical à couper absolument pour délivrer l'identité et l'être ensemble. Poussez, tout va bien! Sans forceps ni césarienne!

[Mise en scène] Eléonore Barrault
[Dramaturgie] Baudouin Woehl
[Scénographie] Inga Adeline-Eshuis
[Costumes] Naïs Thériot
[Création et régie lumière] Syrielle Bordy
[Création et régie sonore et vidéo] Félicie Cantraine
[Régie générale et plateau] Lucas Loyez
Avec Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova, Thê-vinh Tran.

Au TNS jusqu'au 12 AVRIL

vendredi 11 avril 2025

Ecole du TnS - Aurélie Debuire - Groupe 48 "Service de la perdition et du beau temps": la météo est bonne....

 


Bonjour Madame. 

Vous êtes morte. 
Bienvenue dans la mort. 

Comme point de départ de cette création, il y a la mise en scène d’un espace qu’on peut en vain imaginer : l’au-delà.Intimement, ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une tentative échouée d’échapper à la mort. Intimement, ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une prière collective, une méditation, une tentative hautement spirituelle et sceptique. 
Au Service de la perdition et du beau temps, on peut jouer et écouter son silence. 
C’est redondant, extrêmement ennuyeux, extravagant, absurde, dithyrambique, finement choisi et millimétré. Mais vous savez, Au Service de la perdition et du beau temps, Le langage n’est pas fait pour se comprendre.

Saint Guillaume, un temple peu orthodoxe se prête au jeu de l’accueil d'une pièce de théâtre inédite, tout droit sortir de la langue fantasque d'Aurélie Debuire. Une vasque immense, une nef en coquille de bateau réduite pour l'occasion en un boudoir rougeoyant, tapis rond et rideau plissé rouges, lampadaire design appuyé sur un socle. Dans cette atmosphère sulfureuse, opaque, brouillard garanti, on distingue à peine une sorte de statuaire immobile, pétrifiée. Quatre corps tétanisés par la mort..? L'un s'éveille, se dresse, vêtu d'une tunique longue, apprêtée à la taille, gonflée de manches et d'épaulettes en forme de crête de coq. Baroque créature curieuse. Une seconde peau diabolique pour ce messie qui fera la pluie et le beau temps, la météo de la mort lente ou subite des trois autres personnages.L'un, chevelure luxuriante, visage trempé d'inquiétude et deux autres femmes ou êtres androgynes. Alice, dite Marthe, morte et ressuscitée le temps d'être maintenue en vie par des battements de coeur improbables. Apolline Taillieu, belle dans sa jupe-tutu, sanguinolente, peinte sur tissus comme une toile sans cadre ni armature. Les costumes sont aussi absurdes que le texte qui sourd des lèvres de cet officiant diabolique, clef de voute d'une architecture scénographique spirituelle en diable. Les masques trompent l'oeil et induisent les perspectives sculpturales des corps en leurre corporels et organiques dignes d'une commedia dell'arte povera! Et plis selon plis en osmose avec les pans de tissus rouge sang, les costumes se fondent dans une vie sous les plis baroques de Deleuze.



Une apparition de derrière le dispositif rouge du rideau de fond  fait de notre anti héros un évêque digne de Francis Bacon et tout ce meut ici en gestes hallucinés, grandiloquents sans être ni caricaturaux, ni redondants. Les chutes des corps façonnées par un savoir être corporel digne de danseurs.Un proscénium de marches se renverse pour mieux accueillir ces situations absurdes et grotesques. Nous sommes au théâtre , rituel quasi carnavalesque, au sein de l'église . La dévotion des personnages face à cette mort omniprésente est combat, lutte féroce et belle. Pas de pathos mais une dure réalité où de battre mon coeur ne cesse.Prophétie, sermon salvateur, texte ingénieux et toujours surprenant, l'opus vagabonde dans cette acoustique naturelle de cathédrale qui réverbère le son à l'envi. Paroles et cris sublimés par l"écho et le retour naturel du texte énoncé.


Némo Schiffman, le secrétaire, le Grand D en forme surprenante, texte majeur émanant de tout son corps, son regard, ses postures et attitudes poignantes. Son silence, ses mouvements tétaniques, interrompus pour mieux incarner une sorte d'Ubu Roi surréaliste.Belle performance d'acteur, visage de furet aux aguets , magnétisme empreint de malice, versatilité et autres facéties très convaincantes. Un "artiste" assurément.Dans sa longue toge, prêtre et bonimenteur pour blasphème œcuménique savoureux...Un moment de théâtre rare et insolite qui donne la mesure du  talent d'auteure et metteuse en scène de Aurélie Debuire accompagnée de la scénographie intuitive de Salomé Vandendriessche et des comédiens fort affirmés tel Thomas Lelo, Blanche Plagnol, Apolline Taillieu. Le tout haussé par une ambiance sonore signée Mathis Berezoutzky-Brimeur, épousant l'acoustique du lieu de manière judicieuse: ambiance glauque ou solaire des sons environnants, créant une vasque sonore en ricochet comme ces corps qui se lovent et répondent en écho à l'absurdité de ce monde de science friction étonnant, détonant. Chacun quitte le plateau sur le chemin de la mort en direction d'en néant bien tentant et attractif.Le coeur et l'amour sous le bras pour mieux caresser en embrasser la camarde. Au service de la perdition et du beau temps, la météo est bonne!

 


[Mise en scène - écriture] Aurélie Debuire
[Collaboration artistique - dramaturgie] Thomas Lelo
[Scénographie - costumes] Salomé Vandendriessche
[Créateur lumière et sonore] Mathis Berezoutzky-Brimeur


Avec 
Thomas Lelo - Âme 2019, Cœur 2019, Cerveau 2019
Blanche Plagnol - 3.290.114, Cœur 3.290.114, Cerveau 3.290.114, Peau Lisse
Nemo Schiffman - Secrétaire, Grand D
Apolline Taillieu - Alice, Marthe, Cœur Alice, Cerveau Alice

 

  Eglise Saint-Guillaume École du TNS jusqu'au 12 AVRIL

lundi 7 avril 2025

"Coup fatal": Fabrizio Cassol, Alain Platel et Rodriguez Vangama: un trio infernal pour un hymne au métissage des civilisations!

 


Coup fatal est une pièce musicale à l’énergie contagieuse, dans laquelle des musiciens, pour la plupart originaires de la République démocratique du Congo, s’emparent du répertoire baroque pour composer un véritable hymne à la joie. Rodriguez Vangama, Alain Platel et Fabrizio Cassol façonnent un spectacle à la croisée du théâtre, de la musique et de la danse. Bach, Haendel, Monteverdi enlacent les pulsations du continent africain. Le baroque et la musique traditionnelle congolaise aux épices rock et jazz fusionnent dans un décor qui fait écho à la réalité d’un pays en émoi constant. S’ajoutent l’exubérance et la coquetterie des « sapeurs », les dandys de Kinshasa. Il n’en faut pas davantage pour créer la magie d’une œuvre inoubliable. Frénétique et bouleversant.
 

La salle  est déjà bien chauffée dans une ambiance multigénérationnelle, joyeuse et bruyante. C'est dire si le pari de hausser le ton est presque déjà gagné! Danseurs, chanteurs se réunissent sur le plateau comme pour un rituel de retrouvailles, de communion: en "bonne compagnie". Voici les cultures et les disciplines qui se rencontrent, se catapultent, les siècles qui s'entremêlent sans heurt avec bonheur, courtoisie et tact. Du baroque à l'appui, en suspension pour ce contre ténor Coco Diaz sulfureux qui s'installe, beau prince sur l'estrade et n'en fait qu'à sa tête. Chanter le répertoire "J'ai perdu mon Eurydice" de Gluck extrait de "Orphée aux enfers" alors qu'autour de lui se meuvent des diablotins malins, va quasi de soi! On songe aux" Indes Galantes" de J.P. Rameau mis en scène par  Clément Cogitore chorégraphiées par Bintou Dembélé au krump légendaire et percutant le baroque avec rage et conviction. Très réussi, le choc des cultures esthétiques et musicales.
 

On y joue du likembe en dansant, de la double guitare en opérant comme chef d'orchestre:c'est Rodriguez Vangama qui s'y colle avec brio autant en improvisations qu'en savantes compositions inspirées de la culture musicale du Congo. Le rythme va bon train dans un décor de fils de perles en rideau de pluie.

Métissage des danses également qui tricotent du krump, hip-hop, break dance dans une joie contagieuse: une danseuse excelle parmi eux, soliste émérite et douée de belles enjambées, postures, attitudes à l'endroit, à l'envers pour un bon tricotage des styles. La tension ne baisse jamais soutenue par une dramaturgie musicale stricte et fort bien menée.On y croise des personnages burlesques et coquins comme ce joueur de kalimba qui fait office de jocker ou fou du roi, Scapin malin et grotesque plein d'humour venant singer les autres par un jeu plein d'humour.Intriguant malgré lui et savoureux joueur et danseur rayonnant, souriant.C'est dire si Bach, Vivaldi, Haendel et son "Lascia ch'io pianga" font recette et collent à l'atmosphère tonitruante du spectacle..En deux parties dont la seconde consacrée aux dandys de Kinshasa (pas Piccadilly) : costumes colorés, seyants, fantaisistes autant qu’apprêtés. 
 

On bascule dans le vaudeville, la comédie musicale et c'est réjouissant. Les antagonismes se rencontrent, les contrastes opèrent et ça roule quasi deux heures durant sous la houlette d'Alain Platel qui déchire la chorégraphie baroque en élucubrations africaines heureuses. Fabrizio Cassol aux commandes musicales servi généreusement par des artistes polyvalents . Et ce guitariste qui hante le plateau, Rodriguez Vangama, vedette et cible de tout ce joyeux petit peuple dans son agora polyphonique vertueuse.Un régal que partage un public enthousiaste, invité à danser en slow aux premières loges ou accueillant les danseurs dans les rangées du théâtre. Un "coup fatal" où l'on tord le cou aux conventions et affirme comme une évidence que l'art est multiculturel et aux delà des frontières par dessus les siècles.
 
Au Théâtre du Rond Point jusqu'au 5 AVRIL



Holly Blakey "A Wound With Teeth + Phantom" : la danse, fille de mode: mode d'emploi.

Quel est le lien entre la superstar espagnole Rosalía, la londonienne Florence and The Machine et les très pop Coldplay ? La réponse s'appelle Holly Blakey, chorégraphe prolifique et très demandée du Londres arty. Superstars, marques de luxe, designers de mode, Holly Blakey multiplie les collaborations prestigieuses et fera ses premiers pas français à Chaillot en marge du Chaillot expérience mode.

C'est à Chaillot et nulle part ailleurs dans le cadre de l'opération "Chaillot Expérience" deux jours pleins durant! Expositions, débats et conférences, performances: c'est la révolution de Palais, de la cave au grand foyer...Une initiative pertinente du TND qui rassemble grand public et spécialistes de la question des relations qu'entretient la danse avec la mode depuis...Les Ballets Russes de Serge de Diaghilev?

  Une proposition parmi tant d'autres, un "vrai " spectacle en salle Gémier

A Wound With Teeth :
Et si dans une perte de mémoire se cachait un potentiel de création ? Holly Blakey utilise sa propre expérience de l’oubli pour créer une œuvre qui questionne notre faculté à nous souvenir, et aussi, à imaginer et à inventer, à la frontière du rationnel et de l’irrationnel. Dans un monde parfois terrifiant et pervers, lutter pour notre propre survie signifie aussi créer des histoires.


Sur une musique tonitruante et fantasque, déroulé de décibels sempiternels, c'est la mode qui s'invite et réinvente le costume à danser: du sur mesure en mesure pour les corps transportés de dix danseurs performeurs de très haut niveau, défiant la matière sonore autant que le tissus de ces costumes chamarrés absolument magnifiques de couleurs, matières et volumes choisis. Pour magnifier les corps dansants, fracturés par une chorégraphie multi-influences, du classique au hip-hop Les danseurs exultent dans leur seconde peau desingnée, transformée par des lignes de couture et de matières rarement employées. Les virevoltes des jupes, les sauts parachutés de combinaisons seyantes, les revers et ourlets des gestes affolés, cinglants, pertinents de vivacité, célérité et vitesse accélérée font rayonner les accoutrements invraisemblables d'une "collection" hors pair, hors norme. Un régal de diversité, d'audace et de maitrise dans un flux incessant de danse diabolique très maitrisé. Une découverte insensée au firmament de la création vestimentaire. 

Phantom :
Porté par 10 danseurs engagés dans une chorégraphie aux portes du rituel, Holly Blakey explore avec tendresse, honnêteté et force un épisode particulièrement douloureux de son parcours personnel : sa fausse couche. En collaboration avec Emma Chopova et Laura Lowena, créatrices de la marque Chopova Lowena et sur une composition du musicien Gwilym Gold. 


Autre manifestation du genre chorégraphique si personnel de Holly Blakey, cet opus court et de choc explore une gestuelle plus douce malgré l'aridité du sujet. Les danseurs une fois de plus irradient galvanisés par la musique, ce sentiment d'excellence du spectacle. Couleurs et matières des costumes pour affirmer que ce qui les enveloppe n'est pas hasard ou décoration. Mais costumes, certes griffés par une signature de couturier, mais au service du geste, sans entrave ni assujettissement. Sans contrainte ni convention, la "haute couture" tient le haut du pavé chorégraphique, pleine de sens et de signification. La narration consent ici à infiltrer le tissus à métisser et tissé les genres, à façonner une esthétique mouvante. Un "théâtre des peintres"sans domination où chaque discipline, danse et couture se rejoignent pour modeler les corps et enchanter un propos radical très personnel.

Et si d'aventure après cet opus richissime, on s'égare auprès d'une oeuvre de jeunesse de Christian Rizzo "100% Polyester", c'est pour mieux apprécier cette absence de corps, cette perte charnelle au profit de spectres enlacés dans des chemises diaphanes et sobres, loin de la "mode"..

Qui l'emporte de l'apparat sophistiqué à l'extrême dépouillement, à la sobriété épurée, à vous, spectateurs d'enfiler votre costume ou de retourner votre veste...La danse et le mouvement, assurément !

 

Au TND Chaillot jusqu'au 5 Avril




"Dernières Nouvelles du large" Patrick Robine, Jean-Michel Ribes : anti seiches et moules de mari niais....


 Jean-Michel Ribes revient au Théâtre du Rond-Point pour mettre en scène son complice de toujours, Patrick Robine. Seul imitateur au monde de l’œuf au plat, du pin parasol et du cri de la pomme de terre du Connecticut, c’est un poète intégralement taillé dans la facétie, l’incongru et longuement poli à l’extravagance. Avec sa création Dernières Nouvelles du large
, il nous emmène à bord d’un grand navire, Le Topinambour, et part à la recherche d’une moule géante, se cachant au milieu de l’océan, dans une île flottante. Commence alors une irrésistible aventure où se bousculent les bouées beuglantes de haute mer, le requin-marteau et les éponges domestiques. Patrick Robine nous plonge dans un univers où la drôlerie et la mélancolie se font sœurs jumelles et où le rire est maître à bord.
Patrick Robine nous fait un bien fou !

 Une générale publique, ça pardonne tout ou presque...Ce petit bonhomme tout blanc, sorti tout droit d'un conte de fée comme un petit nain de Blanche Neige fait son passe-muraille, son numéro de one man show comme il le peut hélas. Manque de temps, de répétition, de métier: trac ou trop d'émotion à servir l'ancien "maitre en ces lieux".. Le saura-t-on un jour? En attendant il ne manquait pas de verve ni de malice, de savoir faire des virelangues, calembours ou autres jeux de mots à propos de son personnage et de ses pérégrinations: à la recherche d'une moule géante accrochée à une île utopique, inconnue, invisible personnage d'un récit imaginaire....Patrick Robine se fourvoie hélas dans un jeu improbable, ce soir là non maitrisé et empêché par des trous de mémoire anticipés par une lecture systématique d'anti-sèches sorties de sa poche de veste. Gags ou réalité? Leurre, farce ou incapacité à ingurgiter sa propre littérature? On se questionne et l'on souffre avec lui pour cette infirmité incongrue qui met mal à l'aise et retire à cette farce le côté diabolique, enchanteur ou anecdotique. Le texte bat son plein alors à vide comme en panne des sens et de la poésie qui semble envahir un univers ubuesque, farfouilleur, drôle et absurde en diable. Mimiques, jeux de rôle, attitudes, poses ou postures fort intéressantes pour sauver la donne et donner envie d'y retourner voir si le crustacé s'est mieux incrusté dans la roche pour être comme une moule avec la frite dans un bain de jouvence bien mérité. Alors si Jean Michel Ribes pouvait repartir à la pêche à la moule géante en compagnie d'un as de la ligne ou du filet, ce serait beaucoup mieux et plein de charme."Ca n'a pas mordu ce soir mais je rapporte une rare émotion..."(Ravel / Apollinaire le martin pêcheur)
Alors longue vie à notre explorateur fou et burlesque pour aller au large dans des vêtements bien ajustés et une mise en bouche assurée de convenance. Cap vers une meilleure météo marine!
 
 
De et avec : Patrick Robine
Mise en scène : Jean-Michel Ribes
Lumière : Hervé Coudert
Son : Guillaume Duguet
Assistanat à la mise en scène : Olivier Brillet

Au théâtre du rond point jusqu'au 13 Avril

vendredi 28 mars 2025

"Phèdre" Jean Racine · Anne-Laure Liégeois : le noir scintillant d'une femme dévoilée.

 


Mariée à Thésée, roi d’Athènes, Phèdre est secrètement amoureuse de son beau-fils. Lorsque la mort de son mari est annoncée, elle envisage la possibilité de cet amour. La tragédie est en marche et avec elle l’une des plus belles pièces de Racine…


Amatrice de littérature, la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois aime tout autant travailler le répertoire classique que les textes contemporains. Phèdre est une pièce qui l’a accompagnée à toutes les étapes de son parcours. Elle la connaît par cœur et par le cœur. Ses doutes, ses désirs, ses dits et non-dits, ses douleurs et ses joies, son rire et ses larmes. Ainsi, aujourd’hui sur scène, la Phèdre de Racine est une femme d’ici et de maintenant. Les spectateur·rices s’interrogent sur l’idée qu’ils·elles se font de cette grande figure féminine léguée par la tradition. Côtoyer Phèdre, c’est réfléchir au parcours des femmes à travers le temps. C’est regarder la condition féminine, c’est penser notre rapport au désir féminin et au désir de la femme mature. La pièce en alexandrins révèle une langue époustouflante et simple qui nous étreint et nous libère tout à la fois. Qu’a-t-on fait de la vie ? Qu’a-t-on fait de l’amour ? Où en sommes-nous dans les rapports femmes-hommes ?



Phèdre, c'est une légende du théâtre dit classique que l'on côtoie ici dans une force et une puissance inédite grâce à l'adaptation d'une metteuse en scène qui en a fait sa compagne de route, de vie, de conviction. L'incarnation du personnage de cette tragédie que l'on croit connaitre sur le bout des doigts et de la langue, par la comédienne Anna Mouglalis est un choix idéal pour rendre à cette femme, corps, chair et émotions de toute beauté. Quand elle apparait après un prologue, dialogue entre Hippolyte et Thésée, elle irradie une saveur singulière de gravité, d'ancrage, de poids digne d'une danseuse de Laban. La voix sombre, grave, quelque part résurgence de trouble, de vibrations inédites et profondes. Idéale vecteur de son, de sensations et dans une tessiture peu commune pour une femme. Basse et réverbération singulière, calme, posée, voire pesante comme un ancrage solide face à la tempête proche. Ce qu'elle fera durant tout le déroulement de l'intrigue qui se tricote sans faille durant les deux heurs de représentation. Sur l'immense plateau de la Filature, c'est le noir qui règne en majesté, outre-noir puissant et profond d'où jaillit chacun des personnages. Ils sont de noir vêtus, sobre tissu seyant, léger aux plis fuyants: vêtements contemporains qui poussent vers une interprétation d'aujourd'hui de toute la pièce. Les corps des interprètes jetés dans la bataille, la véracité des humeurs, de la révolte autant que des sentiments de pouvoirs ou de domination suintent de tous leurs pores et la versification coule de source, toujours inattendue et servie avec brio. Racine exulte et scintille, vivant auteur de son temps autant que du notre. Et l'on savoure l'évolution des personnages au fil des multiples événements comme lors d'une histoire humaine passionnante, cohérente et pas si folle ni hystérique qu'on voudrait le croire. Cette Phèdre captive, interroge et chacun des comédiens y va de son impact, de sa force pour incarner cette langue si riche et porteuse de musicalité, de rythme autant que de sens. Les divagations, les stations de ce chemin de croix sont millimétrées, orchestrées pour faire du plateau, une aire de jeu crédible, en-racinée dans le réel autant que dans la fiction. Le père et le fils, Ulysse Dutilloy-Liégeois et Olivier Dutilloy irradient en Hippolyte et Thésée, Laure Wolf en savante suivante et conseillère se taille la part belle dans le rôle de Oenone. Tous impliqués dans cette folle course contre le destin, l'actualité de l'oppression, de la domination, du pouvoir qui dévore secrètement les uns et les autres. Phèdre rivée au sol autant que partenaire d'une tempête qui la fait se déplacer d'un endroit à un autre sans être jamais "le bon endroit". La place à prendre dans ce monde pas si masculin que cela rappelle un combat sempiternel de l'humain contre les forces obscures de ce noir envahissant. Seule la robe jaune flamboyante d'Aricie, Liora Jaccottet au final peut faire augurer d'une lumière solaire possible. Le dos de l'interprète comme un solide appel au soulèvement dorsal éloquent autant que les alexandrins de Racine. Le son des voix s'éteint, magistralement doté d'une mise en onde virtuose sur le plateau.Et Anne Laure Liégeois de conclure sur un dénuement où "que ces voiles me pèsent" se transforment en arrachement symbolique du joug des femmes opprimées de notre époque. Phèdre dévoilée au coeur de l'amour, de la douleur de cette famille-tribu si révélatrice de tensions-détentes très chorégraphiques.
 
A la Filature les 26 mars. 27 mars.

texte Jean Racine mise en scène, scénographie Anne-Laure Liégeois avec Anna Mouglalis, Ulysse Dutilloy-Liégeois, Olivier Dutilloy, Liora Jaccottet, Laure Wolf, David Migeot, Anne-Laure Liégeois, Ema Haznadar création lumière Guillaume Tesson costumes Séverine Thiebault

jeudi 27 mars 2025

"Parallax" , Kornél Mundruczó / Proton Theatre : joyeuses valseuses et autre magicienne de vers.


Lucide observateur des mécanismes intimes et politiques, Kornél Mundruczó les explore à travers des personnages d’une frappante authenticité. C’est encore le cas dans Parallax où se croisent trois générations : la grand-mère à Budapest qui refuse d’accepter une médaille de rescapée de la Shoah ; sa fille à Berlin, qui au contraire fait valoir une identité juive pour obtenir une place pour son fils dans une école ; et ce même fils, en quête d’identité en tant qu’homosexuel, entre joyeuse débauche et discrimination. Dans une scénographie riche de détails et de surprises, à l’image d’une réalité toujours susceptible de renverser les vies et les visions, ils se heurtent aux mêmes questions : comment échapper aux assignations, lorsqu’elles s’inscrivent dans les corps et les mémoires ? L’identité est-elle un poids, une libération ? Une affaire de point de vue ? C’est la question que pose le titre, puisque la parallaxe, en astronomie, désigne l’impact du changement de position de l’observateur sur la perception de l’objet.
 

Il faut le prendre à la légère ou avec toute la gravité qui enveloppe ce spectacle multimédia assez déroutant. Les actrices, nous les découvrirons sur deux grands écrans de part et d'autre d'un endroit quasi secret d'où elles sont filmées en direct. Une vielle femme, de beaux cheveux blancs épars et désordonnés en plan serré dont on ne découvrira le corps en pied que beaucoup plus tard.Idem pour sa fille Anna avec qui elle échange ses quatre vérités autant sur la question juive que sur leur relation mère-fille. On suit leurs évocations avec empathie et intérêt surtitrées du polonais au français et anglais. La langue chante, rappe se fait tendre ou violente selon le sujet. Elles sont vraies, authentiques en diable. Plein feux sur le décor qui se dévoile et replace dans un contexte théâtral après ce déroulement filmique de portraits singuliers. C'est aussi Berlin qui s'écroule sous une tornade d'eau en direct: impressionnantes coulées d'eau tumultueuse qui fait ravage, inonde la scène à grand bruit, dévaste le décor qui se trempe et se mouille en cascade. Ça marque et ça touche tant le personnage pétrifié devant ce désastre, ce cataclysme est tétanisé, immobile, sans voix. Belle et troublante séquence qui annonce la suite: le portrait du fils, un homosexuel amoureux de sa mère et de sa grand-mère défunte et qui se prépare à honorer deuil et enterrement. Le tout au sein d'une cuisine équipée sobrement qui fait salon et unité de lieu, pas de temps ni d'action!Cocasses saynètes entre ses amis qui débarquent pour faire une belle orgie joyeuse simulée en direct. Les cinq personnages s'en donnent à coeur joie, godemichets et autres accessoires désopilants. C'est la fête dans l'appartement dévasté où l'on éponge les restes de l'inondation.Cinq "pédé" comme ils se nomment font partouse, nus et bandant de joie et de colère aussi. Une clique, une tribu sans pudeur s'y trouve dépeinte sans concession avec humour, drôlerie burlesque. C'est pas si souvent que l'on rit de tout sans complexe. Le théâtre engagé de Kornel Mundruczo fait mouche et bouscule préjugé et carcans sur des questions identitaires, religieuses et marque d'une pierre blanche ce show trivial et direct avec ses pieds de nez au conformisme Tant et si bien qu'au final pour les funérailles, c'est à une danse endiablée, chorégraphiée signée Csaba Molnar que l'on assiste, histoire de délivrer les corps du drame susjacent qui règne sur le plateau deux heures durant , haletant et fantasmagorique. On brise les frontières et on se cause en rigolant des affres du monde politique.

 La parallaxe est l'impact d'un changement d'incidence d'observation, c'est-à-dire du changement de position de l'observateur, sur l'observation d'un objet. En d'autres termes, la parallaxe est l'effet du changement de position de l'observateur sur ce qu'il perçoit.Un appel à la condition de spectateur :A bon entendeur, salut!

Au Maillon les 26/27/28 Mars


 Avec : Lili Monori, Emőke Kiss-Végh, Erik Major, Roland Rába, Tibor Fekete, Csaba Molnár, Soma Boronkay
Le texte a été écrit par Kata Wéber et intègre les improvisations de la compagnie.
Mise en scène : Kornél Mundruczó
Dramaturgie : Soma Boronkay, Stefanie Carp
Scénographie : Monika Pormale
Costumes : Melinda Domán
Lumière : András Éltető
Musique : Asher Goldschmidt
Chorégraphie : Csaba Molnár
Collaboration artistique : Dóra Büki

mercredi 26 mars 2025

Clément & Guillaume Papachristou "Une tentative presque comme une autre": Le garçon et Clément , en scène!" L'inclusion évidente et limpide de jumeaux de corps et de coeur..

 


Une tentative presque comme une autre

Dans Une tentative presque comme une autre, tout est dans le presque. Clément et Guillaume Papachristou sont frères jumeaux. L’un est un acteur et chorégraphe à Bruxelles, l’autre, porteur d’une infirmité motrice cérébrale, s’implique dans des projets d’arts vivants, notamment Mixability, atelier de danse inclusive dirigé par le chorégraphe Andrew Graham, à KLAP (Marseille). Avec tendresse et humour, ils questionnent l’altérité et la différence en partant de leur histoire intime et de leur ressemblance physique. Dans une recherche approfondie d’un langage chorégraphique qui s’appuie sur la collaboration réciproque des corps, émergent les ressorts d’une entraide possible – bien que souvent insoupçonnée – au-delà des aprioris liés au handicap. Le duo se teste et s’apostrophe, jouant de la complicité du public, poussé à prendre conscience de l’étrangeté familière que représente, toujours, l’autre.

Un petit truc en plus...

On se souvient du film " Les garçons et Guillaume, à table!" de Guillaume Galienne: une histoire autobiographique sur l'identité de "genre" encore peu reconnue et ici dévoilée avec humour et tendresse. Voici pour ce spectacle, deux artistes liés, reliés par la gémellité qui montrent, exposent leur complicité autant que leurs différences avec véracité, sans concession et avec beaucoup de tac et de respect. C'est un lever de rideau sur une descente d'escalier sans faute pour un homme en fauteuil roulant qui ouvre la pièce après un rapide parcours effectué en diagonale par l'un et par l'autre: à toutes jambes et en fauteuil roulant adapté haute technologie.Ils l'ont bien descendu ce dispositif de marches qui empêcherait la libre circulation...avec paillettes et quelque appréhension cependant. L'exercice est périlleux mais ça passe sans casse! Le public est réuni autour des deux interprètes qui dans l'arène, sur l'aire de jeu en proximité vont se donner à coeur joie pour danser et exécuter toutes formes singulières de gestuelles adaptées chacune à leur corps respectif. Union et fusion, combines pour se lover l'un dans l'autre, se soutenir, se lever en érection verticale et audacieuse pour Guillaume, handicapé moteur.

Et enfiler le tee-shirt de l'autre devient forme et métamorphose esthétique et plastique "collant" les deux compères l'un à l'autre comme le fait Erwin Wurm dans l'exposition "Mode d'emploi"

Clément, le "valide" accompagne son partenaire de vie avec audace et considération maximale. Donnant libre court à ses désirs de mouvements conjugués soigneusement à ceux de ...son frère jumeau. Ce que l'on pouvait supposer ou suspecter en dévisageant les deux comédiens-danseurs:barbe naissance, yeux rieurs, crâne dégarni, corpulence agile et svelte. Guillaume crée d'emblée l'empathie et non la compassion, l'adhésion à son désir d'être sur scène pour bouger et ressentir la jouissance du mouvement, le trac du comédien. Sans se priver, sans fausse pudeur avec le sourire, les interrogations d'un homme qui réfléchit à ce qu'il donne à voir. Autrefois ce serait un quasimodo de foire, un être à part, aujourd'hui un homme construit par le désir de plaire, de séduire de tous ses pores de la peau. Par la parole aussi que son frère lui faire surgir des lèvres dans une phonation qu'il surtitre pour une plus rapide compréhension. Interprète de son jumeau, Clément questionne et fait face à la situation. Autant pour nous mettre à l'aise que pour inclure certains spectateurs dans le jeu: accueil du corps et de la parole de son frère, changement de place pour que celui ci trouve son "endroit" son "milieu" en toute franchise. Le tandem, le couple, la paire, comment les nommer ces deux tendres acteurs de leur vie intime. Sans fausse évidence, ils partagent poids, tension, équilibre, appui et ancrage à foison ce qui rend le mouvement évident, limpide jamais poussif ni empêché. 


Je est un autre
Pari et gageure tenus pour cette non démonstration d'un savoir être au monde et à la scène qui fascine,enchante, réjouit ou interroge. Le droit à la différence, artistique, esthétique pour deux créateurs de trouble et non d’ambiguïté! Le sourire de Guillaume attestant que ces "transports en communs" ne sont ni miracle ni fantasme; un énorme travail physique et orthophonique à la clef pour accompagner cet homme dans son processus de développement, de confiance, d'assurance et d' assomption.Une épiphanie citoyenne engagée, physique en diable où l'ordinateur, tel une intelligence artificielle traduit la langue de Clément comme un écrit manifeste de la reconnaissance. 


La danse comme Saint Christophe, Clément, patron des voyageurs qui assure la prise en charge de ceux qu'il transporte.Sans jamais être fardeau ni charge Guillaume ravit et se fait porte parole de tous ceux qui assument et vivent leur corps avec conscience et volonté de s'épanouir avec les autres. Une "tentative" osée et fertile, réussie et un pari scénique convaincant. On danse sur le plateau comme tout le monde sans différence "apparente". Mais respectée et haussée au rang d'une humanité légère et joyeuse, grave et responsable. Être jumeau à leur façon sans culpabilité avec humour et distanciation salvateurs!

( Saint Christophe (celui qui porte le Christ) : protecteur de tous ceux qui utilisent des moyens de transport. Une belle légende le fait passeur d'un enfant au bord d'un torrent furieux, d'un enfant devenu si lourd que Christophe découvrit qu'il s'agissait de Jésus, celui qui a créé le monde.)

Pole Sud le 25/ 26 Mars


samedi 22 mars 2025

"Amérique" : diversités esthétiques made in USA: welcome in America!

 


 Le XXe siècle américain dans toute sa diversité.Un programme inédit et haut en couleurs symphoniques

Samuel Barber Adagio pour cordes   

Comment ne pas être envoûté dès les premiers coups d’archets, par le poignant Adagio de l’Américain Barber ? Que des cordes sublimes pour interpréter une oeuvre douce, bordée de silences et de rémanences des notes caressées par les multiples et seuls archets. Langoureuses mélodies fluides et savoureuses, tendres et très spatiales. 

Aaron Copland Concerto pour clarinette  

Changement d’univers, le concerto de Copland destiné au clarinettiste Benny Goodman oscille entre swing et classique. Attaque fulgurante par le chef d'un opus étrange aux dissonances dissimulées qui révèlent une composition audacieuse et inédite. Le clarinettiste Sébastien Koebel se prête au jeu étonnant de la clarinette soliste en diable entourée d'une formation épousant les témérités de la composition. Un virtuose "maison" mis au devant de la scène de façon toute légitime. Et c'est en toute simplicité qu'il accorde au public enthousiaste un bis de Gershwin, extrait de "Rapsodie in blue"

George Gershwin Un Américain à Paris pour orchestre  

Vient ensuite la promenade nonchalante d’un Américain dans le Paris des années 20 dépeint par Gershwin, Un régal de sonorités bigarrées, résonnantes, tonitruantes: klaxons et autres bruits du quotidien des grands boulevards et des bruissements de la foule qui se presse sur les trottoirs.Musique de ballet, celle du film de Vincente Minnelli où dansent magistralement Gene Kelly et Leslie Caron, voici une balade fameuse dans les rues de Paris au son de la grande ville lumière.

Georges Gershwin Ouverture cubaine

Chatoyante composition pleine d’allant, de verve et d'attaques colorées et cinglantes . Le dynamisme auréolé de rythmes chaloupés et ondoyants, souples comme des danses brésiliennes chamarrées et séduisantes. Musique qui porte en elle les accents d'un exotisme franc et non dissimulé qui touche et envoute. Le temps d'être déphasé, déconnecté et bercé par un voyage salvateur aux saveurs et sonorités si proches et si lointaines. 

Leonard Bernstein Danses symphoniques de West Side Story

Succèdent les rythmes syncopés du West Side new-yorkais et les accents caribéens colorés de percussions de Bernstein. C'est une version concertante où les voix sont subtilement remplacées et adaptées à une transposition pour orchestre symphonique.Les danses s'y retrouvent après un prologue où l'on ne peut faire abstraction de la version filmée de Robert Wise et du génial chorégraphe Jerome Robbins! Le prologue est époustouflant sous la direction de Aziz Shokhakimov, génie des contrastes, des moments ténus suspendus comme un temps d'apnée ou de suspens étiré.Mambo, cha cha, rumble et autres swing au diapason de cette musique battante, guerrière où des clans s’affrontent, des émigrés chantent l'exil, des amants s'avouent leur ardeur dans un "somewhere" désincarné, uniquement acoustique.

Un concert décapant aux accents métissés d'un continent bigarré que la musique sait fédérer au delà de tout geste politique...L'OPS très à l'aise dans ces vagues puissantes, déferlantes de rythmes, dans ces contrastes d'écriture musicale
 

Distribution
Aziz SHOKHAKIMOV direction, Sébastien KOEBEL clarinette

Palais de la Musique et des Congrès le 22 Mars