Emmanuel Eggermont L’Anthracite France solo création 2024
Esthète aux scénographies d’un minimalisme sublime, Emmanuel Eggermont a clos ses pièces chromatiques autour de la recherche sur la couleur : le noir de Πόλις (Pólis), le blanc d’Aberration ou les motifs dichroïques d’All Over Nymphéas. Sa danse délicate et puissante se tourne vers son mentor Raimund Hoghe. About Love and Death est un hommage à celui qui fut le dramaturge de Pina Bausch, avec lequel Eggermont signa huit pièces. De Debussy à Judy Garland, la bande son fait s’entrecroiser musiques populaires chères au chorégraphe allemand disparu en 2021, extraits de films et grands classiques. Une mélancolique Samba-Cançao brésilienne de Dolores Duran, un lieder de Mahler ou une Valse de Joséphine Backer témoignent de quinze années de collaboration entièrement tournées vers le mouvement sincère et la présence essentielle, connectée à l’origine du mouvement. Fuite du temps, amours, perte des êtres chers, il glisse ses pas dans ceux du maestro allant jusqu’à l’incarnation du spectre de Raimund Hoghe et de ses paysages émotionnels.
Le plateau est libre, blanc, vierge et offert à la danse d'un soliste hors pair qui saura donner une âme à l'espace, aux objets, aux accessoires,à la lumière et à la musique. Le corps d'Emmanuel Eggermont ne s'efface pas devant la mémoire de son partenaire d'avant, Raimund Hoghe, "disparu" dans l"ether mais présent lors de cet hommage princier au personnage, à l'artiste envolé. Au sol, gisant dans des vêtements noirs, "outre noirs"sobres enveloppes de son corps gracile, Emmanuel Eggermont incarne un lyrisme à fleur de peau qui se décline plus d'une heure devant nous en partage. Avec l'appui de chansons de légende, de dialogues de films, de notes de musique favorites, fidèles amies du couple de danseurs d'antan. Il n'y a pas de nostalgie dans ce solo évoquant des attitudes, des pas , des poses de Raimund. Juste un respect, une passation pudique mais réelle, incarnée dans l'instant. Les gestes du danseur sont précis, tallés au millimètre près, décomposant l'énergie pour en construire un florilège d'attitudes proches des frises grecques, des enluminures baroques. L'envergure des bras, les battements de poignets comme signaux de détresse ou d'agonie. Un officiant pour une cérémonie, plein de flegme et de nonchalance feinte!rRévérence respectueuses, inclinaisons du corps audacieuses et figures inédites au répertoire du danseur démiurge de l'écriture chorégraphique nouvelle.Avec préciosité, justesse, grâce et abnégation. Les morceaux choisis de compositions musicales s’égrènent un à un dévoilant les différences signatures de l'interprète. Savantes et audacieuses esquisses burlesque à la Chaplin ou Astaire pour une version de "chantons sous la pluie" désopilante, charmante et joyeuse. Une façon bien à lui de revisiter un répertoire d'inconscient collectif qui touche, interpelle, remue. Secouer la mémoire, passer au tamis l'inutile pour trouver de l'or, notre orpailleur détaille, cisèle, sculpte les gestes et le souvenir pour en extraire du renouveau, de l'indicible, du jamais vu. Il irradie, réchauffe les esprits et danse de toute sa présence discrète, pesée, flegmatique parfois, détachée. Sa Carmen est portrait d'une femme hésitante et troublée, pas fière du tout, simple être humain en proie à une situation dramatique. Des petits détails de costumes font jaillir du sens: couverture de survie, paire de chaussures à talons hauts et robe de bal portée sur le dos. Dramaturgie chère à Raimund Hoghe qui excelle dans la richesse du détail, mis en scène, magnifier par lumières et sons. Cold Song dansé en costume noir et chapeau haut de forme fantaisiste fait mouche et ce diable, Dracula ou esprit magnétique ensorcelle sans jamais déposséder celui qui regarde. Grande liberté d'interprétation pour le spectateur envouté, pris sous le charme du danseur. Ange ou démon, il respire la beauté du geste en pleine souveraineté, prince et beau joueur du passé, orfèvre du détail, des postures les doigts en éventail, les bras pliés comme des origamis,le regard évasif ou très présent selon l'évocation du moment. Un homme du milieu, à cet endroit précis où la danse se fait cosmos et constellation dans un parcours spatial émouvant. Emmanuel Eggermont corde sensible, tendue d'un clocher à un autre comme un funambule , le Rimbaud de la danse. Là où se réinvente le langage en oulipo du geste autant qu'en savent alexandrin. Une poétique hors norme pour un interprète horloger de précision méticuleuse, artisan du beau et compagnon de l'excellence futile.
« J'ai tendu des cordes de clocher à clocher. Des guirlandes de fenêtre à fenêtre. Des chaînes d'or d'étoile à étoile. Et je danse. » 20 octobre 1954
A Pole Sud le 24 AVRIL
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